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Labels, commerce équitable, le consumérisme politique s’est renouvelé en profondeur en Europe. Franck Cochoy, professeur de sociologie à l’Université Toulouse II et membre du CERTOP

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Les initiatives privées fleurissent pour promouvoir des produits équitables. Faut-il regretter ce que vous qualifiez d’avènement d’un droit mou ?

Les militants, et c’est ce qui les honore, défendent des valeurs et prennent position sur des enjeux dans la mesure où ils sont pressés. Ils veulent agir efficacement et rapidement, et n’ont donc pas la patience d’attendre que les autorités publiques se décident à agir. Le droit mou, c’est une manière d’avancer sans attendre. Cette injonction est globalement partagée par les militants et les entreprises. Les entreprises doivent afficher des engagements forts, et on observe donc un net enthousiasme pour les labels et les régulations volontaires. Il est toujours plus agréable de respecter une règle qu’on se fixe plutôt que celle qui vous tombe dessus. La RSE c’est ainsi une façon de garder la main, de répondre à des préoccupations sociales et consuméristes.

Le problème se pose lorsqu’on veut attester de la légitimité d’un label. Une initiative volontaire peut créer des effets difficilement réversibles, quand un label s’est implanté dans les pratiques et les mentalités. Le label Max Havelaar est solidement installé aujourd’hui. Un label imposé par le privé se différencie des labels des organismes de normalisation publics comme l’AFNOR en France. Ces derniers labels sont définis selon des règles qui font l’objet de statuts, par exemple tous les intéressés sont autour de la table (au moins de droit !).

Ce droit mou est donc un bon symptôme de l’impatience, qui parvient à dépasser d’ailleurs l’échelon national. Le commerce équitable est un phénomène intéressant, comparable aux ligues d’acheteurs du début du 20ème siècle récemment étudiées par Marie Chessel. (référence article : Chessel, M. (2003), « Aux origines de la consommation engagée : la ligue sociale d’acheteurs (1902-1914) », Vingtième siècle, n° 77, pp. 95-108) Ce sont des mouvements qui ont une pertinence tant que la régulation publique est trop faible. En 1905, la loi sur la répression des fraudes et les progrès de l’action publique ont accompagné leur déclin.

Les acteurs devraient-ils appeler à davantage de régulation publique, plutôt que de prendre des initiatives ?

Les instances internationales se mobilisent sur les conditions de travail, les normes de production. Il faudrait fusionner l’OMC et l’OIT pour gommer les paradoxes des deux institutions. L’OMC lutte contre les entorses au droit de la concurrence ; L’OIT promeut le progrès social, ce qui peut paraître comme une infraction à la concurrence.

Quelle est la place aujourd’hui des associations de consommateurs dans la mondialisation et en Europe ? Ont-ils une audience auprès de l’OMC, de l’OIT, de la Commission ?

D’après certains observateurs, les groupes de défense des consommateurs sont en train de se reconfigurer. En 50 ans, le consumérisme a fait des progrès. Il a dépassé les raisonnements simplistes autour des produits. Comme l’a montré Alexandre Mallard (référence : Mallard, A. (2000), « La presse de consommation et le marché. Enquête sur le tiers consumériste », Sociologie du travail, vol. 42, n° 3, pp. 391-409), il ne s’agit plus de prôner le choix de la meilleure machine à laver en toute généralité ; désormais le consumérisme admet que les consommateurs ont des goûts et des besoins divers. Sa raison d’être est cependant toujours ambiguë, car ce mouvement soutient la consommation et une économie matérialiste. Les partisans de la décroissance ne font pas partie du consumérisme le plus en vue.

Ce n’est pas simple. Aujourd’hui, l’instrument juridique le plus attendu en Europe, c’est la class action à l’américaine. L’Europe se saisit souvent de questions délaissées par les Etats, comme Reach sur les produits chimiques, ou bien la future directive sur l’étiquetage nutritionnel. En France, les partis politiques s’occupent très peu des questions de consommation, contrairement à celles du travail et de l’emploi. Pendant ce temps l’Europe avance sur ce qui n’est pas dans le débat public classique. Si une directive introduit les class actions, alors, il est possible que le gouvernement s’en arroge les lauriers.

 

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