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par Pierre Tartakowsky

La tentation est grande de comparer, terme à terme, la méthode mise en œuvre pour la tenue du Grenelle de l’environnement avec les négociations sociales engagées parallèlement sur la pénibilité ou les salaires. Elle est grande parce que le Grenelle de l’environnement peut à juste titre et malgré ses limites – réelles et importantes – faire figure de modèle.

 

Evènement, rupture ? Le Grenelle de l’environnement a surpris et plutôt agréablement. De fait,il a mobilisé énormément d’acteurs de tous ordres, permis l’émergence d’idées etpropositions collectives de haute tenue, débouché sur des avancées.

Le processus a certes eu ses limites ; sanctuarisation a priori du dossier nucléaire, limitation aux seuls partenaires associatifs environnementaux et aux syndicats, rythme assimilé à celui de « 24 heures chrono », marginalisant de fait les apports provinciaux. Certes. Mais avec toutes ses limites, l’opération n’en constitue pas moins l’un des essais les plus achevés de participation de la société civile, sur le modèle de ce qui s’était pratiqué – mais à une toute autre échelle – dans le domaine de la bioéthique.

 

La société civile a su, malgré des tensions entre partenaires, présenter un front convergent et le traduire en demandes parfois communes. Mouvement syndical et associatif ont ainsi convergé avec les collectivités territoriales pour présenter un socle commun de propositions concernant le secteur stratégique des transports. On retrouve là ce qui s’était produit à l’occasion de la directive Reach. Les désaccords, réels, portant sur les mesures de financement possibles, sur la nature même du développement à soutenir ont cédé le pas devant la dynamique de rassemblement.

 

Il s’est ouvert un « front » revendicatif face au gouvernement, qui peut être porté par les retombées de la régionalisation. Cela concerne les transports, l’énergie, la gestion des réseaux (eau, déchets) ; le logement (isolation thermique) ; la démocratie locale, le rôle des institutions (qui décide ?) ; la fiscalité (qui paye ?) ; la production (que produire ?), les services, l’emploi et par voie d’entraînement la formation… Tous secteurs ou les régions sont maîtres d’œuvre. Le Grenelle aura dessiné une ligne de fracture forte entre les partisans de régulations publiques et les partisans d’un rapport de forces individualisé ; il n’est pas impossible que le Grenelle les renforce dans leurs demandes de cohérence dans les politiques publiques, de politiques transversales et décloisonnées, de partenariats.

 

Il apparaît possible de valoriser les « acquis démocratiques » portés par la dynamique, laquelle a d’une part établi une légitimité d’acteurs de la société civile à s’inscrire dans un processus décisionnel ; d’autre part légitimé un travail basé sur une expertise collective. Un « effet cliquet » a été créé, dont les pouvoirs publics ont tenu compte, tout en évitant le terme de « négociation » et en renvoyant habilement les questions les plus douloureuses à plus tard.
D’autant que nombre d’acteurs du processus entendent bien mettre à profit le « grain à moudre » revendicatif issu du Grenelle, tant sur les questions du financement que sur les dossiers qui vont continuer à cristalliser des oppositions corporatistes, telle celle de la FNSEA sur les pesticides…
C’est l’une des grandes différences entre le Grenelle et les autres négociations sociales ; celui-ci s’est achevé à l’endroit précis où celles-là commencent ; à savoir qui va payer quoi ? D’où l’intérêt des épisodes à venir. Particulièrement lors de la présidence de l’Europe par la France, en 2008.

 

Pierre Tartakowsky

Militant associatif, rédacteur en chef d’Options

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