par Marie Wierink
La chute du gouvernement néerlandais en mars dernier a provisoirement suspendu la discussion au parlement d’un projet de réforme du système de retraite. En attendant les élections, les partenaires sociaux tentent de reprendre la main sur ce dossier et notamment la question de la pénibilité
La crise financière de 2008/2009 a poussé le gouvernement à prendre des mesures d’austérité pour contrer la dégradation des finances publiques. Parmi celles-ci, le recul de l’âge de la retraite de base à 67 ans (AOW) a constitué, du côté des dépenses sociales, un projet de réforme phare. Les trois composantes du Conseil Economique et Social ont eu six mois pour s’entendre sur une réforme qui réponde aux défis de la soutenabilité financière et démographique. Dans ce contexte d’évolution de la protection sociale, toutes les voies de sortie du marché du travail ont été progressivement fermées : durcissement du régime d’inaptitude, arrêt des pré-retraites, réduction de la durée d’indemnisation du chômage. Pourtant, les salariés s’arrêtent en moyenne de travailler vers 61 ans. Le projet de réforme gouvernemental a été vivement combattu par les organisations syndicales, la FNV (le plus grand syndicat néerlandais) en tête. Au 31 octobre la concertation a échoué et le 16 décembre 2009, le gouvernement envoyait à la Deuxième Chambre un premier projet.
L’échec de la concertation n’a pas tenu au traitement des emplois pénibles mais aux répercussions du projet de réforme sur les fonds de pension professionnels, domaine réservé des partenaires sociaux. Il n’en demeure pas moins que le traitement de la pénibilité du travail a cristallisé de fortes oppositions entre les participants aux discussions. Aux discours plaidant l’adaptation du régime au ratio cotisant/inactif, et face à l’avantage que représente pour l’emploi et les finances publiques le prolongement de l’activité professionnelle, les syndicats ont opposé la situation dégradée des seniors sur le marché du travail et l’injustice sociale d’une mesure ne prenant pas en compte la pénibilité des emplois et de la vie professionnelle. Au cours de ce débat qui n’est pas clos, puisque la chute du gouvernement le 20 février dernier a entraîné le gel du projet jusqu’à la formation d’un nouveau gouvernement, sont ainsi apparues plusieurs visions de la pénibilité et des politiques qu’elle pourrait appeler.
Pour le gouvernement, mobilité professionnelle plutôt que retraite
Le projet de réforme transmis par le gouvernement au Parlement prévoyait de relever, à compter du 1er janvier 2010 et pour tous les Néerlandais (à l’exception de ceux ayant atteint 55 ans et plus), l’âge d’accès à la retraite de base à 67 ans, en deux étapes : 66 ans en 2020 et 67 ans en 2025. Ce projet encadre de manière très restrictive et avec forte décote (8 % pour un départ à 66 ans, 14 % à 65 ans) la possibilité d’accéder au régime avant 67 ans. Cette possibilité est réservée aux carrières longues (42 ans) et aux actifs à temps plein sur les 15 dernières années, ce qui écarte de facto un grand nombre de seniors, tout particulièrement les femmes. Aucune exception n’est faite pour les emplois pénibles. En revanche, le projet prévoit après 30 ans d’activité dans de tels emplois – définis de manière très restrictive – une nouvelle obligation à la charge de l’employeur : reclassement dans un emploi moins lourd ou paiement d’une indemnité de 140 % du salaire annuel, mobilisable à 65 ans. Les emplois concernés sont ceux qui entraînent une usure physique particulièrement forte et irréversible. Les partenaires sociaux des secteurs professionnels caractérisés par un taux de mise en inaptitude continûment supérieur à la moyenne sont invités à proposer des listes d’emplois à forte pénibilité au Ministre des Affaires sociales qui aura le dernier mot sur la fixation de cette liste. Restent en dehors de ce périmètre, les emplois à forte charge psycho-sociale ou psycho-émotionnelle, pour lesquels on ne pourrait parler d’irréversibilité et auxquels devront répondre des politiques de prévention et d’amélioration des conditions de travail.
Cette proposition visant à obliger le reclassement des travailleurs âgés à des postes moins pénibles a suscité une levée de boucliers. D’abord des employeurs -surtout des PME- faisant valoir leurs faibles possibilités de reclassement et l’injustice de la sanction financière dont ils sont menacés en cas d’échec. Puis, les organisations syndicales ont fait valoir l’irréalisme d’un emploi stable de 30 ans dans la même entreprise, l’impossibilité d’organiser convenablement la traçabilité financière des emplois pénibles occupés et enfin le caractère dissuasif d’un tel dispositif pour les employeurs, qu’il s’agisse de l’embauche de travailleurs en fin de carrière sur des postes physiquement lourds ou du processus de négociation devant conduire à la définition des emplois pénibles .
Il semble que cette piste de la mobilité ou de l’indemnité compensatrice n’ait guère de chances d’être reprise par le nouveau gouvernement, personne ne croyant à sa faisabilité, notamment pas le parti socialiste PVDA, qui soutenait pourtant le gouvernement sortant.
Pour les syndicats, choisir l’âge de sa retraite, sans pénalités
Pour les syndicats, il est inacceptable de ne pas tenir compte de la pénibilité de la vie professionnelle dans l’accès à la retraite. Les salariés les plus exposés sont aussi ceux qui ont commencé à travailler le plus jeune et dont l’espérance de vie en bonne santé est la plus faible. Ils s’appuient sur les travaux d’épidémiologistes, gériatres ou démographes mettant en évidence les inégalités de santé, d’espérance de vie et d’exposition aux maladies chroniques après 50 ans. Ils sont donc particulièrement pénalisés par tout recul de l’âge de la retraite. La position syndicale n’est pourtant pas jusqu’auboutiste. Si les syndicats ont refusé initialement d’envisager tout recul de l’âge de la retraite AOW, ils ont évolué au cours de la concertation vers une position plus souple, exigeant une flexibilité de l’âge de la retraite entre 65 et 70 ans, sans pénalité financière, qui permettrait à ceux qui ont commencé à travailler le plus tôt, ou qui ont été mis sur la touche, de demander leur allocation de base mais avec incitation financière pour ceux qui choisiraient de prolonger leur vie professionnelle. Ainsi, la pension de base des travailleurs exposés à la pénibilité ne serait pas dégradée par rapport à la situation présente.
Utiliser le critère des bas salaires ou des longues carrières pour identifier la pénibilité
Devant l’impossibilité d’obtenir un assouplissement de la position gouvernementale et face au projet de réforme, le syndicat FNV Bondgenoten, représentant le secteur privé, fait fin décembre 2009, une proposition alternative -provenant du syndicat de la Métallurgie- visant à substituer à la notion controversée de métiers pénibles un plafond de rémunération de 35 000 euros annuels. Tout travailleur rémunéré en-deça de ce plafond serait considéré comme exposé à la pénibilité physique ou psycho-sociale du travail et pourrait conserver le droit à la retraite de base à 65 ans. Pour Jan Berghuis, auteur de cette proposition, 90 % des emplois pénibles sont situés sous ce plafond de salaire. Cette piste aurait l’avantage de clore les discussions sans fin sur leur définition. Sa proposition rencontre l’accord de la seconde organisation syndicale CNV et même l’intérêt de l’organisation patronale des grandes entreprises VNO-NCW. A côté des travailleurs du bâtiment ou de l’industrie, seraient aussi inclus une partie des travailleurs du secteur sanitaire et social et les nouveaux OS des services. Curieusement, les employeurs réagissent de manière ouverte à cette méthode qui a le mérite de la simplicité et discutent seulement du seuil de salaires à considérer, le trouvant trop haut par rapport au salaire moyen de 32 000 euros. Le ministre des affaires sociales ne tardera pas à refuser cette proposition.
Une autre piste, plus classique, consiste à prendre en considération la durée de vie active, 40 ans pour les uns (comme pour le VVD, parti libéral), 45 ans pour les autres (le syndicat CNV par exemple au début des discussions), pour maintenir un accès à la retraite de base à 65 ans. L’une et l’autre de ces pistes consistent à trouver en quelque sorte des « équivalents fonctionnels » à la notion de pénibilité des emplois.
Pour les experts, substituer dans l’analyse le style de vie à la pénibilité du travail
La question de la pénibilité continue d’alimenter les discussions. Sweder van Wijnbergen (Université d’Amsterdam, et ancien secrétaire général du Ministère des Affaires économiques) et Lans Bovenberg (Université de Tilburg, directeur du réseau Netspar, et membre du Conseil Economique et Social, 3ème collège) interviennent en janvier 2010 dans le débat pour contester le lien entre conditions de travail et espérance de vie, renvoyant davantage ces inégalités au style de vie « Les différences en espérance de vie entre les riches et les pauvres ne viennent pas tant de l’usure au travail, que du style de vie plus nuisible à la santé des personnes en situation socio-économique fragile. C’est navrant qu’après la retraite, la plupart du temps, ces habitudes de vie se dégradent encore. C’est justement le fait de les libérer tôt en les mettant à la retraite qui augmente les différences de santé entre les riches et les pauvres » écrivent-ils. Sous des dehors statistiques, s’ouvre ici une discussion qui rappelle les débats sur l’amiante ou les accidents du travail. D’une telle analyse découlent les contours d’une politique à la fois de retraite et d’emploi des seniors. Les auteurs proposent de créer des emplois sociaux de proximité, assortis d’un revenu minimum fixé à un niveau local pour les seniors qui resteraient sur la touche avant l’âge d’accès à l’AOW, ce qui permettrait de les maintenir en activité et en meilleure forme. Envisageant tous les cas de figure, ils évoquent en dernier recours pour ceux qui seraient dans l’obligation de recourir à la retraite de base avant l’âge de 67 ans la possibilité d’une allocation AOW avec 8 % de décote par année manquante, complétée par un filet de sécurité ultime qui consisterait en une allocation complémentaire éventuelle pour atteindre le niveau du revenu minimum.
D’autres voies à explorer ?
La chute inattendue du gouvernement a suspendu le cours d’une réforme qui semblait très engagée, malgré la résistance des organisations syndicales et des partis d’extrême gauche (SP) et d’extrême droite (PVV) qui aiguillonnent sérieusement les partis traditionnels. Cette période est mise à profit par les partenaires sociaux pour reprendre les contacts. On apprend en effet en mars que la FNV, le plus grand syndicat néerlandais, et VNO-NCW, l’organisation représentant les grandes entreprises, ont entamé des pourparlers dans l’objectif de proposer au futur gouvernement « un accord auquel le gouvernement ne pourra pas dire non », selon B. Wientjes, patron des patrons néerlandais. Ces négociations reviennent sur la question de la retraite de base mais concernent surtout l’adaptation des règlements des fonds de pension qui versent les retraites complémentaires, dont la nécessité est reconnue par les organisations syndicales, et dont elles entendent rester maîtres avec les organisations patronales.
Des articles récents dévoilent deux nouvelles pistes. Au plan politique, pour les travaillistes du PVDA, on pourrait mettre en place un test « d’usure » (slijtagetest) passé à 64 ans qui ouvrirait à ceux pour qui le test serait positif le bénéfice de la retraite de base et professionnelle à 65 ans. Du côté des partenaires sociaux, la FNV réfléchit à un âge de départ en retraite différencié par branches professionnelles selon l’espérance de vie par branche, qui serait défini dès lors que les travailleurs atteindraient 55 ans, avec un paramétrage financier de 40 ans de cotisations aux fonds de pension pour assurer 20 ans de retraite complémentaire à taux plein, conformément aux règles de fonctionnement des systèmes par capitalisation. Selon la FNV, en tenant compte des différences d’espérance de vie entre les peu qualifiés et les autres, ceci serait plus juste que d’adapter l’âge de départ en retraite à l’allongement moyen de l’espérance de vie. Enfin, qui voudrait s’arrêter plus tôt toucherait une pension réduite, et qui travaillerait plus longtemps une pension améliorée. Selon la FNV, une telle solution se combinerait avec la revendication du choix de l’âge d’accès à la retraite de base entre 65 et 70 ans, défendue par les trois organisations syndicales représentatives, FNV,CNV et MHP.
Comme on le voit, le gel de la discussion parlementaire sur le recul de l’âge de la retraite ne signifie pas le retour au point mort des discussions. Au contraire, la période électorale et les longs mois nécessaires à la formation d’un gouvernement de coalition aux Pays-Bas permettent à toutes les parties prenantes de se repositionner sur la retraite et tout particulièrement aux partenaires sociaux de tenter de reprendre la main sur le dossier de la pénibilité.
Marie Wierink, collaboratrice extérieure à la chronique internationale de l’Ires
Pour en savoir plus :
– Pour une présentation plus complète du projet de réforme et de la concertation qui l’a accompagné, voir Wierink M., « La retraite à 67 ans, un projet de loi qui divise les Pays-Bas », dans Chronique internationale de l’Ires, n° 122, janvier 2010.
– J. den Blijker, « Inkomen betere toets voor AOW dan lijst van zware beroepen », Trouw, 29 dec 2009
– Sweder van Wijnbergen, Lans Bovenberg, « Het is niet het zware beroep, het is de levenstijl », Me Judice, jaargang 3, 21 januari 2010,
– M. Tamminga, « Val van kabinet schept nieuwe kansen voor pensioenakkoord », NRC 2/3/2010
-Frank van Alphen, « FNV wil pensioenhoogte koppelen aan levensverwachting », Volkskrant, 1er avril 2010 et « Geen lichter werk meer na dertig jaar », 21 avril 2010 (http://www.fdselections.nl/pensioen/Nieuws/UithetFD/articleType/ArticleView/articleId/6351/Geen-lichter-werk-meer-na-dertig-jaar.aspx)
– Rappelons que la retraite de base est une pension universelle par répartition versée à toute personne résidant aux Pays-Bas, proportionnellement à sa durée de résidence dans le pays entre 15 et 65 ans, et sans aucune condition d’activité professionnelle. Pour la plupart des actifs, elle est complétée par une pension professionnelle, constituée dans le cadre des fonds de pension par capitalisation, de branche à gestion paritaire, ou d’entreprise.
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