Entretien avec Steve Jefferys, Directeur du Working Lives Research Institute à Londres.
La crise de Northern Rock en 2007 a été le premier signe avant coureur. Quand les gens ont su que la banque se portait mal, ils ont commencé à faire la queue pour retirer leurs dépôts. Et cela a continué même lorsque le gouvernement a annoncé qu’il garantissait ces dépôts. Alors le gouvernement a essayé de trouver un acquéreur pour la banque, mais personne n’en a voulu. Il s’est décidé alors, en se pinçant le nez, à la « nationaliser ». L’histoire de Northern Rock est intéressante à plus d’un titre. C’était une banque mutuelle il y a plus de 20 ans, qui était un rouage essentiel dans les prêts immobiliers. Elle prêtait des sommes limitées et à des conditions strictes. Puis, sous Thatcher, ils ont décidé de privatiser la banque, en lui enlevant son caractère mutualiste et en vendant ses parts à de investisseurs, essentiellement d’autres banques, « classiques ». Celles-ci se sont mises à accorder des prêts beaucoup plus facilement, réduisant le niveau de garanties, car elles misaient sur une continuité des revenus et une hausse constante des prix.
Ceci a conduit alors à l’inflation immobilière sans précédent. A la même époque, toutes les banques ont joué ce jeu, d’autant que le gouvernement a voulu promouvoir l’accession à la propriété du plus grand nombre. On s’est notamment mis à vendre une grande partie du parc immobilier communal : en 20 ans, celui-ci qui représentait 35% est tombé à 20%, et nombreux sont ceux qui se sont endettés, en général sur 25 à 30 ans pour devenir propriétaires. Les banques offraient des prêts pouvant atteindre jusqu’à 5 fois le revenu des emprunteurs, et 125% de la valeur du bien : elles assuraient donc non seulement la propriété de la maison, mais l’équipement complet et parfois même, la voiture avec ! Mais, de fait, ce sont elles qui sont en quelque sorte devenues propriétaires. Bref, en 2007, Northern Rock a donc été « nationalisée » pour 26 milliards livres. Mais la banque a déjà payé 11 milliards en retour, et ce en expulsant plus de 3000 personnes, incapables de payer et en revendant leurs maisons. Cela n’a pas empêché les managers de Northern Rock de toucher de très substantiels bonus.
Quels sont les effets de la crise à ce jour ?
Ils sont énormes. Rien que dans le secteur bancaire, le cumul des annonces de réductions d’effectifs en un seul jour a atteint le chiffre de 60 000 suppressions de postes. Et chaque banque y va de ses mesures. Le Royaume Uni est entré en récession depuis le début de l’année et de nombreux secteurs économiques sont aujourd’hui impactés : le secteur des services, les commerces, le bâtiment et bien d’autres encore. De nombreux travailleurs Polonais ont décidé de rentrer, faute de travail et en raison de la chute de la livre. Un signe ne trompe pas : le soir, les pubs dans la City de Londres sont désertés. Evidemment, pour un pays dont la croissance toutes ces dernières années est venue du secteur financier, c’est un sacré choc. Quand la bulle explose, la confrontation avec l’économie réelle, marquée par une industrie manufacturière peu compétitive, est sévère. Les conséquences sont donc sérieuses, et encore peu calculables.
Faut-il attendre des changements en matière de politiques d’emploi en Grande Bretagne ?
A ce jour le gouvernement du New Labour continue de dire qu’il n’y a rien de changé, que l’employabilité des personnes est de leur responsabilité individuelle. Et ses liens avec le business sont très étroits. D’ailleurs en matière bancaire, il a donné de l’argent sans rien réclamer en termes de pouvoir de contrôle. Il n’emploie pas le mot « nationalisation » mais recapitalisation. Le gouvernement a aussi demandé aux banques de continuer à prêter aux PME, mais le risque que ce ne soit qu’un vœu pieu est réel. Ceci dit, on ne peut exclure un changement radical : qui aurait parié il y a un an que l’on allait mettre autant d’argent public dans le secteur bancaire par exemple ?
Cette crise rend-elle le gouvernement britannique plus favorable à une intégration européenne renforcée ?
Gordon Brown a certes joué, avec Nicolas Sarkozy, un rôle sur les récentes décisions européennes. Il aime être populaire. Tout en continuant à dire que l’économie britannique se porte mieux que les autres à cause de ses plus grandes libertés laissées aux marchés. Mais contrairement à ce qu’il prétend, la société britannique est bien plus exposée que ne le sont les sociétés françaises ou suédoises par exemple. Et il ne semble pas pour l’instant que cela rapproche la Grande-Bretagne de l’euro. Ceci dit, si la livre et les taux d’intérêt continuent à tomber et que la livre s’échange pour près d’un euro, de nouveaux scénarios pourraient s’écrire. Ce qui aiderait, soit dit en passant, l’industrie manufacturière britannique mais découragerait nombre de nos concitoyens de passer leurs vacances sur le continent comme ils le font en masse jusqu’à aujourd’hui. Pour moi l’important c’est que les événements actuels sont très structurants et, sans doute, très formateurs. Et j’espère que nous saurons en tirer toutes les leçons.
Propos recueillis par Claude-Emmanuel Triomphe
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