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par Christophe Teissier

Le développement du droit français de la non discrimination en matière d’emploi relève d’une grande complexité, tout comme la réalité des discriminations qu’il entend combattre et encadrer. La diversité des motifs de discrimination n’encourage pas nécessairement une approche générale, y compris dans une perspective strictement juridique.

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On pense notamment aux possibilités d’admettre des justifications aux discriminations constatées (ce qui est, notamment, possible pour l’âge, mais impossible pour l’origine) On peut néanmoins tenter d’évoquer brièvement quelques faits marquants de l’évolution de ce que l’on peut convenir d’appeler le droit de la non discrimination, tant sont nombreuses les dispositions aujourd’hui applicables en la matière. Cela nous permettra de dégager quelques interrogations et pistes d’évolution.

Premier constat, les dispositions juridiques visant à prohiber des différences de traitement fondées sur des motifs considérés comme inacceptables socialement ne sont pas nouvelles. Ainsi, le préambule de notre Constitution (et partant la déclaration des droits de l’homme de 1789 et le préambule de la Constitution de 1946) comme les engagements internationaux souscrits par la France (convention 111 de l’OIT en particulier) se réfèrent soit explicitement, soit implicitement (sous couvert du principe d’égalité), à la notion de discrimination. Il est vrai néanmoins que l’impact juridique grandissant du vocable « discrimination » doit beaucoup, depuis une dizaine d’années, à l’Union Européenne. Ce sont en effet des directives communautaires (on pense notamment aux directives 2000/43/CE et 2000/78/CE, mais aussi à la directive 97/80/CE) qui sont à l’origine de l’introduction en droit français de changements d’ampleur. C’est ainsi sous l’influence du droit communautaire que notre Cour de Cassation (dès 1999 à propos de la discrimination syndicale), puis le législateur (loi du 16 novembre 2001 notamment) ont bouleversé le régime d’administration de la preuve en la matière. Face aux éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination présenté par le salarié c’est bien à l’employeur de démontrer qu’il existe des raisons objectives à la différence de traitement constatée. C’est également le droit communautaire qui a imposé au droit français la notion de discrimination indirecte, inconnue jusqu’alors. Entendez par là l’interdiction des règles et pratiques apparemment neutres mais « susceptibles » d’entraîner un désavantage particulier pour les personnes répondant à un critère donné (ie une caractéristique que le droit interdit de prendre en compte). Ciblée sur les effets potentiels défavorables pour certaines catégories de personnes « protégées » de toute mesure (unilatérale ou conventionnelle) appliquée par l’employeur, cette notion (consacrée récemment par la Cour de Cassation, cf. un arrêt du 9/01/2007) élargit considérablement les possibilités d’identifier et de sanctionner les discriminations. Que dire enfin de la HALDE, dont on sait l’importance aujourd’hui, et dont l’institution (en 2004) fait suite à la directive 2000/43.

S’il est parfois difficile d’isoler qui de la France ou de l’Union est le plus en pointe sur le sujet (les motifs de discrimination prohibés en France sont ainsi plus nombreux que ceux visés par les directives), une chose est sure : le droit de la discrimination est aujourd’hui très développé dans notre pays et il faut d’abord s’en féliciter. Le recours à la HALDE va grandissant, les possibilités de sanctionner judiciairement les discriminations aussi. Le droit de la non discrimination contribue aussi certainement à renforcer le recours au droit comme outil mis au service des stratégies syndicales.

Reste qu’il nous semblerait hasardeux de s’extasier béatement devant ces évolutions. N’oublions pas d’abord que le développement de la législation communautaire ne répond pas seulement à des considérations « sociales ». Il est aussi mis au service de la liberté de circulation des travailleurs et donc de préoccupations économiques dont les implications ne sont pas forcément exemptes de critiques. Que l’on songe aux rebondissements suscités par le constat de non-conformité au droit communautaire de l’interdiction du travail de nuit des femmes. Gardons à l’esprit ensuite que le droit de la non discrimination met d’abord en avant (et en mots) les injustices subies par des individus portant de ce fait en germe le risque d’une individualisation accrue des relations de travail, pouvant déboucher sur une judiciarisation elle-même accrue des rapports sociaux. Enfin, dans une société que d’aucuns qualifie de société d’individus, la discrimination est une notion suffisamment attractive pour englober des questions qui, en d’autres temps, auraient été qualifiées et par là traitées différemment. Que l’on pense aux pays dont le droit du licenciement est peu développé et dans lesquels la mise en discussion des causes de la rupture est limitée (si l’on peut dire) à un débat autour du licenciement discriminatoire et ce, devant un tribunal.
Si les discriminations questionnent nos représentations, la lutte contre ces dernières ne peut relever de la seule démarche contentieuse. Conclusion d’accords collectifs sur la diversité, obligation légale d’aménagement de l’emploi ou du poste de la personne handicapée, volontarisme dans l’emploi des seniors : des évolutions notables sont en cours et méritent d’être soutenues et élargies. Il y va, en amont, de la place du dialogue social, de la promotion d’approches préventives et pas seulement curatives (la sanction), d’une prise en compte par la société toute entière !

Pour aller plus loin

D. Fassin, L’invention française de la discrimination, Revue française de science politique, vol.52, n°4, août 2002, p.403-423

V.Guiraudon, Construire une politique européenne de lutte contre les discriminations : l’histoire de la directive « race », Sociétés Contemporaines, n°53, 2004, p. 11-32

M. Mercat-Bruns, La discrimination fondée sur l’âge : un exemple d’une nouvelle génération de critères discriminatoires ?, Revue de Droit du Travail, n° 6, juin 2007, p. 360

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