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Quelques semaines seulement après son installation, le nouveau gouvernement espagnol a adopté le 10 février une réforme radicale du marché du travail. Elle a d’ores et déjà provoqué d’importants mouvements sociaux. Prise au nom de la lutte contre le chômage qui concerne désormais 23% de la population active, cette réforme, qui survient après une succession de mesures adoptées par le précédent gouvernement socialiste, touche à la fois aux relations individuelles et aux relations collectives de travail.

 

Contrats de travail et licenciements

 

espagnols

A l’instar de feu le contrat première embauche (CPE) français, la nouvelle loi prévoit que les PME de moins de 50 salariés pourront désormais recruter avec des contrats comportant une période d’essai d’un an (on notera que les dispositions du CPE français ont été depuis déclarées contraires au droit international par l’OIT). Afin de favoriser l’embauche de publics en difficultés, jeunes de moins de 30 ans se voyant proposer un emploi permanent, chômeurs de plus de 45 ans…, diverses primes et incitations sont mises en œuvre. La nouvelle loi prévoit aussi de limiter les CCD à deux ans (au lieu de trois), de modifier le régime des contrats à temps partiel sur la question des heures complémentaires ou encore de faciliter la modification unilatérale du contrat de travail par l’employeur.

 

Par ailleurs, la réforme espagnole transforme de manière substantielle les conditions du licenciement en général et du licenciement pour motif économique en particulier. L’indemnité de licenciement était en Espagne l’une des plus élevées d’Europe (45 jours par année d’ancienneté plafonnés à 42 mois) et avait déjà été revue par le précédent gouvernement en lien avec les partenaires sociaux. La nouvelle réforme réduit l’indemnité à 33 jours par année d’ancienneté et la plafonne à 24 mois. En cas de motif économique, cette indemnité est réduite à 20 jours par année d’ancienneté et la notion de motif économique est elle-même élargie et précisée. Ce type de licenciement est désormais étendu aux services publics. Enfin, l’Espagne qui était le seul pays avec les Pays Bas à avoir maintenu une autorisation administrative pour les licenciements collectifs comme pour le recours au chômage partiel, vient de l’abolir.

 

Tout ne va pas néanmoins dans le sens d’une flexibilisation accrue du marché du travail. Ainsi la même loi encadre le régime du télétravail et tente de promouvoir chez les PME un recours accru à des mesures de flexibilité interne, point qui a surpris de nombreux observateurs. Autre innovation, celle d’une sorte de DIF à l’espagnole ( droit individuel à la formation) : les salariés se voient reconnaître un droit à la formation professionnelle d’une durée de 20h par an, payée par l’entreprise. Parallèlement le recours aux contrats en alternance et à l’apprentissage est étendu.

La négociation collective : fin du principe de faveur

C’est sans doute ici que la réforme espagnole est la plus radicale tant par sa méthode que par son contenu. S’agissant de la méthode, une négociation interprofessionnelle venait de se conclure le 25 janvier dernier. Elle était destinée à faciliter la conclusion d’accords d’entreprises, sans pour autant remettre en cause la primauté des conventions collectives souvent conclues au niveau des provinces. Ce même accord prévoyait une clause de modération salariale très forte sur les 3 prochaines années. Or le gouvernement espagnol a décidé d’aller bien au-delà et de passer en force. La réforme met fin au principe de faveur : désormais les accords d’entreprises pourront déroger aux dispositions des conventions collectives. Il instaure aussi une procédure obligatoire d’arbitrage en cas de désaccord entre partenaires sur la convention applicable, la sentence rendue en dernier recours ayant force contraignante pour les parties. Enfin la réforme met fin à une particularité du droit espagnol connue sous le nom d’ultra actividad : cette notion permettait de maintenir de manière quasi illimitée les avantages liés à une convention collective même lorsque celle-ci avait expiré.

 

Cette réforme espagnole – la 52ème en 30 ans ! – crée une onde de choc dans le pays, au point que le Parti Populaire lui-même parle d’une pédagogie nécessaire. Certes, la loi nécessite encore une adoption formelle par le Parlement mais la majorité significative dont dispose le PP ne le prédispose pas à des concessions significatives. Certains acteurs politiques ou syndicaux mettent leur dernier espoir dans une invalidation par le Conseil constitutionnel mais de l’avis de nombreux experts c’est peu probable. Vent debout contre la réforme qu’ils estiment imposée par le FMI, La BCE, l’Allemagne et la France, les syndicats ont réussi à mobiliser des centaines de milliers de manifestants le week-end dernier. Quant au Indignés, ils protestent eux aussi, mais ne ménagent pas non plus les syndicats dont ils critiquent le côté tiède, voire « corrompu ». La presse espagnole indique en revanche que le patronat comme les DRH de grands groupes sont très favorables à la réforme. Plusieurs observateurs pointent du doigt un risque, désormais élevé, de judiciarisation des conflits du travail, dû à l’affaiblissement syndical et à la fin de l’autorisation administrative. Quant aux conséquences sur l’emploi, elles font l’objet d’un vif débat. En effet la loi risque dans un premier temps d’alimenter à la hausse un chômage déjà très élevé. Ensuite, sans volet industriel et éducatif sérieux, aucune réforme du marché du travail n’est en soi créatrice d’emploi.

 

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