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Jean KASPAR, président de la Commission du Grand Dialogue de La Poste, a remis le 27 mars dernier son rapport sur le bien-être au travail . Si l’annonce de 5000 embauches a retenu l’attention, l’essentiel des préconisations est ailleurs, il y va de l’avenir du modèle économique et social de l’entreprise. Quelles sont les causes du malaise social et les solutions pour y remédier ? Entretien.

 

Kaspar

La question des effectifs a été très médiatisée, cela ne s’est-il pas fait au détriment de la question centrale du mal-être, ses causes et vos préconisations ?

 

Le fait que la presse ait mis l’accent sur l’embauche de 5000 personnes pour réduire la tension sur les effectifs, démontre que les médias se préoccupent plus du quantitatif que du qualitatif. Cela se comprend aussi parce que le poids du chômage est tel dans notre société que l’embauche de 5000 personnes supplémentaires sur 2 ans apparaît comme un signe très positif, voire spectaculaire. Cela dit, il est important de souligner que ces 5000 emplois ne sont pas sortis d’un chapeau. Ils représentent le nombre d’heures consacrées au dialogue social et à la formation. Ces heures ont été sanctuarisées pour faire en sorte que les absences des agents qui participent au dialogue social ou sont en formation ne pèsent pas sur l’activité des équipes. Il s’agit d’un choix novateur, la formation et le dialogue social ne sont pas considérés comme des facteurs de coût mais comme un investissement nécessaire au développement de l’entreprise. Enfin pour répondre à un autre aspect de votre question, s’il y a des salariés qui sont en situation de mal-être, on ne peut pas dire qu’il y a un mal-être généralisé à La Poste.

 

Le rapport met en avant le manque d’écoute, qui est une des premières insatisfactions des postiers, alors qu’il existe un dialogue social « démentiel » au sein du Groupe. Il semble que la conduite du changement n’ait pas suffisamment fait place à la concertation avec les RP, et que la DRH était trop loin. Pour mener la restructuration plus rapidement ? Vous préconisez une refonte du dialogue et plus largement du modèle social de l’entreprise, que le rapport estime trop refermé sur lui-même. Quel est l’avis des organisations syndicales sur cette question ? Quels sont les obstacles à la mise en place d’une organisation du travail plus participative ?

 

Si La Poste a réussi au cours des 10 dernières années une transformation reconnue par tous les observateurs, elle a pu le faire parce qu’elle a préservé son modèle social, c’est-à-dire la garantie de l’emploi à ses salariés, et ce n’est pas rien. Il faut se rappeler que La Poste est passée de 320.000 personnes en 2000, à 244.000 en 2012 sans licenciement et sans plan social, contrairement à ce qui s’est passé dans la majorité des entreprises françaises.

 

À partir de là, l’entreprise a sous-estimé les limites de son modèle social (vieillissement du personnel, montée des aptitudes partielles, de l’absentéisme, des accidents du travail) et surtout, l’entreprise n’a pas suffisamment traité la question de la conduite du changement qui est restée insuffisamment participative. Le rapport met l’accent sur une plus grande implication de l’encadrement, des salariés et la nécessité de mieux impliquer en amont les représentants du personnel. Sur ce dernier point, ce qui m’a frappé c’est le caractère formaliste du dialogue social et sur une conception insuffisamment coopérative entre la Direction et les syndicats. Les syndicats en ont convenu. Je ne suis pas certain que toutes les organisations syndicales en ont tiré les enseignements pour revoir leur propre stratégie.

 

Les raisons du malaise sont aussi : la rémunération, l’intensification du travail et le manque de moyens pour réaliser les objectifs. Vous évoquez notamment le cas de certains facteurs qui avaient une seconde activité après 16h. Dans quelle mesure ? Et pourquoi ? Est-ce parce que leur rémunération est trop basse ?

 

Les raisons du malaise sont plus complexes. Il y a le sentiment que l’ampleur des adaptations et des transformations est trop rapide et ne permet pas de digérer les précédentes. Que l’intensification du travail ne permet pas toujours de répondre à la conception que se font les personnes de la mission de service public de La Poste.

 

Il y a surtout, et cela a été mis en évidence par la très grande majorité des personnes rencontrées (plus de 500 personnes), le fait de pas être impliqué, écouté, pour peser sur la nature des transformations. Les postiers ont été considérés non pas comme des sujets ou des acteurs du changement mais comme les instruments de changements décidés en dehors de leur implication.

 

Il y a certainement aussi le niveau des rémunérations, mais cet aspect n’a pas été traité en tant que tel. Cependant il faut bien prendre en compte que le bien être au travail ne dépend pas seulement du niveau des rémunérations. J’ai rencontré de nombreux cadres qui ont des rémunérations très satisfaisantes mais qui s’interrogeaient sur les conditions d’exercice de leurs missions.

 

Il ne semble pas ressortir du rapport que les agents ressentent une perte de sens dans le métier. Le rapport évoque brièvement le moindre temps pour les missions de service public informel (veille des personnes âgées, menus services). En tant que client, il est assez incongru de voir un guichetier proposer un crédit immobilier, un abonnement téléphonique, etc… Or il semble que cela soit valorisé comme de la polyvalence et que les agents apprécient celle-ci.

 

Il y a indiscutablement une évolution des métiers. L’entreprise, tout en assumant ses responsabilités de service public, est bien obligée d’assurer le développement de son chiffre d’affaires et sa bonne santé économique.

 

À la suite de notre rapport, le Président a été très clair et a indiqué que ;

« la stratégie de l’entreprise devait se construire autour de 3 piliers :
– le client dans un esprit de service public
– la Qualité de la vie au Travail
– la bonne santé économique de l’entreprise »

 

Si les missions de service informel (veille des personnes âgées, menus services) peuvent et doivent être des missions à développer, il faut que la question du financement de ces activités soit abordée et que l’Etat actionnaire en tienne compte dans les exigences de rentabilité qu’il impose à l’entreprise.

 

Le rapport estime que la compression de la masse salariale a provoqué l’intensification du travail et élargit le « syndrome du n-1 ». Quelle a été la réception des cadres dirigeants lorsque vous leur avez présenté les analyses et préconisations de la commission ? Quelles sont les solutions pour qu’ils se sentent moins sous pression ?

 

Nous avons indiqué très clairement à la Direction de l’entreprise que notre rapport constituait un tout cohérent et qu’il fallait le prendre en compte dans sa globalité. Pour être tout à fait clair, j’avais indiqué qu’il ne constituait pas un catalogue dans lequel chacun peut piocher telle ou telle mesure. Cet aspect est tout à fait fondamental. En effet, la qualité de vie au travail dépend de multiples facteurs : avoir une prise sur l’organisation de son travail, des espaces d’initiative, de responsabilité et d’autonomie, la nature du management, les conditions et l’organisation du travail, les possibilités de déroulement de carrière ou encore la confiance que l’on a dans l’avenir de l’entreprise etc … Il faut donc agir sur de multiples aspects de la vie de l’entreprise. La Direction a bien compris le message puisque le Président a fait sienne notre exigence. Il s’agit maintenant de poser les actes qui concrétisent la démarche. Cela dépend de la direction mais aussi… des organisations syndicales.

 

Jean Kaspar, ancien secrétaire général de la CFDT de 1988 à 1992, consultant en stratégies sociales JK Consultant

Rapport de la Commission du Grand Dialogue de La Poste

 

 

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