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Il y a onze ans, Betty Dukes, employée de Wal-Mart, géant américain de la grande distribution, portait plainte contre son employeur pour discrimination professionnelle. L’année suivante, c’est une action en nom collectif (class action) qui prend forme représentant plus d’1,6 million de salariées de Wal-Mart. En juin 2007, un juge fédéral du district de San Francisco certifie la recevabilité de cette action collective. La plus grande affaire judiciaire concernant les droits civiques prend son essor.

Betty Dukes

Laurent Duclos écrivait alors dans Metis  « Il est sans doute nécessaire de rappeler que la class action visait, à l’origine, à renforcer les droits de ceux qui n’avaient qu’une capacité réelle faible ou un intérêt limité à agir individuellement en justice. En matière d’accès à la justice, la class action repose alors sur le même présupposé que le droit des relations collectives de travail : il s’agit de rééquilibrer au plan collectif une inégalité caractéristique de la relation individuelle. Autrement dit, il convient de faciliter la défense collective de droits et d’intérêts individuels face à l’inocuité des défenses organisées répondant au seul intérêt général … La pratique américaine correspond ainsi à l’idée que le respect de l’ordre public peut être également l’affaire du public. C’est la raison pour laquelle le mécanisme de la class action constitue, en réalité, un instrument d’action politique ».

L’affaire Dukes vs Wal-Mart, entreprise qui bannit les syndicats, est exemplaire à cet égard. Comme le soulignait Laurent Duclos « Voilà que la class action permet maintenant de suppléer aux défaillances de l’acteur social pour régler un rapport entre salariés et employeur ».

Mais ce cas emblématique va tourner court. Après différents appels de Wal-mart, la Cour suprême américaine, saisie en dernier ressort, juge le 20 juin 2011 la plainte non recevable. La Cour, (5 juges sur 9) estime que chacune des femmes plaignantes ne peut prétendre avoir subi les mêmes discriminations que les autres et que par conséquent une action en nom collectif est irrecevable. « La théorie des plaignantes est l’existence d’une culture d’entreprise enracinée et uniforme », affirme la Cour. Or, rappelle-t-elle, « Wal-Mart a pour politique de laisser à la discrétion des directeurs locaux de magasins l’attribution d’augmentations ou de promotions à leurs employés. Le but de cette politique est précisément d’éviter que tous les employés soient évalués de la même façon », poursuit-elle, jugeant la méthode « habituelle et raisonnable ».
Un sérieux coup de frein est donné aux actions de ce type, la constitution d’une class action par les salariés devient beaucoup plus difficile. Ceux-ci devront apporter la preuve irréfutable qu’ils constituent bien une class.

Ce jugement va immédiatement impacter les entreprises américaines. Comme le précisent dans leur blog les avocats des plaignantes, « ce jugement va avoir des conséquences sur les politiques de ressources humaines, leur gestion et leurs procédures ». Les avocats s’attendent entre autres à ce que les employeurs réexaminent leurs pratiques en matière de rémunération et de promotion afin de vérifier qu’elles ne peuvent avoir un impact négatif sur une catégorie d’employés et qu’elles relèvent clairement de l’évaluation des postes et de critères de performance.

On n’a pas fini de parler de cette affaire, les protestations sont nombreuses. Avocat des employés dans une affaire similaire contre Novartis, David Sanford fustige une décision prise par cinq juges masculins alors que les trois femmes juges à la Cour suprême avaient un point de vue opposé. »C’est une décision sidérante », a-t-il estimé et « un nouvel exemple que la Cour suprême donne la priorité aux grands groupes privés sur le respect des droits des travailleurs américains ». Pour lui, c’est maintenant au Congrès d’agir pour mettre en place de nouveaux critères présidant aux actions en nom collectif.

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