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Geoffroy Castelnau, Propos recueillis par Xavier Baron et Danielle Kaisergruber

Geoffroy Castelnau est Président du Groupe Sodesur composé de DPSA et EPI en sécurité privée, Altes en Accueil et Point Bleu en formation. Il est par ailleurs administrateur du Groupement des Entreprises de Sécurité (GES) et du Conseil National des Activités Privées de Sécurité (CNAPS)[1]. Metis s’est entretenu avec lui à propos des enjeux de son groupe et de ses convictions de chef d’entreprise.

Quel est le portrait de votre groupe ?

Plusieurs activités complémentaires : la sécurité privée, l’accueil et la formation, au service exclusif des entreprises. Nous avons fait depuis longtemps déjà le choix de proposer des prestations de qualité et d’installer autant que faire se peut des relations avec nos clients dans la durée. Notre plus ancien contrat date de 1991, c’est dire. Sachant que la société a été créée en 1980. Nous avons également fait le choix de ne pas répondre à certains Appels d’Offres : ceux qui correspondent à des marchés publics alors qu’ils représentent 30 % du marché de la sécurité, ceux de la grande distribution alors qu’ils en représentent 25 %. Nous évitons également de travailler en sous-traitance avec d’autres opérateurs (dit FMers) qui nous éloigneraient du client. Enfin nos entreprises se concentrent géographiquement sur la région parisienne qui représente à elle seule 48 % du marché français de la sécurité. Ce sont des choix de développement raisonnés et raisonnables sans opérations spectaculaires de croissance externe.

La recherche de la qualité du service est essentielle pour nous, nous avons recherché et obtenu la certification NF Services, ce qui est rare dans nos métiers, mais il faut en assumer les conséquences sur les prix. Et par ailleurs la qualité repose sur les compétences des salariés et la fiabilité de leur travail.

Les activités de sécurité sont exercées par DPSA Île-de-France qui compte 900 agents en CDI à temps plein pour 80 clients environ, les activités d’accueil par Altes Accueil comptent 200 hôtesses. Nous avons également développé en complément des activités de formation et donc d’ingénierie de formation avec Point Bleu qui propose à nos clients ou à d’autres entreprises 19 modules spécifiques à l’accueil en entreprise.

Pour donner un exemple de notre mode de développement, nous avons récemment signé de nouveaux contrats avec des Musées privés, dont le Musée Rodin ou le Musée de la Chasse. L’ensemble représente un groupe de 1400 personnes et un chiffre d’affaires de 45 millions d’euros, avec deux devises « la sécurité à taille humaine » et « votre Qualité dès notre Accueil ».

Quels sont les enjeux économiques et sociaux de vos activités en ce moment ?

La sécurité privée comme les activités d’accueil sont des marchés difficiles où s’exerce une très forte concurrence. Le secteur de la sécurité par exemple compte 11 000 entreprises, dont de très nombreuses entreprises uninominales et environ 3 000 véritables entreprises dont 200 seulement sont adhérentes au GES. Avec 35 M€ de CA et 900 agents, nous ne représentons que 3 % du marché (7 à 8 Md€), mais nous comptons déjà parmi les 20 plus grandes sociétés de sécurité privée en France. 70 % des entreprises du secteur de la sécurité privée emploient moins de 50 salariés. Si le secteur est mieux encadré depuis quelques années, la France reste dans une culture du prix et tire la profession vers le bas. Je ne comprends décidément toujours pas que les pouvoirs publics ne jugent pas nécessaire d’imposer aux entreprises de sécurité privée une garantie financière ou l’interdiction de la sous-traitance.

C’est encore plus vrai de l’accueil qui est un marché d’oligopole. Quelques entreprises (3 groupes) dominent le marché. De nombreux grands acteurs jouent uniquement sur les prix et se contentent d’être des « entreprises d’intérim » qui mettent à disposition des personnels sans considération particulière pour leurs caractéristiques, leurs compétences, leurs besoins et à plus forte raison leurs parcours professionnels. C’est une concurrence rude par les prix (taux horaires) qui n’exclut pas de nombreuses tricheries sur lesquelles on ferme hypocritement les yeux, pouvoirs publics compris.

Chez nos clients, on observe, comme de nombreux prestataires, que nos interlocuteurs ne sont plus les « directeurs des services généraux », ni les « directeurs de la sécurité » mais bien la direction des achats qui ne raisonne que de manière quantitative. Les patrons veulent de la qualité et les directeurs des achats veulent des taux horaires les plus bas possibles : mais on ne peut pas tout avoir ! Le règne des acheteurs est de retour dans le contexte actuel !

Les deux années de pandémie ont été difficiles, en particulier dans le secteur de l’accueil où les baisses de chiffre d’affaires ont été importantes. Malgré une réduction de 40 % et des pertes en 2020 sur notre activité Accueil, nous avons pu passer le cap grâce à l’activité Sécurité qui a été maintenue et au chômage partiel sans avoir besoin d’un PGE (prêt garanti par l’État). Dans l’ensemble du secteur de l’accueil, on a pu observer une baisse de qualité, ce qui en sortie de COVID redonne beaucoup de chances à la stratégie de haut de gamme et de qualité de notre groupe.

À condition de pouvoir recruter les salariés dont nous avons besoin : pour cela nous lançons en ce moment une campagne exceptionnelle de recrutement à des conditions très favorables pour les nouveaux embauchés, en s’appuyant sur les salariés de l’entreprise comme « ambassadeurs ». 

La sécurité et l’accueil sont deux secteurs très contrastés y compris dans les images qu’ils renvoient : l’un est masculin et évoque la force, l’autre est féminin et exige le sourire et la gentillesse. Comment est-ce que cela marche ensemble ?

Nous héritons sur ces métiers d’un imaginaire catastrophique, peuplé de stéréotypes ! La sécurité est devenue une valeur positive, le marché est en croissance et nous avons du mal à recruter, malgré notre très belle image. C’est différent sur l’accueil qui a beaucoup souffert pendant la crise. Il y a une forte reprise de la demande pour des offres de qualité, mais des salariés se sont éloignés, et nous avons toujours beaucoup de mal à facturer à des taux horaires décents. L’évolution des métiers fait que les hôtesses d’accueil peuvent et doivent être formées à certaines des compétences de la sécurité : gestes de secourisme, vigilance, contrôle sanitaire, surveillance d’écrans. En outre les activités qu’elles peuvent être amenées à faire vont en s’élargissant : gestion du courrier, services rendus aux visiteurs…

Malgré ces évolutions et un enrichissement des compétences, cela reste un emploi de jeunes et les parcours sont rares : le taux de turn-over est de 60 % dans la profession. Chez Altes Accueil, il est seulement de 30 % et de 8 % en sécurité. Nous en sommes fiers, mais cela reste un taux élevé en accueil.

Par ailleurs les deux métiers sont commercialement très complémentaires et de nombreux clients apprécient d’avoir le même interlocuteur pour les deux activités avec un package accueil/sécurité.

Votre groupe est connu pour avoir une forte politique sociale dans des secteurs qui ne sont pas réputés pour cela ?

C’est un choix assumé. Le groupe DPSA a reçu le Trophée de la sécurité pour sa politique sociale qui se traduit par des salaires (un peu) plus élevés que la moyenne de la profession, un ensemble de primes de qualité (correspondant à des compétences associées : parler anglais, maitriser certains aspects de la sécurité informatique), une prime « d’assiduité » qui vient récompenser un faible nombre d’absences, de retards ainsi qu’un usage modéré des différents types de congés, un minimum de 6 heures payées par vacation. 57 % des agents l’ont obtenue sur les dernières années.

Tout cela se fait dans le cadre d’un dialogue social nourri, en particulier avec la CFDT et de très nombreux accords d’entreprise (27) ont été signés.

Ça discute pas mal dans la branche de la sécurité en ce moment ?

Une nouvelle grille de classification, plus simple, avec moins de métiers repères et surtout un référentiel de compétences a été proposée par le Groupement des Entreprises de Sécurité : elle aboutirait en 2023 à une augmentation des salaires de 10 à 15 % et à un salaire d’entrée se situant à 12 % au-dessus du niveau du SMIC. Par ailleurs la reconnaissance des compétences permettrait que les formations autres que d’adaptation soient suivies d’une augmentation de salaire. Les négociations sont plus difficiles sur les revalorisations salariales de 2022 bien que les représentants de la branche soient sensibles au besoin de renforcer l’attractivité du secteur dans lequel les vocations sont rares et les salaires restent bas.

La question des niveaux de sous-traitance a également été abordée. Pour ce qui est de notre groupe, dans les contrats qui nous lient aux clients, nous excluons d’avoir plus d’un niveau de sous-traitance (dans la profession, il arrive qu’il y ait jusqu’à 8 niveaux de sous-traitance !) car cela rend impossible le contrôle du travail et de la qualité du service rendu.

[1] Le CNAPS est en charge, au nom de l’Etat, de l’autorisation et du contrôle des professionnels de la sécurité privée, qu’il s’agisse de personnes morales ou physiques et de faire respecter notamment le livre VI du code de la sécurité intérieure.

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Economiste, Science Pô et praticien de la sociologie, j’ai toujours travaillé la question des conditions de la performance d’un travail dont on ne sait pas mesurer la production, dont parfois même on ne sait pas observer la mise en œuvre. J’ai commencé avec la digitalisation du travail dans les années 80 à Entreprise et Personnel, pour ensuite approcher l’enjeu des compétences par la GPEC (avec Développement et Emploi). Chez Renault, dans le projet de nouveau véhicule Laguna 1, comme chef de projet RH, j’ai travaillé sur la gestion par projets, puis comme responsable formation, sur les compétences de management. Après un passage comme consultant, je suis revenu chez Entreprise et Personnel pour traiter de l’intellectualisation du travail, de la dématérialisation de la production…, et je suis tombé sur le « temps de travail des cadres » dans la vague des 35 heures. De retour dans la grande industrie, j’ai été responsable emploi, formation développement social chez Snecma Moteur (groupe Safran aujourd’hui).

Depuis 2018, j’ai créé mon propre positionnement comme « intervenant chercheur », dans l’action, la réflexion et l’écriture. J’ai enseigné la sociologie à l’université l’UVSQ pendant 7 ans comme professeur associé, la GRH à l’ESCP Europe en formation continue comme professeur affilié. Depuis 2016, je suis principalement coordinateur d’un Consortium de Recherche sur les services aux immeubles et aux occupants (le Facility Management) persuadé que c’est dans les services que se joue l’avenir du travail et d’un développement respectueux de l’homme et de la planète.

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Philosophe et littéraire de formation, je me suis assez vite dirigée vers le social et ses nombreux problèmes : au ministère de l’Industrie d’abord, puis dans un cabinet ministériel en charge des reconversions et restructurations, et de l’aménagement du territoire. Cherchant à alterner des fonctions opérationnelles et des périodes consacrées aux études et à la recherche, j’ai été responsable du département travail et formation du CEREQ, puis du Département Technologie, Emploi, Travail du ministère de la Recherche.

Histoire d’aller voir sur le terrain, j’ai ensuite rejoint un cabinet de consultants, Bernard Brunhes Consultants où j’ai créé la direction des études internationales. Alternant missions concrètes d’appui à des entreprises ou des acteurs publics, et études, européennes en particulier, je poursuis cette vie faite de tensions entre action et réflexion, lecture et écriture, qui me plaît plus que tout.