6 minutes de lecture

Michel Lemaire, ancien Directeur Asie-Pacifique chez Nexans, aujourd’hui consultant international revient sur l’expérience chinoise de Nexans, fabricant de câbles pour l’aéronautique, le maritime, les transports et le nucléaire.

 

Nexans2

Lorsque Nexans décide de s’implanter en Chine en 1998, s’agissait-il de délocaliser la production ?

En général, les Occidentaux avaient deux stratégies vis-à-vis de la Chine à l’époque. D’une part celles de délocalisations pures et simples pour fabriquer et vendre moins cher. De l’autre, celle qui vise à pénétrer le marché local en fournissant aux clients chinois des produits totalement nouveaux, ou tenus de respecter des standards internationaux de qualité et de sécurité. Avant tout des produits impossibles à trouver chez des fournisseurs locaux manquant d’expérience que de références internationales.

Lorsque j’ai commencé en 1998, aucun groupe étranger ne pouvait contrôler à 100% une entreprise en Chine ; il fallait forcément passer par des joint-ventures. Plutôt que d’attaquer le segment des produits de base déjà développés par les Chinois, nous vouliions investir sur des niches de marché porteuses d’innovation et de développement. Selon nous, la délocalisation pure était un leurre. Car les Chinois ne jouent pas avec les mêmes règles. Le seul élément réellement moins cher, c’est le coût de la main d’oeuvre.


Le recours à une main d’oeuvre « low cost » n’est-il pas l’élément décisif
?

Pas forcément, car le reste – immobilier, énergie, matières premières – les étrangers le paient plus cher que les locaux ! Concernant l’immobilier, nous ne pouvions acheter, mais seulement acquitter un droit d’usage à long terme. Un Chinois et un étranger ne paient pas le même prix. De même, les Chinois se procurent l’énergie via les autorités locales et le système bancaire chinois, à des conditions inconnues. Enfin, le gouvernement achète des stocks massifs de matières premières, qu’il revend à des prix qu’il est seul à maîtriser et qu’il décline selon que les acheteurs sont locaux ou non ! Bref, aller en Chine pour y fabriquer moins cher, c’est un leurre et un certain nombre d’industriels, y compris du textile, en reviennent ! Car en matière de dumping social, nous serons toujours perdants.  

Nous payons d’autant plus cher que nous sommes tenus d’appliquer nos propres règles, comme par exemple dans le domaine des assurances, qui renchérissent encore le coût. Quand nous avons installé notre usine dans le grand port de Tianjin, nous avons dû la bâtir aux normes anti-sismiques pour être assurés ! Notre partenaire chinois nous a pris pour des fous, car bon nombre d’autres sociétés récemment installées ne l’avaient pas fait. Mais nous n’avions pas le choix.

Quelles ont été vos pratiques en matière sociale ?

Dans notre créneau, où les Chinois ne pouvaient pas produire ou n’étaient pas homologués, l’enjeu résidait dans les transferts de technologies et de savoir-faire. Et c’est là que nous avons pris le parti d’investir dans les ressources humaines – meilleurs salaires, formation –  afin de retenir les salariés. En la matière nos concurrents chinois ne savent pas faire. Nous analysions les situations familiales de chacun car, en l’absence de couverture sociale, ce qui compte pour les salariés, c’est la possibilité de prendre en charge leurs parents – un devoir en Chine – et l’éducation de leurs enfants, sans parler d’une couverture maladie ou retraite. Notre difficulté n’était pas de trouver des gens de qualité – deux universités, dont l’une à Xi’an, forment de très bons ingénieurs et techniciens – mais bien de les garder ! Et pour cela, il fallait développer une politique salariale, éducative et sociale. Enfin, en matière de santé et de sécurité, nos procédés sont risqués. Le test des câbles  peut provoquer de graves électrocutions. Nous avons fait le choix d’introduire dans nos usines chinoises les standards européens et internationaux.

 

Nexans a annoncé la suppression de plus de 300 emplois, notamment à Fumay (Meuse) et à Chauny (Picardie). Comment se présente l’avenir de l’industrie occidentale ?

Les usines européennes du groupe Nexans – 35 aujourd’hui – ont été restructurées entre les années 90 et 2000 et très peu d’entre elles sont aujourd’hui menacées. Elles tiennent grâce à de gros contrats européens de longue durée. Nos usines incluent R&D et recherche appliquée, ce qui les rend très compétitives.

L’industrie occidentale a un avenir, à condition qu’elle soit implantée en Chine, en Inde, en Russie, au Brésil, et avec des entreprises à 100% dans ces pays ! Nous faisons en sorte que nos filiales étrangères, notamment chinoises, leur paient des royalties. Du temps des joint-ventures c’était très difficile, mais depuis que la Chine est entrée à l’OMC c’est possible et légal ! Est-ce durable ? Oui, sauf à envisager le fait qu’un jour la Chine ne se replie sur elle-même, nationalise toutes les filiales étrangères. Mais ceci pourrait lui poser de très gros problèmes, car elle aussi dépend beaucoup des exportations.

 

Votre stratégie est-elle durable ?

Les Chinois progressent à toute allure. Ils sont en train de se faire homologuer. Ils commencent à avoir accès aux appels d’offres internationaux. Mais, ils ont encore peu misé sur le social et les RH. Prenons l’exemple du plus gros équipementier de téléphone chinois, Huawei, qui dépasse déjà Alcatel ou Motorola et qui devrait très vite atteindre le niveau de Nokia.

 

La loi chinoise sur les contrats de travail (votée il y a deux ans – lire l’article de Aiqing Zheng) a eu pour effet de requalifier les CDD continus pendant plus de 3 ans en CDI et ce à une époque où la quasi-totalité des contrats de travail dans le pays étaient des CDD, renouvelables chaque année. Lorsque la loi est entrée en vigueur, Huawei, l’un des premiers fournisseurs mondiaux de réseaux pour les télécoms, a licencié d’un seul coup des dizaines de milliers employés pour les réembaucher le lendemain, afin de ne pas avoir à appliquer la loi ! Le management chinois n’a pas encore vraiment compris l’intérêt et les moyens de fidéliser son personnel, notamment dans les zones côtières où se produit le boom économique.

A l’époque de la préparation de cette loi, nous avons d’ailleurs été consultés à titre informel par les autorités et appuyé leur souhait de faire progresser le droit du travail. A contre-courant des chambres de commerce européennes et américaines dominées par les « délocalisateurs », qui en protestant contre ces lois jugées trop protectrices ont fait une grave erreur !

 

La suite dans le prochain numéro: Chine : le social s’éveille (2)

Print Friendly, PDF & Email
+ posts

Haut Commissariat à l'engagement civique