par C. Jolly,T. Klein, C.Mareuje, O.Passet,. M. Liegey
Quelle que soit l’ampleur de la création nette d’emplois, la croissance verte ne va pas susciter en masse de nouveaux métiers, mais va essentiellement contribuer à faire évoluer les emplois existants voire traditionnels. Extrait de la note de veille 2010 n°164 du Centre d’Analyse Stratégique parue dans Fenêtre sur l’Europe
En effet, la plupart des créations d’emplois recensées par les différentes études reposent sur des emplois du bâtiment, des transports, où il s’agit, d’après les professionnels eux-mêmes, de mettre en oeuvre les savoir-faire et gestes professionnels fondamentaux. Ce constat vaut aussi pour certains emplois directement environnementaux. La majorité des emplois créés dans les énergies renouvelables par exemple, sont des emplois non spécifiques de comptables, d’analystes informatique, d’avocats, etc. Il y aura néanmoins quelques métiers nouveaux, par exemple autour du conseil en énergie, de la protection de la biodiversité ou de l’éco-mobilité.
Des reconversions professionnelles nombreuses
Comme on l’a évoqué précédemment, la croissance verte va générer des réallocations de la main-d’oeuvre entre les secteurs dynamisés par la croissance verte et les secteurs qui seront au contraire fragilisés. Dans le cas de l’automobile, la réallocation sera intersectorielle si elle conduit à reporter la demande des ménages vers d’autres modes ou services de transports moins intensifs en carbone appelant des compétences très différentes ; elle restera intrasectorielle si la contrainte environnementale valorise des véhicules plus économes nécessitant des adaptations de métiers. Même si les créations d’emplois l’emportent sur les destructions, il ne sera pas aisé de faire migrer les salariés d’une activité à l’autre, y compris au sein d’un même secteur d’activité .
Des besoins importants en formation continue qui requièrent la mobilisation des nouveaux outils disponibles
Dans cette perspective, les besoins en compétences liés à la croissance verte peuvent se répartir en trois catégories :
– pas ou peu de compétences nouvelles, soit parce que les métiers incorporent déjà le développement durable (les métiers de l’environnement, eau, assainissement et déchets), soit parce que les impacts sur les métiers seront faibles (restauration) ;
– des compétences plus transversales qui relèvent d’une sensibilisation générale aux éco-activités, à l’éco-conception, etc. ;
– de nouvelles compétences approfondies en raison de nouvelles normes ou de nouveaux processus productifs, spécifiques à certains métiers (BTP, électromécanique et électricité, chimie), qui les font évoluer sans remettre en cause les savoirs techniques fondamentaux.
Pour l’essentiel, les compétences « vertes » viennent ainsi compléter des aptitudes techniques sectorielles qui demeurent essentielles aux yeux des professionnels des filières concernées et qui doivent elles-mêmes être maintenues ou renforcées. (…)
Ce panorama impose pour une part une évolution des formations initiales, qui doivent incorporer le développement durable plutôt que la création de nouvelles formations. Dans les Commissions professionnelles consultatives(CPC), les ministères certificateurs (Éducation nationale, Emploi, Affaires sociales, Agriculture, etc.) pourraient faire en sorte qu’un module ou un bloc de compétences développement durable soit incorporé à l’occasion de l’actualisation de chaque diplôme. De même, toute création de diplôme engagerait un examen similaire. C’est le moyen de rénover le stock de formation initiale et professionnelle existant.
Mais l’enjeu porte davantage sur la formation continue que sur la formation initiale, y compris parce que moins d’un jeune sur deux occupe un premier emploi correspondant à sa formation initiale.
La difficulté de la tâche réside dans des enjeux quantitatifs et qualitatifs. En effet, les volumes de personnels à former sont très importants et vont peser fortement sur les dispositifs de formation. En outre, toutes les filières ont souligné les enjeux de formation des formateurs comme préalable au développement des métiers. Enfin, les métiers de la croissance verte sont divers et hétérogènes, avec quelques métiers très qualifiés (cadres du BTP, des transports, etc.). Mais pour la plupart, ils sont occupés par des professionnels titulaires au plus d’un niveau Bac.
Pour répondre à ces besoins divers, il faudra agir sur l’offre de formation professionnelle car elle est souvent atomisée, hétérogène et essentiellement positionnée sur le secteur des services. Dans le domaine de la croissance verte, en particulier dans le bâtiment, se posent en outre des enjeux de financement de plateformes de formation (nouveaux matériaux, nouvelles techniques).
Les nouveaux outils de financement et de gouvernance de la formation professionnelle constituent de réelles opportunités pour la formation des professionnels de la croissance verte et doivent être mobilisés largement dans cette voie.
Les outils de la formation professionnelle ont été largement réformés au cours de la dernière décennie, en particulier suite aux lois du 4 mai 2004 et du 24 novembre 2009 sur la formation professionnelle, qui associent l’État, les branches et les régions. Par souci d’efficacité et sans ajouter à une complexité institutionnelle réelle, il est préférable d’insérer les formations au développement durable dans les dispositifs de droit commun.
Le Fonds d’investissement social (FISO) et le Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels (FPSPP) pourraient être mobilisés au travers d’un ou plusieurs appels à projets ciblés sur les compétences nécessaires à la croissance verte.
Par ailleurs, les besoins en formation relevant pour une bonne part d’actions de sensibilisation, c’est-à-dire d’opérations peu exigeantes en volumes horaires, il conviendrait également de rendre les formations en développement durable éligibles au droit individuel à la formation (DIF), qui permet de cumuler 120 heures de formation sur 6 ans. En matière de financement, il apparaît néanmoins nécessaire que les OPCA puissent aider les entreprises à financer les actions de formations mises en oeuvre dans le cadre du DIF. Les branches concernées par la croissance verte et par des besoins de sensibilisation pourraient définir des DIF prioritaires sur ce champ du développement durable.
Un enjeu de signalement des compétences et d’identification des certifications professionnelles
Une partie des métiers concernés par la croissance verte connaît déjà des tensions sur les recrutements , soit par manque d’attractivité (assainissement et traitement des déchets, pêche), soit par forte rotation de la main-d’oeuvre (tourisme, réparation automobile), soit, mais plus rarement, par insuffisance de l’offre de personnes qualifiées ou l’inadaptation de la qualité des qualifications des demandeurs d’emploi. Dans le bâtiment, les tensions recouvrent aussi une dimension fortement conjoncturelle, suivant les évolutions desmises en chantier. Le contexte démographique, la crise économique récente et le plan de mobilisation nourrissent des risques élevés de tensions sur les recrutements dans de nombreux métiers.
Certaines tensions ne seront que temporaires, car une partie des emplois créés par la croissance verte ne sera pas pérenne : construction des infrastructures de transport, mise en oeuvre du règlement européen REACH sur le stock de substances chimiques, installation d’une nouvelle génération de compteurs électriques intelligents « Linky ».
Dès lors, la croissance verte ne peut constituer un levier de redynamisation de l’économie française que si elle contribue à la mobilité professionnelle en son sein. C’est une nécessité pour la croissance verte elle même, pour faire face aux enjeux de reconversions professionnelles liés aux impacts négatifs d’une mutation vers une économie durable. C’est également un impératif pour le reste de l’économie, sous peine d’accroître la segmentation du marché du travail français, tendance à l’oeuvre actuellement en raison de la crise.
Cette exigence suppose que ces métiers gagnent en attractivité. En effet, pour une bonne part, les métiers de la croissance verte se situent à ce jour plutôt dans le bas de la hiérarchie salariale, ce qui traduit en partie la faiblesse relative des niveaux de qualification. Ces difficultés résident également dans un poids important des contrats temporaires (CDD, intérim) et/ou du temps partiel dans certains métiers.
Des efforts doivent être entrepris pour valoriser ces métiers. Leur verdissement peut y contribuer, comme en témoigne l’attractivité des formations environnementales. Cette situation suppose donc des actions de communication mais aussi des évolutions de pratiques de gestion de l’emploi dans les secteurs et métiers concernés (féminisation, amélioration des rémunérations, développement des perspectives de carrière…). En outre, il importe que ces évolutions de la gestion de l’emploi et d’amélioration des conditions de travail s’inscrivent dans la durée.
Il faut veiller en particulier à ce que la croissance verte ne contribue pas en elle-même à nourrir ces tensions en faisant émerger par exemple l’idée trop systématique d’emplois ou de compétences excessivement spécifiques (« emplois verts ») ou en nourrissant des dispositifs trop exclusivement sectoriels (en veillant à transférabilité des compétences).
Dans cette perspective, la croissance verte soulève des enjeux de signalement des compétences et de développement de la mobilité professionnelle
Ils nécessitent que soient identifiées plus clairement les compétences requises par les métiers de la croissance verte. L’identification des compétences et des certifications professionnelle (diplômes, titres professionnels,certificats de qualification professionnelle…) est du ressort de la Commission nationale de la certification
professionnelle (CNCP) qui gère le Répertoire national de la certification professionnelle (RNCP). À cet égard, les compétences liées au développement durable correspondant à des compétences transversales peuvent désormais être recensées par la CNCP dans un inventaire spécifique (article 22 de la loi du 24-11-2009).
Pour partie, ces compétences sont déjà disponibles sur le marché du travail et attendent d’être signalées, notamment chez les salariés des secteurs touchés négativement par la contrainte environnementale. L’enjeu est d’importance car, si les salariés ne sont pas en mesure de faire reconnaître et de valoriser leurs compétences, ils auront peu d’incitations à les développer tout au long de leur carrière.
Parmi les outils de signalement de compétences, encore peu développés en France, la méthode de recrutement par simulation (MRS), popularisée notamment par Pôle emploi, pourrait être largement mobilisée en introduisant des « gestes développement durable » dans ses tests d’aptitude. Il en va de même de la validation des acquis de l’expérience (VAE), susceptible d’être promue par les acteurs professionnels dans le cadre de la croissance verte.
Pour lire l’intégralité de l’article :
Fenêtre sur l’Europe : La croissance verte : quels impacts sur l’emploi et les métiers ?
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