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Comment notre démocratie se débrouille-t-elle d’une difficulté évidemment croissante à concilier une foultitude d’intérêts et d’exigences particulières des acteurs économiques, et la poursuite de l’action publique dans le sens du bien commun ?

 

ndp

Les éditions L.G.D.J, Collection Droit et Société, viennent de faire paraître Les nouvelles dimensions du politique, relations professionnelles et régulations sociales. Codirigé par Laurent Duclos, Guy Groux et Olivier Mériaux, l’ouvrage réunit les contributions de 22 chercheurs (13 chapitres et 4 parties) autour de cette question : « Comment la démocratie sociale s’articule-t-elle avec la démocratie politique ? ». Ces travaux, certes difficiles d’accès, se démarquent heureusement de la simple explication/dénonciation de ce qui « congestionne le pouvoir », ou « encombre la décision » au risque d’un « effet paralysant ». Les auteurs travaillent la compréhension historique, cherchent à interpréter les signaux faibles, notamment positifs, au-delà d’une posture critique ou d’un acharnement thérapeutique visant la survie d’institutions en perte d’effectivité comme de légitimité.

 

Impossible ici de résumer les apports sur le dialogue social en France qui s’éclairent les uns les autres. On en rendra un court aperçu à travers une double approche européenne ; celle du niveau de régulation supra national, avec le dialogue social européen, et les tentatives de dialogue social territorial en France et en Europe, avant de revenir sur la question de la représentativité.

 

Un dialogue social européen, impeccable sur le principe …

Deux contributions se penchent tout particulièrement sur l’Europe et le fonctionnement des institutions communautaires. Marie Laure Basilien éclaire la difficulté d’un empilement des niveaux de légitimité qui ne peuvent que se faire concurrence. Sur les intentions, tout va bien. Lors de la préparation d’une législation sociale, la Commission a l’obligation de consulter les représentants des employeurs et des salariés, qui peuvent s’emparer du sujet en formulant un accord. Ce dernier peut alors être transformé en norme communautaire, à la demande des parties signataires, par décision du Conseil et sur proposition de la Commission. L’application des textes ainsi adoptés s’effectue ensuite par négociations collectives au niveau national… En s’ouvrant à des acteurs autres que les autorités publiques nationales, les instances communautaires affirment leur attachement à la délibération, en faisant appel aux méthodes de la négociation et du compromis en vue de l’adoption et de l’application de décisions contraignantes. Ainsi en principe, les procédures de formation des décisions amplifient la participation.

 

mais bien décevant sur le plan normatif

En pratique, faute de disposer d’une légitimité représentative réelle (alors qu’elle est vivace au niveau national), l’Union Européenne est condamnée à promouvoir une légitimité des institutions par les outputs ; les résultats. Les instances communautaires ayant manifesté leur incapacité à produire des normes suffisamment nombreuses et contraignantes pour dessiner un modèle social européen, elles recourent aux partenaires sociaux qui se voient attribuer un rôle essentiel dans la décision, dans l’espoir que leur intervention soit plus efficace. Ce faisant, elle renforce le statut juridique des partenaires sociaux mais sa légitimité ne peut plus être envisagée que comme un supplément et non comme un suppléant. Du coup, à travers la reconnaissance du pluralisme juridique, elle promeut bien plus des pluralités (serait-ce au nom de l’adaptabilité) qu’une identité. Par ailleurs, si les destinataires de la règle en sont ainsi devenus les rédacteurs, ils ne constituent qu’un ordre juridique professionnel. Les textes restent soumis à l’ordre supérieur, celui des Etats, eux-mêmes encouragés à déroger. Il en résulte une distinction factice entre normes et décisions, règles législatives et règles opérationnelles, une perte d’homogénéité, une flexibilité discutable de l’application de la norme …

 

Ces faiblesses sont de fait sanctionnées par un travail long et d’un apport limité pour la majorité des citoyens dont les standards sociaux sont en général plus élevés que les prescriptions minimales fixées par les partenaires sociaux et « directivisées » par le Conseil (par exemple ; congé parental, CDD, TTP). Au flou de la représentativité des organisations consultées (dite « cumulée suffisante »), s’ajoute alors un risque de déresponsabilisation, tant au niveau communautaire que national. Arnaud Mias renchérit à la suite d’une étude des textes des directives. En remontant de la décision communautaire aux premières propositions dont la Commission garde la pleine et entière responsabilité, il constate que sur la forme, les textes sont très peu modifiés (il est vrai après parfois 12 à 20 ans de discussions préalables). Loin de négocier « à la place du Conseil », les partenaires sociaux s’inscrivent dans la continuité d’un travail entamé par les politiques, bien avant l’ouverture des négociations. Les projets proposés sont de-facto considérés par les négociateurs comme l’équivalent d’un consensus du Conseil (en situation de majorité qualifiée). Evidemment, cela limite fortement l’autonomie, « la part de créativité rédactionnelle » des négociateurs.

 

Un apprentissage utile

Pour autant, tout n’est pas négatif. Marie-Laure Basilien note que le dialogue social communautaire génère des mécanismes vertueux de reconnaissance de l’ordre juridique professionnel d’une part et d’apprentissage qui associent expérimentation, évaluation, interaction, coordination d’autre part. Les autorités nationales se voient investies dans des actions coordonnées au niveau communautaire (stratégie européenne de l’emploi par exemple) de sorte que soient mieux conciliées souveraineté et solidarité. Arnaud Mias insiste également pour souligner qu’au-delà d’une autonomie apparemment faible, si les partenaires sociaux interviennent peu sur les textes, ils influencent significativement le fond, en explicitant partout où il y a débats, la place qu’il convient de réserver aux acteurs habilités à mettre en œuvre les modalités d’application de la règle communautaire. Certes, le débat n’est pas sur les résultats à atteindre, mais sur les conditions de mise en œuvre, en reconnaissant un pouvoir aux organisations nationales pour évaluer la pertinence et les justifications des dérogations comme des modalités d’application, et ce n’est pas rien.

 

L’émergence du dialogue social territorial ; des caractéristiques communes en Europe

Dialogue Social 2

En France et en Europe, on assiste à une autre diversification des espaces de la négociation collective et du dialogue social, au niveau infra national. Ce sont les tentatives de régulation territoriales, en dépassement du rôle traditionnel des branches, en même temps que s’observe la tendance à la décentralisation et à l’autonomisation de la négociation d’entreprise. Annette Jobert, Fausta Guarriello et Eckhard Heidling ont mené une analyse comparative du dialogue social territorial en France, en Italie et en Allemagne. Il en ressort essentiellement des caractéristiques et des logiques communes, quelle que soient les configurations nationales. Dans tous les cas, le territoire n’est pas défini d’abord géographiquement ou administrativement mais comme espace d’action située. Ensuite, il prend en compte des sujets bien plus vastes que ceux dont s’empare le dialogue social classique comme le développement économique, l’innovation technologique, la lutte contre l’exclusion sociale ou encore le logement des saisonniers. Ces initiatives s’inscrivent dans une logique d’action, de projet et de programmation, bien plus que dans une logique d’extension de droits. Ce dialogue met en jeu un très grand nombre d’acteurs, en partenariat public-privé, nettement plus diversifiés. La confiance qui s’y établit ressort très clairement de tous les cas étudiés et se nourrit de la proximité et d’identité culturelle commune.

 

Pas de règle mais des éléments de méthode communs

D’un point de vue de méthode, si le premier enjeu consiste à identifier les acteurs et le second à élaborer un diagnostic partagé de la situation, ensuite, la règle est justement la variabilité des instruments et des dispositifs. Le dialogue social territorial se déploie avec des modalités organisationnelles variables (comités de pilotage, groupes de travail…) pouvant aller à des formes de contractualisation (engagement de progrès, accords territoriaux) mais dont le statut juridique reste flou, en tous cas incertain, non comparable aux accords collectifs bi ou tri partîtes. De ce fait, ces négociations ne s’inscrivent pas ou mal dans les schémas classiques des négociations collectives, en général plus formels. Au-delà, les auteur(e)s repèrent deux logiques dans les trois pays. La première est une déclinaison sur le plan territorial de la négociation sociale, plus fréquente en Allemagne ou en Italie qu’en France. C’est le cas tantôt autour d’une grande entreprise pour régler certains aspects des relations de sous-traitance par exemple (Chantiers de l’Atlantique), tantôt pour des accords dans l’artisanat ou encore sur l’intérim (Basse Saxe). Il intervient souvent pour compenser une faible représentation locale des salariés (collectifs de travail fragmentés et PME).

 

Plus nouvelle et ouverte, plus indéterminée et fragile est l’autre logique, désignée de « gouvernance territoriale ». Elle est souvent de l’initiative d’un acteur public, avec en général un très grand nombre d’acteurs et sur des sujets extrêmement diversifiés. Ces nouvelles formes sont à la fois le produit de la faiblesse des structures de représentations syndicales locales (en France) ou d’absence de stratégie territoriale (en Allemagne) à la différence de l’Italie. Dans tous les cas, elles interrogent le modèle vertical de la négociation sociale de branches et d’entreprises. Elle fait naître parfois la crainte des syndicalistes que la promotion du dialogue territorial ne se fasse au détriment de la négociation collective professionnelle, plus formalisée et offrant plus de garanties.

 

Le point de départ ; l’Etat n’est plus une autorité souveraine

In fine, que les Etats démocratiques soient coiffés par le haut, l’UE, ou débordé par le bas, les territoires, c’est clairement leur souveraineté et leur légitimité elles-mêmes qui sont en cause. Pour Laurent Duclos et Olivier Mériaux, la Loi devient un « instrument de l’efficacité économique » et le social n’est plus qu’un obstacle à l’universalisation des droits économiques. Ils citent Alain Supiot : « Aucune instance n’est habilitée à autoriser les Etats à exciper de considération sociales pour limiter le jeu du droit de la concurrence ». Paradoxalement, cela n’enlève rien à la centralité de l’Etat. D’une part, il n’est pas la seule institution condamnée à (se) trouver une nouvelle légitimité. D’autre part, le caractère « incertain » de la production normative des deux espaces qui le concurrencent, l’Europe et les territoires, oblige encore souvent à repasser par le niveau étatique. Ces limites génèrent évidemment un doute grandissant sur l’effectivité de l’action publique, et des interrogations parfois encore plus fortes sur le devenir des institutions censées « partager » politiquement sa définition et sa mise en œuvre plus ou moins négociée.

 

La représentativité, au fait, de quoi parle-t-on ?

Le détour par l’histoire des relations industrielles, la discussion de l’enjeu démocratique et les limites de la pensée théorique conduisent ainsi Laurent Duclos et Olivier Mériaux à une triple observation. L’entreprise elle-même a changé. « Le renouvellement du paradigme de l’entreprise -à travers la figure du réseau- précipite la crise de gouvernementalité appuyée sur un modèle hiérarchique de l’institution ». L’organisation du dialogue social présuppose toujours une organisation du pouvoir économique. Celle-ci emprunte désormais à la figure de réseau, mouvante, aux contours flous et à durée de vie limitée. Ces organisations, « sur le mode d’une hydre à plusieurs têtes », mettent en échec les représentations des collectifs de travail pensés en référence à des structures d’entreprises stables et fermées. Au-delà, les auteurs reviennent sur la capacité des représentations collectives à lier leurs actions et projets à un fondement qui les légitime et qui permette de les identifier.

 

A force de discuter de ce que font les organisations (leur fonctionnalités), on a perdu de vue l’intérêt d’une observation de ce qui les fonde comme institutions, c’est-à-dire, l’idée d’œuvre qu’elles ont à réaliser. Ainsi, ce ne serait pas tant (ou pas seulement) le syndicat qui s’épuise, que les solutions de gouvernement qui s’appuient sur des institutions dont la légitimité est en cause à trois titres. D’une part, lourdement hiérarchisée, le doute s’est installé sur qui, ou sur ce que l’institution représente exactement. D’autre part, nombre d’entres elles sont largement désorientées s’agissant de l’idée même qui les fonde.

 

Enfin, l’expérience répétée de leur inadéquation à l’évolution des autres pouvoirs économiques et politiques (financiers, supra ou infra nationaux….) use les représentants comme les attentes des représentés. Il faut donc, selon eux, être capable de repenser la représentativité, en la liant à la question de la responsabilité, non pas pour les raccrocher à « l’Acteur institutionnel » (le Medef, l’entreprise, le syndicat…), mais pour qu’elle s’impute à l’action et aux projets que forment les acteurs qui l’animent (tel ou tel directeur général, secrétaire national ou responsable local…). Enfin, mieux réguler pour eux suggère toujours de penser l’ordre, mais plus souvent sur le mode du temporaire que du permanent.

 

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Economiste, Science Pô et praticien de la sociologie, j’ai toujours travaillé la question des conditions de la performance d’un travail dont on ne sait pas mesurer la production, dont parfois même on ne sait pas observer la mise en œuvre. J’ai commencé avec la digitalisation du travail dans les années 80 à Entreprise et Personnel, pour ensuite approcher l’enjeu des compétences par la GPEC (avec Développement et Emploi). Chez Renault, dans le projet de nouveau véhicule Laguna 1, comme chef de projet RH, j’ai travaillé sur la gestion par projets, puis comme responsable formation, sur les compétences de management. Après un passage comme consultant, je suis revenu chez Entreprise et Personnel pour traiter de l’intellectualisation du travail, de la dématérialisation de la production…, et je suis tombé sur le « temps de travail des cadres » dans la vague des 35 heures. De retour dans la grande industrie, j’ai été responsable emploi, formation développement social chez Snecma Moteur (groupe Safran aujourd’hui).

Depuis 2018, j’ai créé mon propre positionnement comme « intervenant chercheur », dans l’action, la réflexion et l’écriture. J’ai enseigné la sociologie à l’université l’UVSQ pendant 7 ans comme professeur associé, la GRH à l’ESCP Europe en formation continue comme professeur affilié. Depuis 2016, je suis principalement coordinateur d’un Consortium de Recherche sur les services aux immeubles et aux occupants (le Facility Management) persuadé que c’est dans les services que se joue l’avenir du travail et d’un développement respectueux de l’homme et de la planète.