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Rachid Brihi

Rachid Brihi, avocat, défend un très grand nombre de syndicats mais aussi de comités d’entreprises, nationaux et européens. Il est expert pour la CES et nombre de fédérations syndicales européennes. Il s’exprime ici sur les enjeux de la révision de la directive européenne sur les CE européens, révision longtemps retardée et désormais au menu de la Commission et de la présidence française de l’Union.

Quand peu de CE européens se sont dotés d’une réelle volonté d’agir et que beaucoup sont en deçà des normes posés par l’actuelle directive, réclamer comme la fait la CES à grands cris une révision de la directive ne relève-t-il pas de la fuite en avant ?

Evidemment ce n’est pas une norme qui va en elle-même instaurer de « bonnes pratiques » et chasser les mauvaises, encore très nombreuses, je le concède. Mais ce qu’on peut espérer au terme des compromis que suscitera inévitablement l’initiative de la Commission, c’est que les nouvelles dispositions, plutôt techniques d’ailleurs, auront un effet de levier et contribueront à l’amélioration du fonctionnement des CE européens sous trois angles.

Celui des sanctions, dont nous espérons qu’elles seront à la fois plus effectives et plus dissuasives. Le fait par exemple que les directions de grands groupes ne puissent mettre en œuvre leurs décisions, tant que les prérogatives des CEE n’ont pas été respectées, constituerait un message très fort en direction du management et de ses pratiques actuelles. Et cela fournirait enfin aux tribunaux une base solide pour asseoir leurs jugements.

Il y a aussi la question de l’articulation dans le temps et dans l’espace de ce qui relève des CE européens et ce qui relève des instances de consultation nationales et locales. Si la directive pose enfin le principe d’une primauté du CEE pour tout ce qui concerne les opérations à dimension transnationale, on nous évitera bien des tracas et conflits au quotidien entre CEE et représentations locales.

Enfin, il y a les moyens d’une réelle autonomie du CE européen. Aujourd’hui la personnalité juridique même du CE européen est très souvent contestée. Comme l’est celle de qui représente le CEE : est-ce sa ou son secrétaire ? Son bureau ? Faut-il chaque fois recourir à une assemblée plénière ? Le fait que les bureaux de ces comités se voient reconnaître des prérogatives, le fait de doter les CEE d’une autonomie financière, d’un droit à expertise, tout cela devrait jouer en faveur d’une réelle autonomie de ces instances. Elles pourront enfin être des acteurs à part entière, pour les périodes difficiles dans l’entreprise mais aussi pour les moments où ça va bien. Et je regrette d’ailleurs qu’on ne se serve des CEE que comme lubrifiant pour situations de crise.

Le fait que les CE européens les plus avancés sont aujourd’hui des quasi instances de négociation contredit tout un discours syndical officiel sur la stricte séparation entre négociation d’un côté, qui relève exclusivement des syndicats, et information-consultation de l’autre. Faut-il continuer dans cette voie ?

Bien que minoritaire, un nombre non négligeable de CEE – et dans des groupes de renommée mondiale – sont allés effectivement bien au-delà de ce qui était prévu. Mais je remarque que partout il y a eu interaction entre le CEE et le mouvement syndical, que la négociation s’est toujours conclue par des signatures syndicales. Quoi de mal à ce que ce soit des CEE qui impulsent cette dynamique ? Et quoi de mal à ce que nombre d’entre eux s’impliquent, comme je peux le constater, dans la mise en œuvre et le suivi de ces accords ?

N’y a- t-il pas dans la promotion des CEE, un mouvement assez hypocrite et parfois schizophrène entre un discours politiquement correct pro-européen et des pratiques très défensives du pré-carré des compétences et de pouvoirs des organisations et instances nationales, qui au final sont peu désireuses que les CEE émergent vraiment ?

Il y a encore beaucoup de ça, mais le paysage est contrasté et je note des évolutions sensibles, notamment chez les nouvelles générations de militants. Celles-ci baignent si j’ose dire dans la mondialisation, que ce soit dans leurs jobs ou dans leurs mandats. Pour eux, faire partie d’un groupe transnational, c’est naturel, s’occuper de marchés aux quatre coins du monde aussi. Ces militants-là sont très conscients des limites de l’action locale. Et c’est particulièrement vrai dans les secteurs high-tech ou les secteurs des services. Ailleurs, dans des secteurs traditionnels comme la sidérurgie ou l’imprimerie par exemple, cette tendance, comme le renouvellement militant d’ailleurs, est beaucoup plus lente.

On peut être optimiste alors face à l’évolution des CE européens ?

Oui, si on veut booster le changement et le renouvellement militant, il faut donner à voir et donc opter pour des CEE dotés d’une perspective claire et franche. Et je pense qu’il y aurait là un cercle très vertueux entre militantisme et représentation. La révision de la directive représente de ce point de vue l’ultime chance des CEE. A défaut, ceux-ci resteront à mi-chemin et l’ambition qui présidait à leur création pourrait s’éteindre. La CES a pris une position courageuse en n’allant pas à la négociation avec BusinessEurope et en renvoyant la balle aux institutions communautaires, Commission, Conseil, Parlement, pour lesquelles aujourd’hui la dimension sociale est secondaire voire rédhibitoire. C’est surtout vrai du Conseil qui dans ce domaine est le maillon faible. Je n’ai guère de craintes sur la présidence française : Nicolas Sarkozy voudra se donner une image sociale, prendre ses adversaires à contre pied et ce pour une mesure qui ne coûte pas cher. Mais il est illusoire de penser que le processus se terminera sous cette présidence. Et, sur ce point, ce que nous réservent les futures présidences tchèques ou suédoises est très aléatoire.

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