Cadres : la reconnaissance m’a tuer
publié le 2009-11-19
Alors que les exemples de mauvaises pratiques managériales se multiplient, parler de reconnaissance est une vraie gageure. En période de crise, il serait plus juste de parler de « dé-reconnaissance ».
Dans mon activité de conseil aux cadres – victimes de réorganisation ou de licenciement -, je constate l’incapacité des dirigeants à assumer les vraies raisons du « divorce » et ses conséquences financières, personnelles et professionnelles (la rupture conventionnelle est passée par là).
Je conseille souvent des cadres qui ont bénéficié d’une multitude de signes de reconnaissance dans leur entreprise : augmentations, promotions, appartenance au « vivier », parcours de formation pour « hauts potentiels », etc. Mais à partir de 35 ans, cette dynamique professionnelle peut s’arrêter, et à 40 ans, ces seniors (!), peuvent être poussés sans ménagement vers la sortie. Pour autant ces personnes n’ont pas démérité. Elles sont performantes, enfin elles l’étaient encore vendredi soir dernier, lundi matin ce peut être terminé. Le management va alors les placer dans un processus d’éjection (déjections ?), choisir de les mettre en échec, en leur signifiant insidieusement, le cas échéant, qu’ils sont devenus trop chers.
Perte de confiance
Un exemple récent : une jeune femme cadre, mère de 3 enfants, ayant dix ans d’ancienneté dans un groupe de communication en perte de vitesse consulte son ancien N+1 – aujourd’hui N+2 -, sur son devenir professionnel et les choix qui pourraient s’offrir à elle. Expérimentée, elle n’hésite jamais à donner son avis ; elle est sans doute la mieux rémunérée de son secteur : son nouveau N+1, récemment nommé, prend prétexte de cette démarche – somme toute assez banale – pour lui signifier une « perte de confiance » et l’orienter vers la DRH. Cette dernière, n’oubliant pas de saluer son professionnalisme, lui annonce d’emblée qu’il n’existe aucune perspective de carrière dans le groupe qui puisse la concerner et lui demande ex abrupto « ce que représenterait pour elle un départ réussi » !? Réponse logique : « ayant noté qu’on ne me reprochait aucune contre-performance, je souhaiterais simplement que la reconnaissance de mon travail se traduise au moins dans les conditions de mon départ ». Notons, au passage, qu’une société ne peut pas imposer un recrutement à une autre entreprise du même groupe, en dépit de la jurisprudence de la Cour de cassation sur le reclassement…
La manière employée par les entreprises est souvent perverse : on commence par dire « vous ne pouvez rester là, ne comptez pas sur une mobilité dans le groupe », pour ajouter « on vous laisse regarder à l’extérieur » mais « ayez conscience que vous coûtez cher ». La règle est d’attaquer le moins possible la performance, car ce point peut être facile à contester (au sens judiciaire).
Les personnes qui sont ainsi fragilisées sont souvent celles qui n’ont plus l’appui de leur hiérarchie au sens large : le nouveau N+1 débarque avec son équipe. On sait que quand un salarié a de l’expérience, il a parfois du répondant. Or, en période de crise, la condition de la « reconnaissance », entre guillemets, est liée précisément au fait de « ne pas trop l’ouvrir »… La libre parole n’est pas tendance, sauf dans les organisations matures, peu hiérarchisées ou valorisant les qualités personnelles.
Evidemment, il faut différencier les secteurs. Certains prennent au sérieux la reconnaissance, ainsi des groupes des secteurs de l’énergie par exemple, a fortiori lorsqu’ils doivent fidéliser des compétences techniques ou connaissent des pénuries de main d’œuvre. En revanche, les secteurs où les personnes sont plus facilement substituables et où les compétences valorisées concernent le « savoir être », où l’attractivité n’est pas un problème, parler de reconnaissance est assez hypocrite. Dans ces univers, « Reconnaître » – au sens d’une fonction RH identifiée – c’est à coup sûr créer les conditions de lendemains qui déchantent.
Il suffit d’observer la manière dont sont menés les entretiens annuels. Leur lecture ex post est réellement édifiante. Ce sont des huis clos, de grands moments d’hypocrisie « contractualisée », peuplés de promesses de gascon. Au moment où un cadre négocie son départ, il arrive chez moi avec l’ensemble de ses documents contractuels, les bulletins de paie et cette « grande littérature » d’entreprise que constituent les entretiens annuels. Même pour les parcours « sans faute » (?!), et quelque soit le nombre d’années d’ancienneté, les dirigeants n’évoquent jamais les vrais motifs du départ. Il cherche avant tout à précipiter ledit départ et à en minimiser le coût immédiat. De ce point de vue, la rupture conventionnelle est une aubaine car elle n’a pas besoin d’être motivée, un peu comme dans le cas du divorce accepté.
Ultime reconnaissance
En définitive, le meilleur signe de reconnaissance est celui qui intervient au moment d’établir les conditions d’un départ ! Quand un dirigeant s’inquiète de savoir ce que la personne pourra faire et peut devenir dans les trois prochaines années, la reconnaissance est là. Quand un dirigeant reconnaît que 25 ans d’ancienneté n’égale pas 25 mois de collaboration. Quand il reconnaît que la personne a pu contribuer au développement de l’entreprise. Faute de quoi, lors des discussions de départ, le salarié tombe dans la déception et la rancoeur. A l’inverse, l’intérêt de la personne n’est-il pas de prendre sur soi pour réaliser la meilleure transaction / rupture conventionnelle possible, mais aussi profiter de la ressource que constitue pour le devenir professionnel, le fait de pouvoir rester en contact avec l’entreprise ? Si l’on peut obtenir de se faire accompagner, d’être aidé dans la reprise d’une activité, c’est encore mieux. Il s’agit d’éviter, en somme, le « clash sans retour ». Du côté de l’entreprise : pourquoi une rupture ne permettrait-elle pas d’essaimer, d’externaliser certaines compétences « de niche », s’agissant des seniors spécialement, de miser sur la prise en charge d’activités non stratégiques, etc. ?
L’enjeu, finalement, de la reconnaissance professionnelle individuelle, c’est de permettre la continuité et la renaissance professionnelle. Voilà bien la responsabilité des acteurs de l’économie que sont les employeurs : permettre aux personnes qui quittent l’entreprise de rebondir. La réussite d’un dirigeant ne tient pas à ses trois Porsches (ou à sa Rolex) : lorsque vos employés ont contribué à votre réussite, ils ont contribué à la réussite d’une entreprise ; vous êtes leur obligé. De ce fait, vous pouvez vous réclamer d’être resté droit et juste. C’est légitime de vouloir aller vite, ça ne l’est pas de vouloir passer en force en balançant simplement des consultants « en reconnaissance » sur un terrain miné par les dissensions.
Poser la question de la reconnaissance, c’est donc créer un cadre de considération mutuelle, qui aille au-delà des interactions les plus immédiates.
Jean-Claude Picot est directeur de Cadres Conseil
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