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par Nadya Charvet

En 2011, le chômage des jeunes dans le monde a atteint son plus haut niveau jamais enregistré. Dans la plupart des pays européens, il progresse deux fois plus vite que chez les autres catégories d’actifs. Avec la crise, la jeunesse apparaît particulièrement pénalisée. On parle de génération sacrifiée, de précarisation grandissante, de déclassement, voire leur exclusion durable du marché du travail pour les plus fragilisés. L’intégration des jeunes devient plus que jamais un enjeu de société. Et un thème politique majeur.

 

jeune

Pourtant, les questions d’accès à l’emploi, de chômage, d’avenir, sont différemment perçues par les Danois, les Allemands, les Espagnols, les Anglais ou les Français. Dans un ouvrage devenu culte, Cécile Van de Velde compare les modèles culturels/sociaux en vigueur en Europe, et démontre qu’ils conditionnent la place des jeunes dans la société et influent sur leur capacité à prendre leur avenir en main… encore plus en temps de crise. Et si le chômage des jeunes n’était pas une fatalité ? Petit tour d’Europe des réponses à cette question de société.

 

En France, objectif : « faire sa place »
La jeunesse est vécue comme une phase d’investissement, études, diplômes dont découle la vie entière. D’où une pression énorme sur les jeunes et, avec la crise, le sentiment d’appartenir à une génération sacrifiée.
En France, les études et le premier emploi, sensés marquer à vie le statut social de l’individu, sont considérés comme prioritaires. Cette priorité donnée aux études se traduit par des trajectoires très linéaires. Le cumul emploi/études est découragé, alors qu’en Grande Bretagne par exemple, des aménagements sont prévus pour les étudiants salariés (cours du soir). Faute de moyens financiers, la plupart des étudiants restent chez leurs parents jusqu’à 23 ans en moyenne, alors que leurs aspirations d’autonomie sont plus précoces.
Cette catégorisation de la jeunesse est encouragée par les politiques publiques, aides versées aux parents plutôt qu’aux jeunes directement, contrats jeunes. Elle favorise un marché du travail qui ne fait pas beaucoup de place aux entrants, ainsi que des trajectoires de longue précarité qu’on tente de contrecarrer, y compris dans les milieux populaires, par l’allongement des études.
Conséquence: sommés de ne pas se détourner de leurs chères études, de ne pas perdre de temps, d’accumuler le plus d’attributs (stages, diplômes) pour pouvoir ensuite « entrer » dans le rang, les jeunes français diffèrent toujours plus l’entrée dans la vie active et, pénurie d’emplois aidant, développent un fort sentiment d’angoisse, de peur de rater la porte, de ne pas y arriver. Un tel sentiment se rencontre plutôt dans les sociétés japonaises ou coréennes, qu’européennes. Pas étonnant, dans ce contexte, que les mouvements sociaux de jeunesse, soient tournés vers les problématiques d’insertion dans la vie active, etc.

 

Au Danemark, objectif : « se trouver »
L’alternance études/emploi est le moteur du développement personnel. La précarité est acceptée.
C’est le pays qui a mis en place les politiques les plus avantageuses envers les jeunes. La jeunesse y est vécue dans une logique exploratoire qui s’amorce par un départ précoce de chez les parents, l’âge médian de départ tourne autour de 20 ans. Cette indépendance précoce se prolonge par une longue phase de mobilité caractérisée par une alternance études, emploi, retour aux études, retour à l’emploi, encouragée par les pouvoirs publics.
A 18 ans, chaque danois se voit octroyer l’équivalent de 6 années d’études, à consommer sans limite d’âge, financées au 2/3 sous forme de bourses, 1/3 sous forme de prêt, ce qui représente environ 1000 euros par mois. L’existence de ces bourses, contractées par la quasi-totalité des étudiants, n’empêche pas les jeunes de travailler. Au contraire. L’expérience professionnelle est encouragée par ce système de flexibilité des études. Les jeunes danois n’hésitent pas à travailler, y compris dans des domaines n’ayant rien à voir avec leurs études, et à accepter des boulots peu ou pas qualifiés, considérés comme faisant partie de « l’apprentissage de la vie ». Dès lors, le taux de chômage des jeunes y est équivalent à celui des adultes. Dans la même logique, les droits sociaux sont les mêmes pour tous: dès 18 ans, on peut percevoir un RMI.
Comme indiqué plus haut, les mouvements de jeunesse danois sont très rebelles, très idéologiques, très socialement ancrés. Ils contestent actuellement ce système de bourse trop généreux, et se demandent s’il n’est pas en train de créer une jeunesse dorée…

 

En Grande Bretagne : « s’assumer »
Des jeunes qui deviennent plus vite autonomes, et pourtant ils galèrent….
Indépendance, c’est le leitmotiv des jeunes Anglais qui partent plus tôt du foyer, 21 ans en moyenne, mais cette indépendance n’est pas garantie par l’Etat, elle se doit d’être prise par ses propres moyens, donc d’être financée soit par l’emploi, soit par l’endettement; ce statut d’indépendance étant très valorisé culturellement.
Cela implique des trajectoires d’études courtes (le prix des études étant très élevé), souvent cumulées à l’emploi, et faisant largement appel à l’emprunt. Ceci est vécu comme un problème social, les mouvements de jeunesse portent d’ailleurs sur la question de l’endettement, et du rallongement des études.

 

En Espagne : « s’installer »
Des jeunes qui sont toujours chez leurs parents du fait de leur culture et du chômage.
Culturellement, les Espagnols restent chez papa-maman tant qu’ils n’ont pas rempli ce qu’ils considèrent comme « les conditions d’entrée » dans une stabilité adulte : avoir un emploi stable, être en couple, avoir un logement. Mais ce départ est de plus en plus tardif, autour de 28 ans aujourd’hui, car un autre facteur intervient désormais: c’est le destin social des jeunes, très marqué par le chômage. Ils évoluent dans des sociétés qui ne font pas beaucoup de places aux entrants, comme en France, et dans des trajectoires de longue précarité. Les mouvements sociaux de jeunesse, se cristallisent ici en fin de trajectoire, sur les faibles salaires proposés à l’issue des études. Le mouvement des 1000 euros ou celui des 700 euros venu de Grèce, sont portés par des jeunes actifs, architectes, avocats, journalistes.

 

Finalement, on voit bien que d’un modèle à l’autre, les jeunes ne partagent pas la même perception de leur avenir. En France, le modèle méritocratique, aujourd’hui en panne, crée un fort sentiment d’angoisse face à l’avenir et au chômage, que rien ne vient nuancer. Rater la porte d’entrée c’est se condamner à vie, tant la formation initiale est survalorisée. Pour un jeune danois au contraire, faire des allers-retours entre les études et l’emploi, accepter la réversibilité de certaines situations, changer de métier, prendre une « gab year », semble totalement normal. Quant aux jeunes britanniques, leur goût de l’indépendance précoce leur met le pied à l’étrier. Même si leur marché du travail est en berne, ils s’y frottent et les études prouvent partout que plus les jeunes sont actifs, plus les emplois leur sont ouverts. A l’inverse dans les pays latins, la problématique de l’emploi des jeunes rejoint celle de la France… à ceci près, les solidarités familiales atténuent le sentiment de déclassement et de découragement de la jeunesse.

 

Repère

Cécile Van de Velde, Devenir adulte. Sociologie comparée de la jeunesse en Europe, PUF, 2008

 

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