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La troïka pousse l’Europe hors la loi    

publié le 2012-03-22

La gouvernance économique européenne de la crise est-elle compatible avec les normes internationales du travail ? C’est la question que s’est posée l’observatoire social européen au cours d’un débat organisé le jeudi 15 mars dans ses locaux bruxellois. Pour tenter d’y répondre, Rudi Delarue, Directeur du bureau européen de l’OIT, et Georges Dassis, Président du groupe des travailleurs du Comité économique et social européen (CESE), ont accepté de partager leurs impressions.

 

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Rudi Delarue a d’abord présenté le cadre juridique international qui régit les relations de travail. Il existe ainsi 78 conventions actualisées, dont certaines, très pertinentes pour la gouvernance économique, portent sur la liberté syndicale, la libre négociation collective, l’inspection du travail, la consultation tripartite, la politique de l’emploi, les normes minimales en matière de sécurité sociale ou encore la fixation des salaires minima. Par ailleurs, l’OIT émet également des recommandations, non-contraignantes, qui visent souvent à compléter et à préciser le contenu et la portée des conventions. L’application des conventions ratifiées est ensuite suivie par le système de contrôle de l’OIT. La plupart des tribunaux nationaux peuvent intégrer ces conventions dans leur propre droit national.  

 

Les 27 États membres de l’UE ont ratifié les conventions concernant les trois premiers thèmes cités ci-dessus. Et presque tous ont fait de même concernant les conventions restantes. « L’UE s’implique dans les travaux de l’OIT, à travers la coordination des 27 États membres au sein de la conférence Internationale du Travail et au Conseil d’administration de l’OIT, souligne Rudi Delarue. À l’inverse, les Conventions de l’OIT ont également influencé les principes et valeurs reconnus par les Traités de l’UE (comme le rôle des partenaires sociaux), ainsi que par une partie de la législation de l’UE ».   

 

Le tournant grec

Pour celui-ci, « la réponse européenne à la crise était en ligne avec l’action de l’OIT en 2008-2009 ». Mais l’éclatement de la crise grecque en mai 2009 a constitué un tournant majeur. À partir de là, l’UE aurait en effet adopté une vision exclusivement économique des problèmes. L’expert de l’OIT remarque par exemple que « La task force mise en place par le Conseil Européen pour renforcer la gouvernance économique était dominée par les ministres de l’Ecofin. Quand on ne réunit qu’un même type de personnes, on risque d’avoir une approche déséquilibrée ». Prudent, M. Delarue se refuse toutefois à verser dans le simplisme. « La gouvernance économique de la crise dans l’UE et dans le monde devient de plus en plus complexe. Nous  avons « l’Europe 2020 », le « sixpack », « le pacte Europlus » et dernièrement un nouveau traité intergouvernemental ». Selon lui, ces instruments reconnaissent généralement l’importance du dialogue social à des degrés divers. « Mais à côté de la gouvernance économique régulière, on a les situations de crise, poursuit-il. Ainsi une bonne partie des réformes imposées par la Troïka porte sur le marché du travail. Or, l’OIT n’a été consultée que dans le cas du Portugal. Et encore, de façon limitée ».

 

Dans le cas de la Grèce, les paquets de réformes successifs interviennent directement dans les matières couvertes par les conventions de l’OIT, comme la fixation des salaires minima dans le secteur privé par le biais de conventions collectives. « Même en cas d’urgence, il existe des obligations légales auxquelles les États ne peuvent pas déroger » rappelle pourtant M. Delarue. D’après lui, il est donc urgent que l’UE adopte une gestion plus inclusive de la crise. Sans quoi, elle risque de s’enfoncer dans une voie « de moins en moins soutenable à long terme ».

 

 

L’échec de l’Europe

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L’OIT peut jouer un rôle dans la protection des droits fondamentaux du travail selon Georges Dassis du CESE. « L’OIT a une tribune extraordinaire, mais ses condamnations ont surtout une valeur morale ». Très critique sur l’orientation prise par l’UE à la faveur de la crise, il estime que c’est avant tout à elle de redresser la barre. « En arriver à devoir invoquer les conventions internationales pour protéger les droits sociaux en Europe est une régression extrêmement grave » affirme ce militant syndical grec, qui a lutté contre le régime des colonels (1967-1974), avant de faire une carrière européenne. « Le projet européen s’est égaré en chemin, comment expliquer qu’une Union européenne élargie, au lieu de devenir plus forte est devenue plus faible ? » En guise de réponse, il pointe les occasions manquées de la construction européenne. « On a procédé à l’élargissement en oubliant complètement l’approfondissement », regrette-t-il. D’où l’actuel nivellement social par le bas et l’absence de solidarité européenne. « Quand les Etats européens prêtent à la Grèce à du 5 ou 6%, ce n’est pas de la solidarité, c’est du commerce».

 

M. Delarue reconnait également les limites de l’outil juridique. « En Grèce, certaines dispositions des plans d’ajustement structurel ne seraient pas conformes à la charte européenne des droits fondamentaux et à certaines conventions de l’OIT. Mais ces plans conditionnent des prêts massifs, alors qui va les attaquer ? Et avec quelles conséquences ? »

 

Les socialistes européens ont envoyé à Athènes une troïka alternative, afin de proposer un programme qui permettrait à la Grèce de se sortir de la crise par la croissance. Elle dévoilera ses propositions dans les jours qui viennent. 


 

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