Pression sur les salaires, concurrence conventionnelle, chantage à la délocalisation. Malgré les contentieux sur les conventions collectives, le dialogue social reste fort en Allemagne et les syndicats semblent être sortis vainqueur de la décentralisation de la négociation. Le point avec Patrick Rémy, Maître de conférence à l’Ecole de droit de la Sorbonne, spécialiste de la comparaison des droits allemand et français du travail, et co-responsable du Groupe d’Etudes Franco-Allemand sur le Contentieux du Travail (GEFACT).
Quels sont les différents niveaux d’accords collectifs qui existent en Allemagne ?
Le système d’accords collectifs est apparemment très ordonné et les compétences semblent clairement réparties entre les différents niveaux de négociation : au niveau centralisé des branches, les syndicats et organisations patronales négocient pour leurs seuls membres des conventions collectives qui visent à pallier l’inégalité du rapport de travail en réglementant les conditions essentielles de travail (salaires minimum, durée du travail, …). Au niveau décentralisé de l’entreprise, le syndicat étant institutionnellement absent, c’est le conseil d’établissement, institution élue par l’ensemble du personnel qui dispose de véritables droits de codétermination, plus ou moins intenses, sur certaines questions relevant en principe des pouvoirs de l’employeur (horaires de travail, principe de répartition des primes… réduction ou augmentation provisoires de la durée du travail, c’est-à-dire chômage partiel et heures supplémentaires).
L’employeur et le conseil d’établissement peuvent conclure des conventions d’établissement sur tous les sujets, mais si la question est déjà réglementée par une convention de branche (syndicale), celle-ci bénéficie d’une priorité. Et cette priorité est quasiment absolue sur les questions des salaires et de la durée du travail, en ce sens que la convention de branche fait échec à toute convention d’établissement, à savoir y compris si la convention de branche n’est pas applicable dans l’entreprise en question. C’est la priorité à l’autonomie collective des syndicats, seule à être garantie constitutionnellement (par le fameux article 9 III de la loi fondamentale).
Mais ce système de base est mis à l’épreuve depuis le début des années 1980. Syndicats et organisation patronales peuvent, certes, prévoir, autonomie collective oblige, des clauses d’ouverture dans les conventions de branche qui délèguent ainsi certains pourvoirs (celui de faire varier la durée hebdomadaire du travail), dans certaines limites, à l’employeur et au conseil d’établissement au niveau décentralisé. Mais en l’absence de telles clauses d’ouverture, force est d’admettre qu’en pratique les conseils d’établissement et l’employeur ont souvent conclu des conventions d’établissement qui étaient illégales (v.ci-dessous).
Comment est-ce possible ?
Tout d’abord, il faut savoir que l’employeur qui n’est pas membre d’une organisation patronale n’est en principe pas tenu d’appliquer une convention collective de branche dans l’entreprise. L’extension existe comme en France, mais en pratique, rares sont en principe les conventions collectives de branche étendues, sauf dans le bâtiment. Cette situation pourrait changer depuis que la loi permet l’extension de certaines conventions collectives pour imposer des minima salariaux dans certaines branches limitativement énumérées ; en tout cas, différents éléments expliquent que les employeurs allemands soient traditionnellement incités à adhérer aux organisations patronales, même si, là aussi, le système allemand a été en crise depuis les années 1990 suite à la réunification : de nombreux employeurs s’étant trouvés dans l’impossibilté de respecter les minima de branche, on a enregistré un phénomène massif dit de « fuite » des conventions de branche, lequel pouvait emprunter différentes voies juridiquement (démission de l’organisation patronale, externalisation…).
Les salaires et la durée hebdomadaire de travail relèvent de l’autonomie collective. L’autonomie collective est inscrite dans la Loi fondamentale au fameux article 9 III. Composée de 13 articles, la loi sur les conventions collectives (Tarifvertragsgesetz) qui est censée concrétiser cette autonomie collective date de 1949 et n’a quasiment pas changé depuis cette date (!). La Cour constitutionnelle fédérale énonce d’ailleurs que le législateur doit mettre en place « un système d’autonomie collective », et qu’une fois que cette autonomie collective « fonctionne », il doit s’abstenir d’intervenir dans la réglementation des conditions de travail.
Quels sont les critères qui définissent « un sytème d’autonomie collective qui fonctionne » ?
La négociation des conventions collectives est réservées aux organisations syndicales qui sont dites « capables » de négocier. Tel sera le cas, selon la Cour fédérale du travail, si l’organisation syndicale satisfait à plusieurs indices, et en particulier si elle est suffisamment « puissante » vis-à-vis des organisations patronales.
En l’occurrence, toujours selon la Cour, l’organisation sera puissante si elle est en mesure d’exercer une pression et une contre-pression par rapport à la partie patronale. Bref, cette notion de « capacité conventionnelle » s’oppose à celle de la « représentativité » française. Alors que la représentativité française mesure un rapport de légitimité du syndicat vis-à-vis des salariés, la capacité conventionnelle vise au contraire à mesurer un rapport de force entre le syndicat et le partenaire social patronal. D’ailleurs, un syndicat allemand n’a pas besoin d’être représentatif puisque, contrairement aux syndicats français, il ne représente juridiquement que ses membres.
En outre, les syndicats sont puissants parce qu’ils sont titulaires du droit de grève. Autrement dit, le droit de grève n’est pas un droit individuel à exercice collectif comme en France, mais un droit de titularité syndicale. Autrement dit, des salariés qui cesseraient le travail pour faire grève en Allemagne seraient en faute s’il n’y a pas eu d’appel du syndicat (ce qui n’est d’ailleurs pas conforme au droit européen, en particulier celui de la Charte sociale du Conseil de l’Europe). Et en retour, il y a un lien consubstantiel entre le droit de grève et le droit des conventions collective qui n’existe pas en droit français. En effet, outre-Rhin, la conclusion d’une convention collective fait naître une obligation implicite de paix sociale relative (Friedenspflicht).
Ainsi, en concluant la convention collective, le syndicat s’interdit de faire appel à la grève sur des sujets qui ont été réglés par la convention collective et ceci pendant toute la durée de sa validité. Contrairement à ce qui prévaut en France, les conventions de branches sont à durée déterminée en Allemagne, d’une durée d’un an sur les salaires en principe, cette durée pouvant être plus longue sur d’autres questions. On voit bien que ce système a beau ne pas comporter d’obligations légales de négocier (comme en France), il est fortement incitatif pour les acteurs à conclure des conventions collectives.
En principe, on l’a dit, une convention collective ne déploie son effet normatif que sur les contrats de travail des seuls salariés syndiqués. Mais en pratique l’employeur applique le plus souvent la convention collective à tous ses salariés, ne serait-ce que pour éviter que les salariés non syndiqués adhèrent alors au syndicat avec pour effet de renforcer sa puissance…. Mais cette application à tous les salariés se fait par le truchement de clauses du contrat de travail qui renvoient à la convention collective applicable, laquelle devient incorporée au contrat de travail. La question de l’interprétation de ces clauses de renvoi est devenue un sujet majeur du droit du travail de ces dernières années, surtout dans les cas où l’employeur ne relève plus de la même convention collective de branche, suite à un transfert d’entreprise par exemple ou un changement d’activité principale.
En définitive, l’autonomie collective explique que la loi ait un poids beaucoup moins important qu’en France dans la réglementation des conditions de travail. Ainsi, l’Allemagne ne connaît pas de Code du travail, mais seulement, à côté des dispositions du BGB qui s’intéressent au rapport de travail, d’une compilation de différentes lois (sur les congés, les conventions collectives, les CDD et le temps partiel, sur les licenciements….). Il est vrai que dans la période récente, le législateur a eu tendance à intervenir davantage, y compris sur les conditions de travail comme les salaires. Mais, il a surtout veillé à limiter les abus dans certaines branches, comme dans le secteur de l’intérim en particulier. Mais d’aucuns considèrent toujours qu’une loi générale sur un Smic porterait atteinte à l’autonomie collective et poserait à ce titre des difficultés d’ordre constitutionnnel. Pour le moment un seul syndicat s’est exprimé en faveur d’un smic à 8 € brut (assez loin des 9,40 € en France).
De la même façon, il n’existe pas de durée légale du travail au sens de seuil de déclenchement des heures supplémentaires (35 heures en France). Il existe certes une loi sur le temps de travail en Allemagne, mais comme la directive européenne qu’elle transpose, cette loi ne régit que la durée maximale de travail (48 h hebdo) et les temps de repos, c’est-à-dire la durée du travail au sens de la santé et sécurité des travailleurs. Quant à la durée rémunérée (seuil de déclenchement des heures supplémentaire), elle est fixée, autonomie collective oblige, par convention collective et varie donc d’une branche à l’autre, et serait de 39 heures en moyenne.
Quels sont les pouvoirs réels du conseil d’établissement ?
Au niveau décentralisé, le conseil d’établissement (Betriebsrat) est une institution de représentation dont les membres sont élus par tous les salariés. Ses pouvoirs vont au-delà de l’information-consultation : il dispose sur certaines questions de véritables droits de codétermination où il se situe à égalité avec l’employeur. La loi sur la constitution de l’établissement distingue les questions sociales, les questions de politique du personnel (embauche, licenciement…), et les questions économiques (restructurations notamment). Et c’est sur les questions sociales que le conseil d’établissement dispose des droits de codétermination les plus intenses, comme la répartition de la durée du travail (donc les horaires), ou la réduction ou l’augmentation provisoire de la durée du travail (donc respectivement chômage partiel ou d’heures supplémentaires), et enfin sur la répartition des primes.
Le comité d’établissement est chargé de répartir une enveloppe globale et s’engage à assurer l’égalité de traitement. Sur ces questions, non seulement, le conseil peut s’opposer à la mesure de l’employeur, mais en plus il peut en prendre l’initiative ! En cas de désaccord entre l’employeur et le conseil, la question est tranchée par une instance d’arbitrage (le plus souvent interne à l’établissmement) qui est composée d’un nombre égal d’assesseurs de chaque côté et présidée par un président neutre. A défaut d’accord sur la personne de ce président neutre (dont le rôle est bien sûr déterminant en cas de partage de voix), c’est le tribunal du travail qui le nomme. En pratique, il s’agira souvent d’un magistrat expérimenté. L’instance d’arbitrage étant coûteuse en argent et en temps, l’employeur a souvent intérêt à trouver un compromis le plus en amont possible avec le conseil. En outre, le conseil peut conclure des conventions d’établissement avec l’employeur qui ont un effet normatif sur le contrat de travail.
Depuis quand et dans quelle mesure les conventions collectives de branche conclues par les syndicats et les conventions d’établissement conclues par le conseil d’établissement sont elles mise en concurrence ? Que dit la jurisprudence ?
L’Article 9 III de la loi fondamentale (GG) donne une priorité presque absolue à l’autonomie collective, on l’a vu. Ce système est mis à l’épreuve car depuis la fin des années 70, les tensions sont les mêmes qu’en France même si les voies juridiques sont différentes. Il est question de flexibiliser, de décentraliser la négociation collective, ce qui fragilise la négociation collective de branche. Depuis 1984, il existe des « clauses d’ouverture » dans certaines conventions collectives de branche par lesquelles les syndicats et organisations patronales acceptent de déléguer une partie de leurs pouvoirs (notamment sur la durée du travail habituelle) à l’employeur et au conseil d’établissement. Ces clauses d’ouverture sont en pratique très diverses : soit qu’elles établissent un « korridor » (variation de la durée hebdomadaire de travail de 35 à 39 h en moyenne), soit qu’elles prévoient des options (système dit cafétéria)… Ces clauses témoignent de la créativité des syndicats et organisations patronales. Mais que faire lorsqu’il n’y a pas de clause d’ouverture en sachant qu’au sein du DGB, le syndicat de la métallugie est traditionnellement moins favorable que celui de la chimie à la conclusion de telles clauses ?
Les entreprises ont eu tendance à vouloir « déroger » aux conventions collectives, y compris en l’absence de clauses d’ouverture. Dans les années 90, après la réunification, beaucoup d’entreprises n’ont en particulier pas pu tenir leurs engagements sur l’alignement des salaires de la RDA sur ceux de la RFA, car même progressives, les augmentations étaient faramineuses. On a parlé alors de « fuite des conventions collectives » (Tarifflucht).
Inutile d’abord de préciser que s’agissant de conventions de branches, les employeurs ne peuvent individuellement dénoncer la convention collective. Certes, le groupement patronal le peut, mais s’agissant de convention à durée le plus souvent déterminée, il faut des circonstances exceptionnelles. Ainsi, lorsque la convention collective est de longue durée (4 ans par exemple, s’agissant des conventions d’alignement progressif des salaires de l’Est sur ceux de l’Ouest), la Cour fédérale du travail a accepté de faire application de la théorie – étrangère au droit français – de la « révision pour imprévision », mais l’a soumise à des conditions telles que celle-ci s’est révélée impraticable.
Nombreux sont ainsi les employeurs qui ont démissionné des organisations patronales. Pour empêcher ce mouvement de démission, les organisations patronales ont inventé le statut de « membre non lié à une convention collective » (Ohne-Tarifbindung Mitgliedschaft). Sur fond de controverses juridiques et d’enjeux pratiques très fondamentaux, la Cour fédérale du Travail s’est finalement prononcée pour la validité de tels modèles d’adhésion sans liaison conventionnelle, non sans poser toutefois plusieurs conditions. En particulier, il faut s’assurer que l’employeur membre de l’organisation selon un tel modèle ne puisse exercer d’influence sur la politique conventionnelle du groupement.
Mieux encore, toujours pour échapper à la convention collective de branche (dont le critère matériel d’application est celui de l’activité principale de l’entreprise), les entreprises ont parfois changé d’activité en externalisant.
Force est toutefois de constater que tous ces mécanismes de « fuites » des conventions collectives n’ont pas les effets escomptés, en tout cas immédiatement, ne serait-ce que parce que juridiquement la loi allemande prévoit -comme la loi française- des solutions de survie de la convention collective. Ainsi, l’employeur qui démissionne de l’organisation patronale reste lié à la convention collective jusqu’à son terme… de telle sorte qu’il échappe seulement aux avenants conclus postérieurement à sa démission.
Tant et si bien que beaucoup d’entreprises ont préféré depuis 15 ans violer la convention collective de branche avec l’accord des salariés, en faisant du chantage à l’emploi au sein de leur établissement. Ainsi, elles ont proposé aux salariés de travailler plus pour le même salaire, ou de travailler autant mais à un salaire inférieur moyennant l’engagement de ne pas licencier pour motif économique pendant une certaine durée (1 an, 2 ans ou plus) ou de ne pas délocaliser l’établissement à l’Est. La menace de délocalisation est d’autant plus crédible et prise au sérieux que la Pologne est un pays limitrophe.
Beaucoup de conseils d’établissement ont accepté ces compromis. Les élus du personnel sont pourtant syndiqués et appartiennent souvent aux syndicats qui ont signé la convention collective de branche. En cautionnant, par réalisme sur le terrain, la violation de cette convention collective sur les salaires et la durée du travail, ils ont donc un comportement schizophrène. Très souvent l’employeur organise en plus un référendum dans l’entreprise : dépourvu de fondement juridique, ce référendum lui permet de s’assurer du soutien d’une majorité -souvent une quasi-unanimité- des salariés et donc du fait que ces salariés accepteront une modification de leurs contrats de travail.
Ainsi, beaucoup d’entreprises ont fonctionné dans l’illégalité la plus totale, mais somme toute, il y a eu peu de contentieux. La question s’est toutefois posée de savoir si, même avec l’assentiment des salariés, ces accords sur l’emploi étaient valables. La loi allemande sur les conventions collectives dispose que la convention collective s’impose dans la limite des clauses les plus favorables du contrat de travail. Mais qu’est-ce qui est le plus favorable ? Etre payé 38h payées 38, sans garantie d’emploi ou, au contraire, travailler 40h, payées 38 avec une garantie d’emploi ? Tout dépend donc de savoir si l’on peut introduire l’emploi dans la comparaison des avantages pour apprécier ce qui est plus favorable entre la convention collective de branche (38 h payées 38), qui ne s’applique toutefois qu’aux salariés syndiqués, ou le contrat de travail (40 h payées 38, mais avec une garantie d’emploi).
Les syndicats ont lutté farouchement contre ces accords sur l’emploi. Mais ils ne pouvaient agir en justice directement contre l’employeur individuel qui a violé la convention collective de branche, dans la mesure où l’employeur individuel n’est pas signataire de la convention de branche. Les syndicats ne pouvaient agir que contre l’organisaton patronale signataire, à charge pour elle ensuite de faire pression sur ses membres récalcitrants pour qu’ils respectent la convention de branche. Cette action est très fastidieuse et vouée à l’échec en pratique. Si bien que soucieuse de protéger l’autonomie collective, la Cour fédérale du travail a admis dans sa décision de référence « Burda » de 1999 que le syndicat puisse agir directement contre l’employeur individuel à l’origine de la violation de la convention de branche. Mais cette action en justice a été soumise à de très nombreuses conditions par la suite. Quoi qu’il en soit, dans cette décision Burda, la Cour fédérale du travail a jugé que l’emploi ne pouvait être intégré dans la comparaison des avantages : à une comparaison globale, elle a donc privilégié -comme en droit français- une comparaison semi-analytique entre les avantages qui ont le même objet et la même cause (« on ne compare pas les pommes et les poires »). Bref, cette décision de justice a mis un frein certain aux accords sur l’emploi.
Après cette décision Burda, la CDU et la FDP ont suggéré de modifier la loi sur les conventions collectives pour introduire des clauses d’ouverture légales et conforter les accords sur l’emploi approuvés par les conseils d’établissement et les salariés sur le plan de leurs contrats de travail. Mais le gouvernement de G.Schröder n’a pas sauté le pas sur ce point, et le gouvernement de grande coalition de 2005 n’a été possible que parce que A. Merkel s’est également engagée à ne pas porter atteinte à l’autonomie collective.
Quelle a été la stratégie des syndicats ?
La violation de plus en plus massive des conventions collectives de branche les a incité à réagir. Plutôt que d’assister à ces violations, ils ont considéré qu’il valait mieux conclure des clauses d’ouverture et contrôler leur mise en œuvre. Des clauses plus ou moins sophistiquées subordonnent même l’entrée en vigueur de la convention d’établissement sur l’emploi à l’accord du syndicat signataire de la convention de branche.
Quand une entreprise connait des difficultés, le syndicat peut aussi conclure une convention d’entreprise sur l’emploi (Firmentarifvertrag). En cas de concours entre une convention de branche et une telle convention d’entreprise, les choses sont plus simples, puisque le principe de faveur ne s’applique pas. On fait au contraire application du principe de spécialité, ce qui a pour effet de faire prévaloir la convention d’entreprise qui est spéciale par rapport à la convention de branche. Alors qu’il existait traditionnellement peu de conventions d’entreprise en Allemagne (ni les employeurs, ni les syndicats du DGB n’y avaient intérêt), leur nombre a considérablement augmenté avec la crise.
Le problème est venu de ce que les employeurs ont cherché à conclure de telles conventions d’entreprise avec non pas des syndicats du DGB (IG Metall, IG Chimie, Ver.di…), mais avec des syndicats chrétiens beaucoup moins hostiles à ces compromis sur l’emploi. Ce sont certains de ces syndicats chrétiens qui ont accepté de conclure un salaire inférieur à 5 euros dans certaines branches. Mais s’est alors posée la question récurrente de savoir si ces syndicats chrétiens étaient capables de négocier, c’est-à-dire suffisamment puissants (supra). La jurisprudence a semblé assouplir son exigence sur ce point à partir de 2004 pour favoriser un certain pluralisme syndical, et ceci non seulement au profit des syndicats chrétiens concurrents à ceux du DGB, mais aussi au profit des syndicats de métiers (des professions dites d’élites, commes les pilotes de ligne, les médecins, les conducteurs de locomotives). En 2010, la Cour a toutefois fait machine arrière par rapport au syndicat chrétien de l’intérim qui avait accepté des niveaux de salaire dérisoires.
Quelle est la tendance aujourd’hui ? Va-t-on vers une progression du pluralisme syndical ?
En tout cas, un pluralisme syndical plus important suppose également un certain pluralisme conventionnel. Aussi, dans une décision retentissante de 2010, la Cour fédérale du travail a mis fin au principe d’unité conventionnelle (Tarifeinheit) qui voulait qu’une seule convention collective de branche s’applique dans toute l’entreprise. Avec l’abandon de ce principe d’application d’une seule convention de branche à toute l’entreprise, chaque salarié peut désormais revendiquer l’application de la convention collective de branche qui a été conclue par le syndicat auquel il a adhéré. C’est dire à quel point l’abandon du principe d’unité conventionnelle met fin à une des dimensions qui contribuaient à rendre le système allemand très ordonné. Dans ces conditions, il n’y a rien d’étonnant à ce que les organisations syndicales (DGB) et patronales centrales aient demandé au gouvernement d’intervenir et d’inscrire ce principe d’unité conventionnelle dans la loi sur les conventions collectives. Ce principe d’unité conventionnelle ayant été remis en cause par la jurisprudence au noms d’impératifs constitutionnels, en particulier de respect de la liberté syndicale positive et négative, on peut douter des chances d’aboutir de tels projets.
Au final, les syndicats s’étant finalement emparés, bon gré mal gré, du thème de l’emploi dans les conventions collectives (clauses d’ouverture dans les conventions de branche, conclusion de conventions d’entreprise), le débat s’est désormais déplacé sur la question du pluralisme syndical et du pluralisme conventionnel et de leurs conséquences sur un système de négociation collective qui était jusqu’ici très ordonné. En outre, l’évolution actuelle amène sur le plan juridique à prendre beaucoup plus au sérieux que cela n’était le cas jusqu’ici l’adhésion du salarié au syndicat. En particulier, il s’agit d’éviter que par l’interprétation des clauses de renvoi aux conventions collectives dans les contrats de travail, ce soient finalement les salariés non syndiqués qui soient favorisés par rapport aux salariés syndiqués !
Alors que l’on croit avoir résolu le problème de représentativité des syndicats en France en exigeant avec la réforme de 2008 une audience électorale, le droit allemand et son évolution est là pour nous rappeler qu’une légitimité du représentant qui est fondée sur l’adhésion (syndicat) est nécessairement supérieure, dans un système de droit privé, à celle qui est fondée sur l’élection (conseil d’établissement).
Lire
– Les accords collectifs sur l’emploi en Allemagne : un « modèle » pour le droit français ? Revue de droit du travail, mars 2012 (p133-144)
– L’autonomie collective : une illusion en droit français, Semaine Sociale Lamy supplément n°1508, 2011, p.63
– Gefact (groupe d’étude franco-allemand sur le contentieux du travail).
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