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Les politiques européennes de cohésion territoriale obligeaient les Etats membres à modifier lentement leur mode de gouvernance. La crise accélère la mutation, car les territoires sont l’échelon de référence pour relancer l’économie européenne.

 

projet

Les 271 régions européennes disposent de plus d’un tiers du budget de l’Union. À la fin de la période 2007-2013, les fonds et programmes de cohésion atteindront près de 350 milliards d’euros, ce qui en fait le premier poste budgétaire européen. Les Etats répartissent les enveloppes entre les régions. Depuis 2007, pour la première fois, les départements français ont eu la possibilité de gérer une subvention globale du fonds social européen (FSE) dans le cadre de leurs programmes départementaux d’insertion (PDI).

 

La sociologue Annette Jobert qui a analysé le renouveau du dialogue social territorial en Allemagne, en France et en Italie démontre que les « nouvelles régulations territoriales » ont renouvelé la gouvernance à travers l’action par projets, l’engagement des acteurs et par conséquent la production de nouvelles règles d’actions publiques. « Plutôt que de territoire, on peut parler d’agencement territorial par des projets et des acteurs, que l’action collective fait aboutir ».

 

Le dialogue territorial est un dialogue de projet et pas un dialogue sur les normes juridiques. Ces projets souvent portés par des collectivités locales, mais co-financés par des fonds européens visent au développement économique local. Mais, la nature des projets est très variée. L’un peut intervenir sur les relations entre des entreprises et leurs sous-traitants. L’autre vouloir trouver un équilibre du marché du travail en combattant l’exclusion sociale ou le travail informel. Le dernier peut s’occuper des relations professionnelles et de la création d’emplois avec des instruments particuliers (Gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences en France, prêts de main d’oeuvre).

 

Ainsi les acteurs institutionnels se mobilisent avant les acteurs traditionnels. Surtout en France, où les entreprises distinguent parfois mal leur intérêt à s’inscrire dans une démarche territoriale et où les syndicats se sentent souvent peu impliqués ou se rendent aux réunions en ordre dispersé. La diversification des espaces de négociation collective remet en cause la négociation collective de branche et les modalités traditionnelles de l’action publique.

 

Dans les traités

Les premières politiques de cohésion voient le jour en 1986, avant que le concept de « cohésion territoriale » ne soit clairement défini en 1995 (rapport Régions et territoires en Europe). Deux ans plus tard, la cohésion territoriale fait une « entrée discrète dans le Traité d’Amsterdam à la faveur de l’article 16 qui stipule que les services d’intérêt économique général (SIEG) oeuvrent à la cohésion sociale et territoriale » comme le dit Patrick Salez dans son rapport Comment l’Europe devient aménagiste.

 

En réponse aux défis économiques et aux attentes politiques des citoyens, la cohésion territoriale est intégrée dans le Traité de Lisbonne en tant qu’objectif et compétence partagée de l’UE, et cela aux côtés des dimensions économique et sociale de la cohésion.

 

En fin novembre 2007, un programme d’action envisage de mettre en oeuvre le premier Agenda Territorial, dont les deux lignes d’action principales sont d’influencer les « grands dossiers » européens et les politiques sectorielles communautaires pour leur conférer une dimension territoriale et urbaine et renforcer la gouvernance territoriale dans l’UE et les Etats membres. Le rapport d’évaluation qui a suivi le Livre vert de 2007 est ouvert à la consultation publique. Les propositions des particuliers, organisations et institutions seront intégrées dans le paquet législatif communautaire 2014-2020.

 

Plusieurs fonds

Le fonds social européen (FSE) finance les projets de formation professionnelle et d’aide à l’emploi. Le fonds européen de développement régional (FEDER) finance les infrastructures générales et l’innovation. Et enfin, le fonds de cohésion pour les pays les plus pauvres aide aux infrastructures générales de transport et d’énergie renouvelables.

 

À cela s’ajoute le programme de coopération territoriale renforcée INTERREG.III avec ses trois volets (transnational, transfrontalier, interrégional). Ce levier de partenariat implique « un nombre croissant de collectivités territoriales ». Il est monté « progressivement en puissance pour devenir, lors de la période 2007-2013, un objectif à part entière (dit « de coopération territoriale européenne ») de la politique de cohésion » explique P. Salez.

 

 

Mesurer la cohésion territoriale

Où agir et comment ? Sachant que les réalités territoriales au sein des Etats membres cultivent des différences structurelles, culturelles et socio-économiques.

 

« Les sources de croissance sont de toute façon endogènes, explique Maria Prezioso de l’Université de Rome. La Commission européenne impulse une politique générale, mais laisse l’initiative au local et au sectoriel ». Cette professeure de géographie économique et de planification territoriale a mis au point plusieurs systèmes de cartographie statistique pour l’Observatoire en réseau de l’aménagement du territoire européen (ORATE/en anglais ESPON). Elle dessine une nouvelle magna carta de l’Europe suivant 116 indicateurs (risque d’exclusion sociale, bien-être et cohésion sociale, bonne gouvernance, activité économique, compétitivité internationale, infrastructures, qualité environnementale) renseignés aux différents échelons local, régional, national.

 

« Face à la crise, les territoires les mieux armés, sont les territoires cohésifs, avec un polycentrisme urbain et une bonne coopération des acteurs, évalue-t-elle. Par contre, dans les régions où la cohésion était déjà mauvaise, la crise a été prédatrice. On aurait pu l’anticiper. Dans un papier (en anglais), je décrivais plusieurs scénarios qui alertaient sur les problèmes structurels de la Grèce, de l’Irlande et de l’Espagne ». On distingue bien sur cette carte de 2006 les zones de haute cohésion impulsée par des pôles urbains en rouge, rose, jaune et blanc, tandis que les zones vertes et bleues sont plus isolées. 

magna carta 2

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Pactes territoriaux

La Commission enjoint les Etats membres à améliorer la coopération et coordination des politiques territoriales et sectorielles. Evoquant les propositions récentes du Comité des Régions qui visent à faire participer les villes et les régions à la mise en œuvre de cette stratégie, le président de la Commission Jose Manuel Barroso a souligné le 2 décembre dernier être « tout à fait favorable à leur idée de pactes territoriaux. Je vais encourager les États membres à accepter la participation de toutes les parties aux pactes territoriaux ». Ces pactes lient acteurs locaux, partenaires sociaux, entreprises et élus.

 

cohesion italie

 

L’Italie en a été le fer de lance à la fin des années 90. Les pactes territoriaux (1998-2004) et les pactes de coopération urbains (1999-2003) étaient supervisés par le CNEL (Consiglio Nazionale dell’Economia e del Lavoro), chargé de coordonner le dialogue social et les politiques de développement local. Loin de se cantonner à un rôle consultatif, le conseil a joué un rôle opérationnel. Ainsi, les Italiens à l’origine plutôt hostiles au dialogue social, maîtrisent aujourd’hui bien le territoire. Le niveau de cohésion territoriale est élevé. Maria Prezioso y voit même « les prémices d’un fédéralisme, qui renforce certaines collectivités du Nord-Est et du Sud ».

 

 

 

 

 

Repère

– Le Fonds européen de développement régional (FEDER) couvre les programmes axés sur les infrastructures générales, l’innovation et les investissements. Il est destiné aux régions les plus pauvres de l’UE.

– Le Fonds social européen (FSE) finance des projets de formation professionnelle et d’autres types de programmes d’aide à l’emploi et à la création d’emplois. Comme pour le FEDER, tous les États membres peuvent bénéficier d’une aide au titre du FSE. Si les fonds ne sont pas utilisés, l’Etat-membre les récupère. Ce qui ne l’encourage pas toujours à le dépenser sur des projets.

– Le Fonds de cohésion finance des projets d’infrastructures environnementales et de transport et le développement des énergies renouvelables. Il est réservé aux pays dont le niveau de vie est inférieur à 90 % de la moyenne de l’Union européenne, ce qui est le cas des 12 nouveaux arrivants, ainsi que du Portugal et de la Grèce. L’Espagne, qui en a bénéficié par le passé, sort progressivement du système.

Les fonds européens de cohésion proviennent de différentes sources choisies en fonction de la nature de l’aide fournie et du type de bénéficiaire.

 

Documents

– Annette Jobert, Les nouveaux cadres du dialogue social : Europe et territoires, Bruxelles 2008

– Comment l’Europe devient aménagiste : de la naissance de la politique régionale au Livre vert sur la cohésion territoriale, plus de 20 ans de déploiement de l’acteur européen, Patrick Salez, 2009

– Cinquième rapport sur la cohésion économique, sociale et territoriale en consultation jusqu’au 31.01.2011 pour les particuliers, les organisations et les autorités publiques (Voir le questionnaire). Les propositions seront intégrées dans le « paquet législatif » communautaire 2014-2020

– Comité des Régions : premier rapport de suivi sur la stratégie Europe 2020, publié le 30 novembre.

 

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