4 minutes de lecture

Le mot est employé 10 fois, 30 fois par jour. Pour autant qu’est-ce qu’une entreprise ? Pourquoi employer le même mot pour désigner une EURL (entreprise uni-personnel), une PME de 20 personnes et Siemens (360 000 personnes dans le monde) ? Leur seul point commun est au croisement des trois marchés : le marché financier (il faut de l’argent pour faire fonctionner et développer), le marché des produits et des services (que l’on vend), et le marché du travail.

 

patchwork

Mais au-delà sait-on ce qu’est une entreprise ? Juridiquement, on voit ce qu’est une société mais pas une entreprise. C’est un contrat entre plusieurs personnes morales ou physiques pour mettre en commun leurs capitaux et les faire fructifier. Le droit ignore ce que fait l’entreprise, comment elle s’organise pour le faire. « C’est un impensé juridique » disent Armand Hatchuel et Blanche Ségrestin. Ceux qui investissent dans le capital d’une société sont propriétaires des titres de la société, mais pas véritablement propriétaires de l’entreprise.

 

L’entreprise est-elle pour autant aux salariés ? Non, et c’est ce qui fait souffrir les salariés lorsque leur entreprise est vendue, fermée ou délocalisée, et qu’ils ont le sentiment de compter pour rien. En France, les dividendes versés aux actionnaires ont été doublé en dix ans comme le montre le rapport de Jean Pierre Cotis : Partage de la valeur ajoutée, des profits et écarts et des écarts de rémunération, 2009. Un rapport vite oublié et enterré. La loi sur les sociétés ne contient donc pas de notion d’entreprise mais le Code du travail ignore lui aussi ce qu’est l’entreprise, il ne connaît que la notion d’employeur.

 

Sans faire ni du droit, ni de la théorie économique, on pourrait se dire qu’une entreprise c’est une certaine manière de réunir des capitaux pour les faire produire des biens et des services à l’aide d’équipements et de collaborateurs. Le tout avec une organisation la plus efficace possible. Mais ce serait compter sans la financiarisation du monde.

 

Un modèle en faillite

Si la question de la nature de l’entreprise se pose fortement aujourd’hui, c’est que la période récente a conduit à la prise de pouvoir des actionnaires. La « corporate gouvernance », « la création de valeur », «  les class actions », tout ça c’est pour l’actionnaire. Avec des rémunérations indexées sur les résultats et les cours de bourse, avec le système des stocks options les managers ont été alignés par rapport aux actionnaires, mis dans une situation où ils doivent les servir. C’est pourquoi il est si difficile de sortir du système des rémunérations faramineuses. Tant pis si la conséquence en est de ne plus avoir qu’une vision à court terme, et de prendre des risques disproportionnés et irresponsables, ce qu’a fait le secteur financier aboutissant à la crise actuelle. La crise marque la faillite de ce modèle mais en signifie-t-elle pour autant la fin?

 

Le livre « Refonder l’entreprise » reste optimiste à cet égard : c’est qu’il s’attache à l’histoire de belles entreprises industrielles telles qu’elles ont été rationnellement organisées par des ingénieurs innovants. Il fait également la part belle à des entreprises technologiques d’aujourd’hui dans lesquelles l’innovation joue un rôle important. C’est ainsi qu’il est possible d’affirmer que  l’entreprise est une « création collective appuyée sur l’innovation scientifique et technique, un ordre social solidaire et une autorité dédiée au bien commun ». C’est peut-être vrai pour une start-up, pour quelques entreprises de taille moyenne particulièrement « éclairées ». Mais c’est faire fi du jeu de la compétition dans lequel la ressource est aussi le capital obtenu par les marchés financiers ou par le crédit. Qui contrôle la création de  monnaie (le crédit) sinon les banques et les établissements financiers ?  Retour sur la crise donc et sur ce qu’elle signifie.

 

Pourra-t-on pour « refonder l’entreprise » et sortir d’une vision uniquement financière ? Faut-il pour cela se contenter d’expliciter dans les statuts quels sont les buts de l’action collective ? Affirmer que le but lucratif n’est pas le seul ? En faire « une société à objet social étendu » ?

 

Ces modifications pèseront peu s’il est toujours plus intéressant de spéculer que de produire. Il faut au moins changer la gouvernance des entreprises, permettre aux salariés d’exercer un pouvoir et un contrôle plus important : on peut penser au  rôle du Conseil ou Comité d’entreprise et à la co-détermination dans les différents pays qui ont adopté ce mode de fonctionnement. Il est nécessaire de se donner les moyens de « refonder l’entreprise ».

 

Print Friendly, PDF & Email
+ posts

Philosophe et littéraire de formation, je me suis assez vite dirigée vers le social et ses nombreux problèmes : au ministère de l’Industrie d’abord, puis dans un cabinet ministériel en charge des reconversions et restructurations, et de l’aménagement du territoire. Cherchant à alterner des fonctions opérationnelles et des périodes consacrées aux études et à la recherche, j’ai été responsable du département travail et formation du CEREQ, puis du Département Technologie, Emploi, Travail du ministère de la Recherche.

Histoire d’aller voir sur le terrain, j’ai ensuite rejoint un cabinet de consultants, Bernard Brunhes Consultants où j’ai créé la direction des études internationales. Alternant missions concrètes d’appui à des entreprises ou des acteurs publics, et études, européennes en particulier, je poursuis cette vie faite de tensions entre action et réflexion, lecture et écriture, qui me plaît plus que tout.