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par Cécile Jolly

La croissance verte est devenue le maître mot de la sortie de crise. Autour du monde, les green New Deal font assaut de prévisions de création d’emplois plus mirifiques les unes que les autres.

Pêle-mêle, les investissements en énergies renouvelables, en infrastructures de transport collectif ou de distribution d’électricité verte, la rénovation ou la construction de bâtiments aux normes d’efficience énergétique inégalées voire la construction ex nihilo, dans les pays émergents, de villes entièrement « vertes », vont nous sauver de la crise.

C’est à qui dira mieux ou plus. La Corée anticipe dans les 4 ans à venir la création de près de 1 million d’emplois à travers 36 grands projets environnementaux, Barack Obama veut créer 5 millions d’emplois d’ici 2020 grâce aux investissements dans l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables. Quant aux objectifs du Grenelle de l’environnement, ils seraient susceptibles de créer plus de 500 000 emplois en France en 2020, selon l’Ademe.

Alors que l’environnement était essentiellement considéré comme un coût pesant sur la compétitivité, l’emploi et les revenus des individus, il semble devenu la panacée d’une nouvelle économie et la condition du retour de la croissance. Le développement serait-il devenu nécessairement durable et non plus cet oxymore vilipendé par les parangons de la décroissance ?

Certes, les investissements environnementaux créent des emplois non seulement dans les éco-industries qui en sont les principales bénéficiaires, mais aussi dans les autres secteurs qui vont être leur « fournisseur ». Pour construire des éoliennes, il faut de l’acier fourni par la sidérurgie, mais aussi des services, de la maintenance à la comptabilité ou à l’informatique, fonctions qui peuvent être externalisées. C’est donc de l’activité supplémentaire dans des secteurs non-environnementaux qui vont pouvoir embaucher pour produire plus. Ces salaires, c’est du revenu supplémentaire, donc plus de consommation ce qui veut dire plus de production, plus d’embauche et la boucle est bouclée.

Polluer sans compter

Mais la protection de l’environnement n’est pas une tendance naturelle de notre mode d’accumulation qui aurait plutôt tendance à épuiser les ressources naturelles pour renouveler les produits et à polluer sans compter. « Sans compter », tout le problème est là. L’environnement est le plus souvent un bien public sans prix ce qui n’invite pas à le préserver. Il faut donc inciter les producteurs comme les consommateurs à réduire leur empreinte écologique. Et par quels moyens y parvient-on : avec des taxes qui renchérissent le prix des produits polluants, des réglementations qui imposent de réduire les déprédations écologiques des processus de production et des investissements publics en faveur des infrastructures moins prédatrices pour l’environnement.

Ces mesures ont un coût, et c’est en partie leur but pour décourager la production et la consommation de produits polluants. Mais ces coûts supplémentaires affectent potentiellement la compétitivité des entreprises, peuvent se répercuter sur le consommateur (par une facture électrique plus élevée par exemple) et amputent le revenu des catégories modestes ou qui ne peuvent se passer de certaines consommations (de transport routier notamment). Les investissements publics sont financés sur le budget de l’Etat et in fine par le contribuable.

Certains secteurs vont être gagnants, d’autres vont décliner

Dès lors, aux créations d’emploi vont correspondre des destructions d’emplois dans d’autres secteurs. Au total, les modèles économiques montrent en général une faible création nette d’emploi à long terme. Les gains pourraient s’avérer plus significatifs qu’envisagés néanmoins si le vert devenait la « nouvelle norme » de qualité de l’ensemble des produits, imposant un renouvellement massif. Tout dépendra de la vitesse de diffusion des technologies vertes, de l’adaptation de la consommation mais aussi de la disponibilité du revenu, la hausse de qualité signifiant des prix plus élevés. A cela vont venir s’ajouter des gains en bien-être environnemental qui sont autant de coûts évités de réparation des dommages physiques et sanitaires voire de pertes d’activités dans certains secteurs tributaires de l’environnement comme l’agriculture ou le tourisme.

Quelle que soit l’ampleur de la création nette d’emploi, certains secteurs vont être gagnants et/ou savoir s’adapter aux nouvelles exigences de qualité environnementale, d’autres vont décliner ou être remplacés par d’autres. La croissance verte va accélérer le déclin de certaines activités, créer de nouveaux métiers, imposer de nouvelles compétences au sein même des métiers traditionnels et modifier l’organisation des entreprises. Les salariés vont devoir s’adapter comme ils se sont adaptés aux technologies de l’information et de la communication.

C’est donc à une restructuration d’ampleur qu’appelle la croissance verte, et comme toute restructuration, elle impose de veiller à ce que cette transition se fasse avec le moins de heurts possibles. Elle va nécessiter de former les salariés aux nouvelles compétences, d’aider les secteurs en difficulté à adapter leur offre et de limiter les coûts de cette transition pour les revenus les plus modestes. Dans la mesure où ce sont les Etats qui créent ce nouveau marché en imposant progressivement un prix à l’environnement, on peut raisonnablement supposer que son acceptabilité sociale sera mieux prise en compte que dans les précédentes vagues de changement structurel (révolution numérique et mondialisation en particulier).

Une « transition douce » serait sans doute le meilleur moyen de réconcilier le court terme et le long terme et d’assurer un égal souci des préoccupations économiques, sociales et environnementales. Un développement vraiment durable en somme.

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