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Pour Eric Chaney, chef économiste au sein du groupe AXA, les pays de la zone Euro ont réagi rapidement après la surchauffe économique mondiale. Dans la période de récession qui s’annonce, les partisans de la monnaie unique sont plus nombreux. Il ne manque plus qu’un chef

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Quels sont les effets de la crise en Europe à ce jour ?

L’Europe entre en récession, mais ce n’est pas principalement à cause de la crise du crédit, même si celle-ci l’amplifie et pourrait même en changer la nature. Pour comprendre pourquoi nous sommes en récession, il faut replacer la conjoncture mondiale dans sa dimension cyclique. Après la récession de 2001-2002, causée par un surinvestissement en technologies de l’information dans les pays développés, l’économie mondiale a vivement accéléré, grâce à la croissance exceptionnellement forte de grandes économies émergentes comme la Chine, qui ont su tirer avantage de l’ouverture du commerce mondial pour commencer à sortir de la pauvreté. 

Ainsi, de 2003 à 2007, l’économie mondiale a crû de 4.6% par an en moyenne, et le PIB par habitant de 3,4%, contre une moyenne de 1,8% depuis 1970 pour ce dernier indicateur. Cette croissance exceptionnelle a engendré une bulle des prix d’actifs, avant tout de l’immobilier, et généré de fortes tensions dans l’appareil de production, avant tout pour la production des matières premières et de l’énergie. Gonflée par un excès de demande, la croissance est devenue inflationniste, causant un choc pétrolier et poussant les grandes banques centrales à relever la garde. C’est la surchauffe passée de l’économie mondiale qui est la cause première de la récession.

Il est néanmoins clair que la crise des marchés de crédit est venue amplifier le refroidissement cyclique et que, depuis l’été, l’assèchement du crédit, en particulier interbancaire, a amplifié la récession. Si les marchés de gros du crédit, le marché interbancaire mais aussi celui du papier commercial et de la dette des entreprises ne se dégelaient pas dans les mois à venir, la récession, de cyclique, pourrait se transformer en marasme généralisé.

Quelles résistances offre la zone Euro ?

Comparée à une autre grande zone monétaire comme les Etats-Unis, la zone euro n’a guère plus de points de résistance.  Si la BCE est apparue plus rapide et innovante pour limiter la crise de liquidité bancaire, l’absence d’une autorité budgétaire commune aux pays de la zone euro rend la situation plutôt plus difficile. Mais la bonne comparaison est à faire avec la situation qui prévalait avant l’euro. A mon avis, la récession mondiale et, encore plus, la crise de crédit auraient provoqué une sérieuse dislocation des taux de change en Europe, forçant certaines devises à la dévaluation et donc à des plans d’austérité draconiens, et d’autres à une défense par des taux d’intérêt élevés, également coûteuse pour l’économie. 

Il est intéressant de noter que certains leaders politiques de pays où l’opinion n’était pas favorable à l’euro, le Danemark ou la Suède par exemple, soulèvent à nouveau la question de l’adhésion. De même, plusieurs pays de l’UE candidats à l’euro souhaitent suivre l’exemple de la Slovaquie et hâter sa venue, comme le montre le changement de position de la Pologne. De ce point de vue, la crise économique et financière pare l’euro d’une image protectrice, ce que les eurosceptiques n’avaient pas anticipé, même si les pays de la zone euro les plus touchés, comme l’Irlande et l’Espagne, risquent de subir une baisse encore plus forte de leurs actifs immobiliers, en l’absence d’ajustement des changes.

Est-on à l’abri d’une récession de longue durée ?

C’est malheureusement une possibilité qu’on ne peut écarter, si les marchés de dette privée (entreprises et immobilier) restaient trop longtemps gelés, en raison d’une excessive aversion pour le risque. Malgré un mouvement de ré intermédiation du crédit vers le crédit bancaire traditionnel, les entreprises, en particulier les grandes entreprises multinationales, ont absolument besoin des marchés de capitaux pour financer à la fois leur fonctionnement et leur développement. La récession cyclique, déjà considérablement aggravée par la contraction du crédit, pourrait se transformer en marasme prolongé, si les canaux de financement ne se ré-ouvraient pas et si les autorités budgétaires des grands pays ne percevaient pas l’urgence d’une action macro-économique stabilisatrice.

Je crois cependant que ce scénario noir est de moins en moins probable, car banques centrales et gouvernements ont pris conscience du risque macro-économique. Au-delà de l’assèchement de la liquidité et des problèmes de solvabilité pour les intermédiaires financiers, l’économie mondiale fait face à un problème d’insuffisance temporaire de demande. Comme JM Keynes l’avait analysé dans les années trente, la demande peut tarder excessivement à revenir, lorsque les anticipations des producteurs et des investisseurs sont trop négatives et s’auto-entretiennent. En baissant résolument leurs taux directeurs, les grandes banques centrales, Fed, BCE, Banque centrale de Chine, Banque d’Angleterre, Banque du Japon indiquent qu’elles veulent désormais soutenir la demande. Les gouvernements semblent aussi conscients de cette priorité, que le directeur général du FMI leur a rappelée à maintes reprises. 

C’est ainsi que je comprends le programme économique à court terme du président élu Barak Obama, le plan de relance massif annoncé par les autorités chinoises ou le maintien de projets d’investissements publics de grande ampleur en Arabie Saoudite et dans les Emirats Arabes. Même en Allemagne, où les autorités sont réticentes, je note que le Conseil des experts économiques recommande un plan de relance à court terme allant jusqu’à 1% du PIB. Il est vrai que le freinage brutal du commerce mondial, amplifié par la difficulté des exportateurs à trouver des crédits, expose l’Allemagne à un risque de grave récession, puisque son économie est essentiellement tournée vers les exportations.

Y aura-t-il des effets structurants au niveau économique? 

Très certainement, mais il est bien prématuré de vouloir faire des prévisions à ce sujet. Malgré une ambiance politique très hostile aux marchés financiers en général et aux intermédiaires financiers en particulier, la réalité est que la complexité des économies modernes et leurs étroites imbrications requièrent des marchés financiers sophistiqués et innovants. Les bulles immobilières et leurs conséquences dévastatrices ne datent pas d’aujourd’hui et elles se reproduiront demain. Je crois qu’il faut chercher à en limiter l’ampleur par la conduite des politiques économiques (monétaires et fiscales), qui relèvent du jugement, plus que par la régulation, qui relève de la norme.

Il reste que, sur certains sujets bien circonscrits, comme la responsabilité des agences de notations, la nécessité de passer les opérations de gré à gré à travers des chambres de compensation, l’octroi de pouvoirs de supervision du système bancaire plus puissants aux banques centrales ou encore l’importance d’un superviseur fédéral pour les sociétés d’assurance aux Etats-Unis, des changements à la marge vont se produire. Plus fondamentalement, cette crise va presque certainement accélérer la montée en puissance financière des grandes économies émergentes, à commencer par la Chine. A l’heure où les pays riches se tournent vers Pékin pour un vrai plan de relance mondial, le G7 apparaît déjà comme une instance creuse.  Pour cette raison, entre autres, je ne crois pas que nous allions vers un grand soir de la régulation économique mondiale, faute de point de vue commun sur son contenu.

Et au niveau politique, concernant la coordination européenne ? 

Le bilan provisoire me paraît très décevant. Nous devons à Nicolas Sarkozy et Gordon Brown, deux fortes personnalités politiques qui s’estiment mutuellement et sont à l’aise dans la prise de décision, d’avoir accéléré de façon décisive les mesures nationales de soutien au secteur bancaire. Sans elles, le crédit à l’économie se serait déjà effondré. Mais, ni la structure de la coordination intergouvernementale (le conseil des ministres des finances, Ecofin), ni l’autorité fédérale (la Commission) n’ont été à la hauteur des enjeux. Que la crise soit exceptionnelle n’est en rien une circonstance atténuante, car c’est précisément dans ces cas que la coordination compte, bien plus que pour décider de telle ou telle norme de protection des consommateurs.  Une fois la crise derrière nous, il faudra tirer les leçons de l’absence de mécanisme institutionnel de coordination, y compris au sein de la zone euro. Paradoxalement, l’élargissement de cette dernière, facilité par la crise, pourrait rendre la réforme plus difficile.

 

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