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La « génération perdue » britannique devient-elle une génération révoltée ? Les émeutes d’août 2011 au Royaume-Uni ont conduit à près de 4 000 arrestations. Bien avant ces événements, des observateurs alertaient sur la possible radicalisation de la jeunesse contre le gouvernement libéral-conservateur qui mène une politique d’austérité.

 

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En 2010, la Fondation du Prince de Galles dédiée à l’accompagnement des jeunes en difficulté (Prince’s Trust) avait constaté l’apparition d’une « génération perdue, dans le sens où l’irruption de la précarité et du chômage de masse laissera de profondes séquelles sur les revenus, le bien-être, la santé, la participation ». Près d’un million de jeunes de moins de 25 ans sont au chômage ou dans une grande précarité.

 

« Nous, on cherche à être éduqué, mais le gouvernement a gelé toutes les aides et s’en met plein les poches » confiait un jeune émeutier à Marie-Aimée Brajeux, juriste spécialiste du droit pénal des mineurs, qui fait partie du collectif « Reading the riots » (Comprendre les émeutes).

 

Pour savoir ce qui s’est réellement passé entre le 6 et le 10 août dernier et dessiner un profil de l’émeutier, des chercheurs de la London School of Economics et des journalistes du quotidien The Guardian ont mené l’enquête. Au total : 270 entretiens avec des émeutiers, des témoins et des membres de la police et de la justice. Des déplacements à Londres, Birmingham, Manchester, Salford, Nottingham et Liverpool. Ils ont aussi analysé 2,5 millions de messages échangés sur Twitter lors des cinq jours d’émeutes. La Joseph Rowntree Foundation, qui promeut l’étude des problèmes sociaux, finance cette vaste recherche de terrain.

 

Les premières conclusions émises à l’automne contredisent le discours officiel qui prétend que ce sont des gangs de jeunes Noirs au passé criminel qui ont provoqué les émeutes en réaction à la mort de Mark Duggan, 29 ans, lors d’un contrôle de police.

 

Sur le panel interrogé par Reading the riots, 32% des émeutiers ont un casier judiciaire vierge, 80% sont des hommes, 44% sont en formation, et la plupart sont politisés. Ils sont capables de bien décrire les problèmes qu’ils rencontrent, leurs frustrations et le manque d’opportunités. « C’était donc moins un réaction à la bavure de la police, que de l’exaspération généralisée qui ont poussé les gens à participer, explique Marie-Aimée Brajeux, qui vit dans le quartier londonien d’Hackney, où il y a eu un peu de casse. Au Royaume-Uni, la fouille corporelle est autorisée pour un simple contrôle d’identité. Les gamins m’ont raconté qu’ils en ont marre, ils ont l’impression de se faire tripoter par les policiers ». Ou encore, une jeune fille qui avait dévalisé un centre commercial, un H&M et un Bodyshop, rationalisait en disant : « je sais que c’est pas bien », mais elle avait un grand sourire de satisfaction. Elle racontait l’excitation, le sentiment de faire partie de quelque chose !

 

Prouver et influencer

Les chercheurs ont constaté que dans la majorité des cas, les émeutiers vivent en situation de pauvreté et de précarité. Plutôt que de donner une raison particulière à leur participation aux émeutes, ils dénoncent un climat généralisé d’injustice : les dépenses des députés, l’austérité et la monarchie. « Leur niveau de conscience politique est très disparate » ajoute Marie-Aimée Brajeux, qui anime aussi le blog Lex Vulgaris.

 

Fidèle à ses principes « Chercher, Prouver, Influencer », la fondation Joseph Rowntree chapeaute la seconde phase de la recherche, qui s’appesantit sur la précarité des jeunes Britanniques et sur l’effet des mesures d’austérité.  

 

Longtemps « donné en modèle, le système d »insertion professionnelle britannique est en déroute, explique Corinne Nativel, politologue dans Informations sociales, en mars 2011. Les dispositifs bâtis avec plus ou moins de succès par les travaillistes sont démantelés ou privatisés par le gouvernement conservateur ». Le fonds pour les emplois d’avenir avait créé 41 000 emplois en juillet 2010, il n’en existe plus que 900 fin 2011. Idem pour l’allocation de formation (Government training allowance) qui bénéficiait à 25 000 personnes mi-2010 et plus que 4 200 en Octobre 2011.

 

Certains interviewés ont mentionné la fermeture de centre d’action sociale (Community center) des centres d’orientation professionnelle, ou encore la suppression de l’allocation de poursuite d’études accordée sur critères sociaux à partir de 16 ans (Education Maintenance Allowance, EMA). Pour le gouvernement, la suppression de l’EMA représente une économie budgétaire de 550 millions de livres. Or, dans un sondage de janvier 2011, sept étudiants sur dix affirmaient que sans l’EMA, ils devraient abandonner leurs études. Le montant de l’EMA était relativement faible, un maximum de 30 £ par semaine, que touchent 650 000 jeunes de 16 à 18 ans. Le nouveau dispositif de bourse mensuelle de 180£ est basé sur d’autres critères.

 

Piégés

En 2011, le chômage des jeunes britanniques des 16-24 ans a atteint un taux record de 22,5 %. Ce taux a dépassé le record de 1993 sous l’ère Thatcher. Les jeunes ne sont pas touchés de la même manière : les moins qualifiés et un diplômé sur cinq. Comme l’institut de statistique britannique (ONS-Office for National Statistics) dispose de statistiques « ethnique », il apparaît que le chômage frappe surtout les jeunes Noirs : un sur deux est au chômage. La moyenne est aussi plus élevée à Londres, où les émeutes ont éclaté.

 

« Ils provoquent une émeute, ils sont piégés, ils ne la provoquent pas, ils sont piégés. C’est un scénario perdant-perdant, dit le rappeur Ben Drew, alias Plan B qui a composé une chanson protestataire autour des émeutes « Ill Manors ». Au moins, pendant un moment, ils ont eu la sensation ou l’illusion du pouvoir ».

 

Pour rouvrir le débat sur l’origine des émeutes, le collectif d’artistes Future Cinema a lancé un concours de court-métrage, où elles ont commencé dans le quartier de Tottenham. Le film gagnant sera projeté avant le film principal : La Haine, le film de Mathieu Kassovitz sur les banlieues françaises, le 2 mai prochain, à la veille des élections municipales de Londres. Le début d’une « révolution positive » dans le quartier selon les organisateurs.

 

 

A lire :

– Corinne Nativel, Royaume-Uni : « Génération perdue » et politiques de workfare dans un contexte de crise économique et d’alternance politique, dans Informations Sociales, 2011/3 n°165-166

 

– Reading the riots, le profil de l’émeutier et les premières conclusions

 

– blog Lex Vulgaris, de vulgarisation juridique (en anglais) 

 

– Clip de la chanson protestataire de Plan B « Ill Manors ».

 

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