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Le gris n’aime pas la lumière. Il appelle à une grande diversité de tons, à des nuances imperceptibles. Il se peint en camaïeu. Et de fait, les cas relatés dans ce numéro de METIS sont différents. Quoi de commun entre une travailleuse migrante sans permis de séjour mais avec un vrai contrat de travail et un travailleur du cru ayant un vrai travail, mais sans le contrat qui va avec ?

Les combinaisons existantes sont aussi nombreuses que les possibilités du nuancier. Le presque tout noir -il y a bien un vrai travail, mais ni contrat ni autorisation de travail (ni sans doute de facture !)- cohabitent avec le gris pâle -les formes légales sont là, mais la réalité des conditions du travail est tellement dégradée qu’on hésite à parler de travail « blanc ». L’ensemble forme un espace intermédiaire prospérant entre une totale marginalité, celle de l’exclusion, des trafics, voire du grand banditisme, et les formes civilisées du travail, salarié ou non. Zone de transition, moment transitoire. Tout est encore possible, la chute comme l’intégration. Du coup, à travers toute l’Europe, les acteurs syndicaux, comme les pouvoirs publics hésitent. Le poids des arguments liés aux solidarités locales, à l’attitude envers l’immigration, à la concurrence entre salariés, à la pénurie de main d’œuvre, à la réalité du dumping social entre pays, aux choix exprimés par l’opinion publique, au respect dus aux hommes au travers de leur personne juridique ou à l’universalisme du droit, varie.

Que faire ? Réglementer encore un peu plus ? Contrôler davantage ? Ou, à l’inverse, détourner les yeux et prendre acte des tolérances, des arrangements, voire des transgressions, qui au final donnent de l’oxygène aux sociétés comme aux organisations… Nous pouvons nous fixer un objectif minimum : sortir de l’ombre, porter le gris à la lumière. Car nous avons tout à perdre en entretenant notre schizophrénie. Celle qui nous conduit d’un côté à perfectionner un droit du travail aussi tatillon qu’il se veut universel, et de l’autre à accepter des parcours professionnels qui aux cases « emploi » et « chômage » ajouteraient des détours plus ou moins longs par la zone grise. Zone où les règles fondamentales se résument à « pas vu, pas pris », chacun pour soi et malheur aux vaincus. Nous pourrions alors craindre les processus de propagation virale. Ces règles, une fois apprises, pourraient contaminer l’ensemble.

Jean-Marie Bergère

Délégué général d’ASTREES

Le « travail noir » : points de repère

Economie informelle et emploi informel : expressions principalement utilisées au niveau international, (travaux de l’OIT).
L’économie informelle, notion officialisée depuis 2002, désigne « l’ensemble des activités économiques des travailleurs et des unités économiques qui ne sont pas couverts, en vertu de la législation ou de la pratique, par des dispositions formelles ».
L’emploi informel remplit une visée statistique et a été adopté en 2003 par la Conférence Internationale des Statisticiens du Travail : les travailleurs ou employeurs possédant leurs propres entreprises du secteur informel ; les travailleurs familiaux non rémunérés du secteur formel ou informel ; les personnes travaillant de manière indépendante à la production de biens destinés à l’usage final et exclusif de leur ménage ; les salariés occupant un emploi informel, employés par des entreprises (du secteur formel ou informel) ou par des ménages comme travailleurs domestiques rémunérés. Dans ce dernier cas, l’emploi informel renvoie aux situations dans lesquelles la relation de travail n’est pas soumise, en droit ou en fait, à la législation du travail, aux règles du droit fiscal ou de la protection sociale (voir en salle de lecture le rapport de José Luis Daza pour le BIT).
Travail non déclaré : vocable retenu au niveau communautaire (communications de la Commission, résolutions du Conseil, lignes directrices pour l’emploi). Il désigne « toute activité rémunérée de nature légale, mais non déclarée aux pouvoirs publics, compte tenu des différences existant entre les systèmes réglementaires des Etats membres »
Travail dissimulé : notion retenue par le Code du travail français qui remplace celle de travail clandestin depuis 1997, elle désigne plusieurs situations : la dissimulation totale ou partielle d’emploi salarié (qui peut recouvrir le recours à de faux travailleurs indépendants) et la dissimulation totale ou partielle d’activités (qui vise les activités indépendantes).
Le travail « au noir », notion relevant du sens commun, peut cependant recouvrir également d’autres infractions, telles que l’emploi de travailleurs étrangers sans autorisation de travail ou encore les délits liés au trafic de main d’œuvre (prêt de main d’œuvre illicite par exemple).
Ces différentes définitions attestent ainsi de la relativité de l’idée de travail « noir ». L’ampleur des débats, tant théoriques que pratiques, suscités par la recherche d’une définition de « l’informel » au plan international renvoie à l’extrême diversité des situations (notamment nationales) à couvrir. Les définitions retenues diffèrent selon que l’on cherche à quantifier le phénomène ou plutôt à œuvrer pour l’affirmation des droits des travailleurs, quelles que soient leurs situations. A cet égard, l’objectif de l’OIT de promotion du travail décent pour tous doit être mentionné. Sa réalisation passe par la reconnaissance, dans les normes et dans les pratiques, d’un ensemble de droits fondamentaux liés au travail.

Christophe Teissier

Pour plus d’informations, voir la salle de lecture.

 

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Directeur d’une Agence régionale de développement économique de 1994 à 2001, puis de l’Association Développement et Emploi, devenue ASTREES, de 2002 à 2011. A la Fondation de France, Président du Comité Emploi de 2012 à 2018 et du Comité Acteurs clés de changement-Inventer demain, depuis 2020. Membre du Conseil Scientifique de l’Observatoire des cadres et du management. Consultant et formateur indépendant. Philosophe de formation, cinéphile depuis toujours, curieux de tout et raisonnablement éclectique.