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par Pierre Tartakowsky

La négociation sur le portage salarial a duré deux années. Metis revient sur le film de l’événement et en analyse les enjeux avec Anne Braun, docteur en droit, conseillère confédérale à la CGT qui, à ce titre, a participé aux négociations.

 

portage

Pouvez vous rappeler rapidement dans quel contexte surgit la négociation sur le portage salarial et pourquoi la CGT y a pris part ?

 

Le portage était une pratique de fait illégale, jusqu’à ce que l’accord interprofessionnel dit de modernisation du marché du travail la légalise. A l’exception de la CGT, toutes les organisations syndicales avaient signé cet accord et il a été transcrit dans la loi ; ceci étant, son effectivité restait faible. Le portage devenait légal, mais dans un cadre qui restait flou. La définition plus fine de ses applications était renvoyée aux protagonistes sociaux et à une négociation. Pour le représenter, le Medef avait désigné le Prisme (Professionnels de l’intérim, services et métiers de l’emploi). La CGT a choisi d’entrer dans la négociation tout en restant fermement opposée au principe du portage, qui constitue à ses yeux une étape supplémentaire vers toujours plus de flexibilité et d’individualisation. Mais la question de la légalité ayant été tranchée, la priorité consistait à définir un encadrement, à créer les conditions d’une défense efficace des salariés concernés et corrélativement, à éviter un effet de généralisation de cette formule. Cette position a d’ailleurs été parfaitement comprise par nos partenaires de l’intersyndicale.

 

Quel type de problème soulève le portage à vos yeux ?

C’est une relation triangulaire qui relève de la quadrature du cercle ! Elle est triangulaire puisqu’elle met en lien un salarié et deux entreprises. Celui-là est chargé d’aller les démarcher et de négocier la prestation qu’il leur propose. Une fois qu’il a décroché son marché, il lui revient de chercher une entreprise de portage, avec laquelle il noue une relation contractuelle, sous forme d’un contrat de travail. Elle-même établit de son côté un contrat commercial qui la lie à l’autre entreprise. Ce qui nous fait deux contrats et une équation juridique impossible à résoudre. En effet, ce qui caractérise un contrat de travail, c’est une rémunération, un lien de subordination et le fait que l’employeur fournisse du travail au salarié.

 

En l’espèce ce troisième élément est absent et on a donc une forme d’emploi qui va à l’encontre des fondamentaux du droit du travail. Face à quoi, notre état d’esprit lorsque nous entrons en négociation, c’est de faire en sorte que les « portés » soient des salariés à part entière. Le Prisme lui, proposait purement et simplement d’en rester à des contrats commerciaux, excluant de fait la personne intéressée de la sphère du salariat. Ils proposaient une forme d’assimilation au régime du salariat, mais sans accès aux allocations-chômage par exemple.

 

Quels sont les facteurs qui ont fait évoluer la négociation ?

Nous avions un appui légal fort, le texte de loi stipulant que la personne portée bénéficierait du régime du salariat. Mais, comme je l’ai indiqué, cette rédaction restait par trop générale. Pour les organisations syndicales, il s’agissait de faire en sorte que les « portés » bénéficient des mêmes sécurités que les autres salariés. L’élément dynamique majeur dans ce contexte a été l’unité syndicale, qui s’est véritablement érigée en norme de travail pour les organisations qui ont élaboré en commun une sorte de plateforme, basée sur des principes fondamentaux qui dessinaient des limites. Le premier principe concernait le public visé ; le portage ne devait s’adresser qu’aux cadres, autour de la fourniture d’une prestation intellectuelle. Le second, c’est qu’il devait y avoir deux contrats distincts et non assimilables, le contrat de travail devant rester un contrat de droit commun. Logiquement, le salaire devait correspondre à la charnière Arrco-Agirc ; enfin, nous réclamions l’exclusivité.

 

Autrement dit, les entreprises qui souhaitaient se consacrer au portage ne devaient faire que cela. Pas question d’aller vers des entreprises mêlant allègrement portage, intérim et autres formes atypiques d’emploi. La confrontation a duré plusieurs mois, autour de finasseries juridiques ; mais la crispation de la partie patronale s’organisait en fait autour à deux thèmes majeurs : le salaire et l’exclusivité.

 

Quelles étaient les raisons de cette crispation ?

Le niveau de salaire est connecté au statut, en l’occurrence le statut cadre, dont les employeurs ne voulaient pas, car il limitait de fait le champ de « recrutement ». Quand à l’exclusivité, on peut penser que certains acteurs du travail temporaire auraient souhaité s’arroger le portage, moins du fait de son importance numérique que pour les effets d’aubaine que cela aurait ouvert. Par exemple, transformer ses intérimaires en « portés », opération déjà avantageuse en soi, et toucher de surcroît une prime pour aide au reclassement d’emploi. Le 10 juin 2009, le Prisme a donc présenté ses propositions sous forme d’ultimatum, pressé d’entrer sur ce marché et de faire pièce a la concurrence de quelques entreprises indépendantes déjà présentes.

 

C’était sous-estimer les dynamiques syndicales ; le refus a été unanime. Du fait de la nouveauté de l’objet et de la composition des délégations syndicales, les débats s’étaient déroulés près du terrain, intégrant expériences pratiques et considération stratégiques, nourrissant l’unité de façon très vivante, très pratique. Cette dimension unitaire a été décisive face aux employeurs, et elle perdure au-delà de la période de négociation puisque les organisations continuent à échanger de façon régulière sur le suivi de la négociation.

 

Comment la négociation s’est-elle achevée ?

Quatre organisations syndicales – dont la CGT- ont présenté des contre-propositions sur lesquelles elles se déclaraient prêtes à s’engager. Il s’agissait de propositions acceptables ; elles incluaient un salaire calculé sur le plafond de la sécurité sociale, soit légèrement moins que l’Arrco Agirc, le recours au contrat de travail de droit commun, donc pas de contrat de type nouveau ; enfin, l’exclusivité et un champ d’application strictement limité aux fonctions d’expertise, de formation, de hautes prestations intellectuelles.

 

La partie patronale s’est inclinée. Le résultat est d’autant plus intéressant que le texte final stipule que l’accord ne sera lui même appliqué qu’après une modification de la loi, ce qui implique un débat à l’Assemblée nationale, durant lequel nous entendons jouer notre rôle, notamment sur le cahier des charges des entreprises qui se consacreront au portage, par exemple en matière de formation, d’accompagnement. L’idée étant d’éviter que les entreprises de portage déguisent du travail indépendant en travail porté.

 

 

 

Définition du portage salarial selon le Code du travail français

L’article L1251-64 du Code du travail définit le portage salarial comme étant « un ensemble de relations contractuelles organisées entre une entreprise de portage, une personne portée et des entreprises clientes comportant pour la personne portée le régime du salariat et la rémunération de sa prestation chez le client par l’entreprise de portage ».

 

portage graph

Source : www.guideduportage.com

 

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