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Entre 2008 et 2012, la crise a coûté 750 morts par suicide supplémentaires en France. Un fléau et un tabou dans le pays qui connaît un taux de suicides les plus élevés de l’Union européenne.

 

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Si les Italiens, les Britanniques et les Grecs font le lien entre la crise et la recrudescence des décès par suicide et le présentent comme un problème de santé publique, les Français persiste à le traiter comme un drame individuel. S’inspirant d’expériences suédoise et britannique, un collectif de 44 médecins du travail, psychiatres, psychologues, sociologues et chercheurs en sciences sociales plaident pour la création d’un observatoire des suicides. Metis y avait consacré un article l’an dernier.

 

Alors que le précédent gouvernement avait opposé une réponse négative, les porteurs du projet d’observatoire ont trouvé une écoute attentive auprès de Christophe Devys, conseiller social du Premier ministre, qui a assuré son interêt pour la proposition et établit un dossier. Fin août, la ministre déléguée aux personnes âgées et à l’autonomie Michèle Delaunay s’est également déclarée favorable.

 

La mobilisation des acteurs syndicaux a sans doute favorisé ce mouvement. Plusieurs syndicats ont signé l’appel : la CFdT, l’UNSA (très implanté dans la police et à la Poste), la CFE-CGC, rejoint le 5 septembre dernier par la CGT.

 

Le suicide est le premier phénomène de mort violente en France. Près de 10 500 décès par an, soit trois fois les morts sur la route et vingt fois les victimes d’homicides. Si la mortalité des seniors a baissé de 15%, et celle des adolescents de 45% au cours des 15 dernières années, la mortalité de la catégorie des 30-60 ans stagne. Elle souffre de « l’absence de mobilisation » explique Michel Debout, ancien président de l’Union nationale de prévention du suicide (UNPS), lors d’une conférence de presse tenue à l’occasion de la Journée mondiale du suicide le 10 septembre. « Avec la crise, nous pouvons estimer qu’il y a eu jusqu’à 750 morts par suicide en plus entre 2008 et 2012 ».

 

« Les dispositifs existants sont trop morcelés, on se contente de saupoudrage en fonction de l’actualité » explique Jean-Claude Delgènes, directeur général du cabinet Technologia, spécialisé dans la prévention des risques psychosociaux au travail.

 

Lever le tabou

L’Observatoire aurait plusieurs fonctions pour analyser le suicide dans sa globalité, et non plus au regard de professions ou de générations. Première priorité : avoir des indicateurs fiables et créer un outil pour actualiser les chiffres du suicides et les données que certains acteurs collectent mais n’utilisent pas. En parallèle, l’observatoire veut devenir un lieu d’échange entre les acteurs : préventeurs, médecins, urgentistes, avocats, associations de famille, épidémiologistes. Un point majeur sera d’améliorer la prise en charge des personnes qui ont fait des tentatives de suicide et le suivi des récidives. 40% des suicidés ont déjà tenté de se suicider. « Avec 190 000 tentatives par an, si on considère que chaque suicidant connait 20 à 30 personnes, le halo de répercussion est énorme : 3 à 4 millions de personnes sont concernées par l’acte suicidaire chaque année » analyse Jean-Claude Delgènes.

 

Ils entendent aussi mener des actions de prévention et de sensibilisation. Entre autres sur les facteurs prédictifs de suicide : surendettement, surinvestissement dans le travail, burn out, le chômage. Car la perte d’emploi est « une petite mort sociale » estiment les initiateurs de l’appel. Non seulement en terme de rémunération, de vie sociale, mais aussi de protection sociale. Selon Michel Debout, il faudrait faire que les personnes licenciées puisse être suivies par la médecine du travail durant deux ans.

 

« Le suicide n’est pas une question psychologique, c’est une question politique, estime le philosophe Vincent Cespedes, qui intervient à l’hôpital Sainte Anne et en milieu carcéral.

Il existe des interconnexions profondes entre le chômage, la famille, la pauvreté et l’organisation du travail. La santé mentale est totalement connectée au monde ». Dont acte.

 

  

 

Lire aussi :

Michel Debout, Gérard Clavairoly, Le suicide, un tabou français (Mutualité Française et Editions Pascal)

Suicide au travail en Europe : la grande inconnue

Le site des l’Observatoire des suicides

 

 

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