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En Europe, 10 % de la population active travaille dans le secteur de la santé (7 % dans les hôpitaux). Alors que le secteur connaît une pénurie de main d’oeuvre, de nombreux médecins et soignants abandonnent prématurément leur profession à cause de leurs propres problèmes de santé, voire par épuisement professionnel. Plusieurs enquêtes européennes dressent un diagnostic sévère et une liste de priorités pour améliorer les situations de travail.

 

Plusieurs enquêtes identifient les facteurs d’insatisfaction et de souffrance au travail. Tout d’abord, chez les soignants (infirmières et aide-soignants), c’est l’enquête européenne NEXT (Nurses’ Early Exit Study, la sortie précoce de l’emploi des soignants) avec son volet français PRESST (Promouvoir en Europe santé et satisfaction des soignants au travail). Puis, à la demande des médecins français, le même questionnaire Presst a été distribué aux intéressés, au sein d’une enquête intitulée SESMAT (Santé Et Satisfaction des Médecins Au Travail). Les médecins ont donné exactement les mêmes appréciations que les soignants sur les situations de travail et de vie, et les difficultés qu’ils rencontrent dans l’exercice de leur métier.

 

sante presst 3

 

En Allemagne, en France et en Italie, les préoccupations achoppent sur la faible qualité du travail d’équipe, à cause de « temps de chevauchement » trop courts. Que ce soit pour les soins à apporter aux patients ou l’organisation même du travail (changement des plannings, etc), le personnel n’a ni d’espace, ni de temps pour se concerter. Au Pays-Bas, en Norvège ou encore en Belgique, la situation est meilleure, davantage de concertation, moins d’interruptions évitent le burn out (épuisement professionnel).

 

Ainsi, NEXT révèle que la santé des soignants néerlandais est la meilleure. A contrario, l’état de santé des soignants allemands est celui qui est le plus préoccupant, avec un score de burn out élevé, un fort score de handicap lié aux lombalgies et une durée moyenne d’arrêt maladie plus longue que la moyenne. NEXT attire également l’attention sur les problèmes de santé physique et mentale des soignants polonais et slovaques, qui sont de loin les plus sévères, alors qu’ils déclarent moins de jours d’arrêt maladie que les Allemands. La Cour Européenne de Justice a lancé des procédures d’infraction contre la Grèce et l’Irlande qui font travailler les jeunes médecins 85 à 90h par semaine. Elle ne le fait pas contre la Roumanie ou la République Tchèque, qui ne peuvent pas faire autrement vu le manque de spécialistes.

 

 

Le travail d’équipe
« Il faut renforcer les équipes soignantes, explique Madeleine Estryn-Behar, médecin du travail, spécialiste de la souffrance au travail du personnel de santé qui a co-dirigé toutes ces enquêtes. De la qualité du travail d’équipe dépend la qualité du travail et des soins. Les résultats de ces études démontrent que quand le travail d’équipe est bon, le personnel se sent bien ».

 

Les statistiques donnent l’ampleur du problème. Les observations ergonomiques montrent les déterminants des difficultés. Ainsi, lorsque la durée de séjour moyen d’un médecin ou d’une infirmière dans une chambre est de 2 minutes. Celle d’un aide-soignant est de 5 minutes lorsqu’il fait des toilettes et des lits. Si un patient fatigué veut parler, il y aura mathématiquement plus de chance qu’il se confie à l’aide soignant. L’ aide-soignant est à même de repérer un état dépressif, des troubles de l’équilibre, une incompréhension des examens et des traitements envisagés. En France, le budget de l’assurance maladie correspond pour plus de 60% à des malades souffrant d’affection de longue durée et de polypathologies, prendre mieux en compte leurs difficultés pour une bonne observance en associant patients et soignants serait plus efficace.

 

Les soignants se plaignent de la disparition progressive d’occasions d’échanger. Une mauvaise circulation de l’information est souvent en cause dans les erreurs et évènements indésirables ou dans le déclenchement d’épisodes violents de patients comprenant mal ce qui se déroule. Paramédicaux et médecins sont pressés par le temps, ce qui malmène les moments de transmission des informations, ils discutent peu ensemble lors des transmissions entre les équipes qui se succèdent. Les nouvelles organisations réduisent voire suppriment les « chevauchements » et les formations au sein du service, les discussion d’organisation, les staffs…).

 

« Les hôpitaux n’ont pas prévu de lieu d’échange intercatégoriel (médecin, aide-soignant, infirmière) autour d’un projet de soin, insiste le docteur Estryn-Behar, qui est aussi docteur en ergonomie. Les discussions ont lieu dans les couloirs, de manière informelle. C’est la course à l’information qui a des impacts sur la qualité et la satisfaction du personnel. Les interruptions se multiplient, elles peuvent aller jusqu’à provoquer l’incompréhension du patient et des réactions violentes ».

 

tenon

Depuis fin septembre, les infirmiers des urgences de l’hôpital Tenon (Paris-20ème) sont en grève (avec réquisition du personnel), car ils estiment que les effectifs sont insuffisants pour travailler correctement. Selon le syndicat CGT, « cela fait un an que les personnels alertent l’hôpital sur le manque d’effectifs. Ils sont en état d’épuisement professionnel. Plusieurs infirmières se sont mises en arrêt maladie et les équipes tournent avec des intérimaires ».

 

« Certains choix dans la gestion de la pénurie aggravent la pénurie, regrette Madeleine Estryn-Behar. Mettons que vous êtes infirmière dans un hôpital où on vous demande d’être polyvalente sur les 6 services d’un pôle. Au-lieu de faire partie d’un service de 60 personnes, vous vous retrouvez avec 360 collègues dans des spécialités différentes sans pouvoir suivre l’évolution d’un patient et en discuter pour mieux l’associer à son projet de soins. Comment la qualité de votre travail ne s’en ressent-elle pas ? »

 

Recours aux intérimaires, absentéisme au travail : la philosophie de la polyvalence coûte cher. Pour que le personnel expérimenté n’abandonne plus son métier, les résultats Presst-Next dressaient déjà en 2006 une dizaine de priorités. Entre autre : davantage de travail d’équipe, de concertation et de soutien psychologique. Au-delà, l’analyse porte sur le besoin d’infrastructures et d’équipement sûrs et ergonomiques : « une architecture qui valorise les besoins réels, et non une architecture d’enveloppe, des revêtements de sols peu glissants ou bien des chaussures qui tiennent (les chutes et glissades sont les premières cause d’arrêts en accident de travail avant les lombalgies en France !) et des sols absorbants phoniques, généraliser, en long séjour, les lève-malades sur rails au plafond ». Enfin, pour ménager le rythme de vie souvent décalé des soignants, l’enquête enjoint au respect des connaissances chronobiologiques (conforme au rythme biologique) et à la compensation des pénibilités spécifiques.

 

Certifier conforme ?

La Haute autorité de santé (HAS) organisait le 21 octobre dernier, un séminaire sur la qualité de vie au travail et la qualité des soins dans les établissements de santé en France. Preuve que ce critère de certification des établissements n’est pas approfondi ? Le manuel 2010 indique que « promouvoir la qualité de vie au travail traduit un engagement collectif qui implique les dirigeants, les professionnels et les partenaires sociaux. Cette démarche renforce l’attractivité, le sentiment d’appartenance et la motivation. La qualité de vie au travail dépend notamment de : la qualité des relations de travail ; l’organisation et le contenu du travail ; l’environnement physique ; les possibilités de réalisation et de développement professionnels ; la conciliation entre vie professionnelle et vie privée ».

 

Autrement dit, la fréquence de l’épuisement professionnel, les temps de discussions, l’existence de chevauchements pour des réunions pluridisciplinaire, la stabilité des équipes, la tenue de groupe de parole avec soutien psychologique, l’aménagement des locaux pour correspondre aux besoins du travail réel, sont-ils vraiment des critères pris en compte pour certifier les établissements ?

 

Lire

– Estryn-Behar Madeleine, Santé et satisfaction des soignants au travail en France et en Europe, Ed. Presses des Hautes Etudes en Santé Publique, 2008

– La liste des publications tirées de l’enquête

 

Entre autres

France, la situation des soignants des établissements publics et privés en France en 2002 (en pdf)

Promouvoir la santé des soignants -Plus d’un sur dix veut abandonner (en pdf)

Facteurs liés aux épisodes violents dans les soins (en pdf)

 

PRESST-NEXT :  623 institutions dont 56 en France. En 2003 : 39 898 répondants dans 10 pays européens dont 5 376 en France.

En 2004 : 21 459 répondants dans 8 pays européens, dont 2 627 en France

Taux de réponse 51,4%. Recueil de 1 526 questionnaires de soignants partis de leur établissement. Financée par la Commission Européenne.

SESMAT : 3 196 médecins en France.

 

 

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