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par Planet Labor

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Faire passer directement un salarié licencié d’un emploi à un autre en lui évitant un arrêt sur la case « chômage » est l’idée de base des sociétés de transfert allemandes. Mais au-delà de la gestion des plans sociaux, ces structures de transfert pourraient devenir des outils durables permettant d’anticiper les conséquences sociales d’une gestion des effectifs de plus en plus « flexible ».

 

Les grandes « sociétés d’emploi » (Beschäftigungs-gesellschaft) apparues dans les Länder de l’Est après la Réunification allemande sont à l’origine du concept des « sociétés de transfert » qui se développent aujourd’hui en Allemagne. A l’époque, la restructuration de l’économie Est-allemande avait placé des dizaines de milliers de salariés au chômage.

 

Un placement hyper spécialisé. L’Etat fédéral avait alors favorisé la création de sociétés d’emplois, le plus souvent gérées par les communes, tout à la fois agences de reclassement et pépinières d’entreprises. Implantées dans des régions économiquement sinistrées, ces sociétés regroupant souvent plusieurs milliers de salariés originaires de plusieurs sociétés différentes n’avaient en fait que peu d’expertise en matière de reclassement. Elles devinrent rapidement des « sociétés d’occupation », tout à la fois unique alternative au chômage et au désoeuvrement mais aussi gouffres financiers dispensant, sans perspective et sans limitation, les subventions et les petits jobs.

 

De ces « ancêtres », les promoteurs des sociétés de transfert ont retenu qu’il valait mieux prévenir le chômage plutôt que de le combattre a posteriori, et que le reclassement devait être rapide, spécialisé et professionnel : « Contrairement aux sociétés d’emploi, l’existence des sociétés de transfert ne dépasse pas les deux ans. Par ailleurs, leur seul objectif est le placement des salariés licenciés. Enfin, elles sont gérées par des sociétés spécialisées dans le reclassement et la formation, qui travaillent sur une seule entreprise à la fois», explique Harald Müller, directeur de l’Académie d’économie de Bonn (BWA), une société de formation et de gestion de sociétés de transfert.

 

Le dispositif de transfert. En 2004, le législateur a inclus dans le code civil deux nouvelles dispositions (paragraphes 216a et 216b) sur l’aide publique apportée au transfert des salariés (Kurzarbeitergeld) en cas de plan social. Y sont réglées le niveau de prise en charge d’un salarié en situation de transfert par l’Agence pour l’emploi, soit 50 % du dernier salaire brut (sans 13e mois et congés payés), mais aussi la question des structures dans lesquelles le transfert peut s’opérer. En cas de plan social, les syndicats, le CE et la direction de l’entreprise peuvent ainsi négocier la création d’une « Agence de transfert » et/ou d’une « société de transfert » :

 

  • L’agence de transfert : on peut la comparer à une cellule de reclassement. Elle est gérée conjointement par la DRH de l’entreprise et/ou un acteur externe, privé ou public, spécialisé dans le placement. Elle est généralement utilisée dans les plans sociaux établis à long terme et intervient donc avant le licenciement. Elle se concentre sur les personnels dont le profil laisse présager un reclassement rapide et direct.
  • La société de transfert : d’une durée de vie d’un à deux ans, la société de transfert entre en jeu après la mise en oeuvre du plan social. Entièrement gérée en externe, elle reprend sous contrat les salariés non reclassés ou n’ayant pas fait l’objet d’une mesure de préretraite. Ceux-ci continuent à toucher la majeure partie de leur dernier salaire brut, en moyenne 70 % (2/3 versés par l’Agence pour l’emploi et environ 1/3 par l’entreprise). Ils bénéficient en outre de services complets de reclassement : bilan, réorientation professionnelle, qualification, replacement ou aide à la création d’entreprise et enfin suivi. Entre autres avantages, la « Transfergesellschaft » offre un bon taux de reclassement, limite l’impact social négatif au niveau local, fait diminuer le nombre de conflits juridiques et préserve l’image de l’entreprise.

 

619 sociétés de transfert en 2007. Aujourd’hui, les sociétés de transfert sont en passe de devenir un élément central des plans sociaux en Allemagne, comme chez BenQ (3000 personnes) en 2006 ou plus récemment de l’usine Nokia de Bochum (2300). Selon les chiffres de l’Agence pour l’emploi, on comptait 236 sociétés de transfert gérant 5 700 salariés en moyenne annuelle en 2004, contre 619 pour 12 176 salariés en 2007 pour un montant d’aides publiques de 184 millions d’euros. Jusqu’à présent, seule l’activité des sociétés de transfert opérant dans le Land de Rhénanie du nord – Westphalie (18 millions d’habitants) a été sérieusement évaluée. C’est en effet dans cette région, fortement touchée par la crise du charbon et de la sidérurgie, que les premières sociétés de transfert ont été créées, au milieu des années 90. Le gouvernement régional a mis en place un observatoire des pratiques de transfert, la Société pour une promotion de l’emploi innovante (GIB), qui a procédé en 2007 à une évaluation des résultats d’une trentaine de sociétés. Le taux moyen de placement des agences de transfert s’est élevé à 64 % et à 57 % pour les sociétés de transfert (avec des pointes à 80 %). Le temps moyen passé par un salarié avant reclassement est de 153 jours. Par ailleurs, 60 % des sociétés de transfert concernent des PME de moins de 250 salariés et 30 % des salariés employés dans les sociétés de transfert ont plus de 50 ans (65 % en 2202).

 

L’avenir du transfert pour des restructurations à froid. En novembre 2007, 17 entreprises gérantes de sociétés de transfert ont créé l’Union fédérale des sociétés gérantes de transfert de salariés (BVTB), qui a immédiatement présentée une charte de qualité et impose un processus de certification à ses membres : « Il est urgent d’imposer des normes minimales de qualité, par exemple d’avoir au moins un conseiller pour 50 salariés, et de professionnaliser l’activité au niveau national. Même si les taux de placement sont vérifiables au cas par cas, nous avons aussi besoin de statistiques fiables et de mécanismes de contrôle des opérateurs des sociétés de transfert», affirme Harald Müller qui signale que des discussions à ce sujet sont en cours avec le ministère fédéral du travail et l’Agence pour l’emploi. Pour M. Müller, le concept de transfert est appelé à devenir plus qu’un dispositif de crise : « Aujourd’hui, il n’est pas rare de devoir déplacer un site, d’opérer une fusion ou d’adapter rapidement les volumes de production. En terme de politique du personnel, cela signifie une nette augmentation des risques sociaux. Les entreprises et les partenaires sociaux doivent donc apprendre à anticiper et à développer des stratégies préventives», estime-t-il en considérant que la pérennisation des outils et des pratiques de transfert peut précisément contribuer à améliorer les conditions de mobilité, forcée ou non, sur le marché du travail.

 

Planet Labor 18 août 2008, n° 080614 – www.planetlabor.com

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