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En 2009, General Motors avait failli céder Opel à l’équipementier canadien Magna provoquant un tollé dans le monde de l’automobile allemand. Volkswagen avait du menacer Magna de ne plus faire appel à lui comme sous-traitant. Cet épisode prouve que la concurrence existe sur toute la chaîne de sous-traitance, surtout quand le fournisseur est de taille à défier son donneur d’ordre. Trois experts allemands de PCG-Consult ont disséqué ces rapports de force.

 

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Six grands constructeurs construisent 6 millions de véhicules par an en Allemagne, (Volkswagen AG, BMW, Daimler-Benz, Porsche, Opel et Ford), et 5,5 millions sont produits à l’étranger par les firmes allemandes. « Les innovations viennent surtout des sous-traitants, explique Jörg Weingarten. Près de 78% de la valeur ajoutée est assurée par ces derniers, contre 22% par les donneurs d’ordre et la tendance est à la hausse » En 2007, 329 000 personnes travaillaient dans la production, 321 000 comme sous-traitant. Mais l’Institut Fraunhofer ISI estime que la part des emplois directs atteint en fait le million. Dans l’ensemble de la filière automobile, 17% de la main d’œuvre est intérimaire. Cette proportion a créé un débat public en Allemagne et des prises de positions syndicales d’IG-Metall pour limiter le recours à l’interim lors des pics de production.

 

Depuis le printemps 2011, les donneurs d’ordre redéfinissent leurs collaborations avec leurs sous-traitants notamment sur les moteurs électriques. Par exemple, Daimler a décidé de créer une joint-venture avec Bosch. Car Bosch produit déjà des moteurs pour les véhicules hybrides de Volkswagen, Porsche et Peugeot. Bosch va d’abord développer des produits exclusivement pour les deux marques du constructeur : Mercedes-Benz et Smart. Puis il pourra les vendre à ses concurrents.

 

Au fil des ans, les sous-traitants ont pris une importance significative. Ils sont impliqués très tôt dans le processus de recherche et développement. Beaucoup d’innovations récentes sont de leur ressort. Par conséquent, les constructeurs redoutent le pouvoir de leur sous-traitant. Selon les experts, ils divisent pour mieux régner : chaque produit requiert l’intervention d’au minimum quatre sous-traitants. Pour éviter d’être trop dépendant de leur fournisseur de rang 1, les donneurs d’ordres en chercheront un autre avec le savoir-faire nécessaire.

 

Daimler compte 260 000 employés et vend 1.9 million de véhicules. C’est une société de taille relativement petite pour un tel marché, elle dépend donc de la proximité et de l’innovation de ses fournisseurs. 1900 personnes s’occupent des achats auprès de 40 000 fournisseurs dans 50 pays. Daimler assume une philosophie de performance de long-terme par la coopération pour assurer une innovation durable. Plusieurs outils encadrent ces « collaborations » : un tableau de bord général (External Balanced Storecard), un portail internet universel pour les fournisseurs qui peuvent y échanger de documents, des évaluations, etc. Daimler travaille selon plusieurs types de contrats en fonction des fournisseurs, pour répartir de manière équitable les brevets et les licences.

Les fournisseurs irremplaçables ont plus facilement des garanties financières. Et selon la loi allemande, le fournisseur est payé moins de 30 jours après réception de son produit.

 

Solidité des fournisseurs

Par exemple, l’entreprise familiale Benteler est un fournisseur de rang 1 de Daimler. Sa solidité financière est incontestable. Elle compte 25 000 employés dans le monde, 170 usines et filiales dans 38 pays. 80% de ses produits sont destinés à l’industrie automobile, un quart est fabriqué en Allemagne. Depuis 2008, Benteler a ouvert des filiales en Roumanie, en Croatie et en Ukraine. Pendant la crise, il a dû soutenir ses propres fournisseurs : environ 150.

 

Benteler répond à plusieurs donneurs d’ordre. Il vend des châssis et des essieux à Ford et Volvo, des technologies de réduction des gaz d’échappement sur ces propres brevets à Daimler, Ford et Volkswagen, des composants ultralégers, machines innovantes et même des concepts d’investissement pour l’architecture, le solaire, des systèmes de mesures optiques en 3-D. Enfin, Benteler produit aussi pour la défense du blindage pour des tanks et des voitures.

 

L’entreprise fonctionne sur une programmation de trois ans, ce qui correspond à la période moyenne avant l’introduction d’un nouveau produit. L’équipementier est impliqué dans la recherche et le développement selon une tradition qui s’est renforcée dans les années 90 en Allemagne.

 

La diversification de sa clientèle est un avantage. Surtout que Volkswagen n’a pas été très affecté par la crise. BMW et Mercedes se sont remis rapidement après un creux. La structure de coopération des autres chaines de sous-traitance est très différente chez Magna, par exemple, qui est très dépendant d’un seul constructeur final : Opel. Les  autres concurrents de Benteler sont Gestamp (autrefois ThyssenKrupp), ZF Friedrichshafen et les donneurs d’ordre eux-mêmes.

 

Pendant la crise, l’emploi a été sécurisé par des aménagements du temps de travail, du travail partiel (10 à 12 jours par mois), et par une bonne anticipation des suppressions de postes. La grande difficulté a été de gérer les stocks. Pour ne pas être à court, les donneurs d’ordre commandent le maximum, mais si la demande baisse, ils achètent moins que prévu. Le fournisseur se retrouve en difficulté. Pour des entreprises moyennes, c’est une question de survie. Certains fournisseurs souffrent encore du retournement de 2008.

 

Tradition collaborative

Redéfinir les relations entre donneurs d’ordre et sous-traitants est un cheval de bataille de l’association allemande des industries d’équipements (ArGeZ). Elle est forte de 8000 entreprises adhérentes, soit un million d’employés et 215 milliards € de chiffre d’affaire. Les « principes de partenariat » doivent être le fondement des relations entre donneurs d’ordres et sous-traitants : s’engager sur des quantités, des délais et des prix dans des accords contraignants. Daimler s’y était déclaré favorable, mais la reprise a eu raison de ces bonnes intentions.

 

Pour renforcer la structure industrielle et accompagner ses transformations, les Länder font appel aux fonds structurels européens. « La région Rhénanie du Nord-Westphalie a créé 16 « clusters » qui sont financés par l’impôt et les fonds européens, explique Jörg Weingarten. Celui de la filière automobile rassemble par exemple Opel (à Bochum) et Ford (à Cologne). Le directeur de filière assure le renforcement des réseaux d’entreprises au niveau régional. Il participe au sein des organismes de formation pour anticiper sur les besoins de compétences et de main d’œuvre ».

 

Ces stratégies territoriales valorisent des écosystèmes de qualité et s’ajoutent à une longue tradition industrielle et à une bonne répartition de la valeur ajoutée.

 

 

 

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