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Entretien avec Fanny Barbier, directrice des études et de la recherche au sein de l’Institut du leadership, Groupe BPI, à propos de l’enquête internationale « L’entreprise idéale existe-t-elle ? ».

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Vous réalisez avec BVA, depuis 2008, une grande enquête internationale sur le travail et le management, comment sont conduites ces enquêtes ?

L’Institut du Leadership mène avec BVA une enquête annuelle internationale auprès de salariés représentatifs de la population active. (1) « L’entreprise idéale existe-t-elle ? » est le thème retenu pour la 5ème enquête. Elle a été conduite via internet auprès de 9 145 salariés de 16 pays : Allemagne, Belgique, Brésil, Canada, Chine, Espagne, Etats-Unis, Finlande, France, Italie, Maroc, Pologne, Roumanie, Royaume Uni, Russie, Suisse.

 

Quels sont en 2012 les pays où l’on va travailler avec le plus d’enthousiasme ?

Deux questions permettent de mesurer l’enthousiasme au travail : celle du plaisir que les salariés ont à venir travailler et celle de leur motivation. Les deux notions sont plus corrélées dans les pays d’Europe de l’Ouest. Ainsi, la Suisse, la Finlande, l’Italie, la Belgique et l’Allemagne ont un score élevé de plaisir à venir travailler (de 87 % à 92 %) et de motivation par le travail (entre 76 % et 90 %). Le Royaume Uni et la Roumanie se trouvent en revanche en bas de classement sur les deux questions. Le Maroc et le Brésil se distinguent avec les scores les plus élevés de plaisir à venir travailler (96 % et 93 % respectivement), mais des scores nettement inférieurs de motivation par le travail, à 73 % de répondants pour le Brésil et 51 %, pour le Maroc.
En France, seuls quatre salariés sur cinq ont plaisir à venir travailler, un score comparativement bas, et les trois quarts d’entre eux sont motivés par leur travail, ce qui est dans la moyenne.

De nombreux pays, dont la France, sont mal jugés sur la reconnaissance du travail dans les entreprises, ainsi que sur la possibilité de développer ses compétences. Y a-t-il des exceptions ?

Sur les 15 domaines de satisfaction proposés, arrivent en bas de classement, dans quasiment tous les pays, les possibilités d’évolution professionnelle dans l’entreprise (seuls 55 % des salariés en sont satisfaits) et la reconnaissance du travail – satisfaisante pour 67 % des salariés en moyenne et pour seulement 57 % des salariés en France. Les exceptions sur ce sujet se trouvent en Chine, 81 % des salariés estiment que leur travail est reconnu, en Suisse (78 %) et au Maroc (76 %) . Quant aux possibilités d’évolution, c’est un sujet de satisfaction pour 69 % des salariés en Chine mais dans 5 pays ce taux ne dépasse pas les 50 % (Italie, Roumanie, Russie, Pologne et France). En France, à l’heure du débat sur la sécurisation de l’emploi, ce faible taux est à prendre en considération d’autant qu’il a diminué de 5 points depuis 2003 (2). A noter que les relations avec les collègues ainsi que la nature du travail sont les deux premiers sujets de satisfaction dans tous les pays ou presque. Ces résultats montrent que le lien au travail reste fort mais que ce n’est plus forcément le cas du lien à l’entreprise.

Vous posez la question « quelle est votre priorité professionnelle ? », on constate que peu répondent « avoir davantage de responsabilités dans votre travail ». Comment l’interprétez-vous ?

Deux facteurs expliquent à nos yeux ce résultat. Le premier ressort de ce que l’on pourrait appeler « le vote utile ». Lorsqu’il s’agit d’exprimer sa priorité professionnelle, les salariés presque partout placent en premier « gagner plus », 38 % en moyenne, et en second, « avoir un emploi stable » (26 %). Nous sommes dans une période d’incertitude, c’est bien ce qui s’exprime ici, les facteurs plus qualitatifs sont relégués en second plan. Avec une exception, la Suisse, où les salariés ne sont que 18 % à réclamer un meilleur salaire et 66 % à se déclarer satisfaits de leur rémunération… Si l’on se réfère encore une fois à l’Observatoire du Travail de septembre 2003, les salariés français sont 42 % – contre 36 % en 2003 – à vouloir être mieux payés. Ils sont 25 %, contre 16%, à vouloir un emploi stable. Et ils sont 8 % contre 15% à vouloir plus de responsabilités.
La seconde raison, et nous l’observons dans d’autres enquêtes plus qualitatives, s’explique par le fait que les salariés ne recherchent pas forcément à gagner en responsabilité et qu’ils déconnectent travail intéressant et niveau de responsabilité. L’exception ici est le Maroc, où 20 % des interviewés voudraient plus de responsabilités, mais ils ne sont que 51 % à être satisfaits de la nature et du contenu de leur travail.

Dans de nombreux pays, les salariés perçoivent comme priorités de l’entreprise, la qualité et la productivité. Ce que vous résumez pour la France par la formule « Travaille vite, travaille bien et ne compte que sur toi » : c’est un jugement sévère ?

Une part importante de salariés estime, tous pays confondus, que leur entreprise attend d’eux qualité (55 %) et productivité (53 %). Sur le second critère, les pays d’Amérique du Nord se détachent, avec une attente de productivité largement reconnue (65 % pour les États-Unis et 70 % pour le Canada), tandis qu’au sujet de la qualité, trois quarts des Russes y reconnaissent une attente majeure de la part de leur entreprise, score singulièrement élevé (76 %).

Pour les Français, leur entreprise attend productivité (57 %) et qualité (52 %), comme ailleurs, mais ils sont les seuls à placer en troisième attente prioritaire l’autonomie (38 %). Si, pour les salariés en Finlande et en Chine, l’autonomie est une attente importante de l’entreprise (32 et 27 %), elle n’est citée que par 4 % des salariés en Allemagne, 6 % aux Etats-Unis et 8 % au Royaume Uni, dont les économies nationales sont pourtant assez proches de la France (grands pays post-industriels). C’est ainsi que l’on peut résumer à grands coups de serpe les attentes de leur entreprise vues par les salariés en France : « Travaille vite, travaille bien et ne compte que sur toi ». La médaille a son revers, le sentiment d’autonomie encouragé par le management peut aussi être envisagé comme un défaut de soutien dans son travail.
A noter que les Allemands citent aux 3 premières places la qualité (59 %), la flexibilité (55 %) et la productivité (46 %).
A noter également que l’innovation n’est citée, comme une attente prioritaire de l’entreprise, que par 15 % des salariés interviewés. Elle est placée en dernière position dans tous les pays, à l’exception du Maroc (32 %) et surtout de la Chine (38 %) où les plans de développement à 5 ans du gouvernement lui font la part belle. Ce résultat est étonnant alors qu’il est de plus en plus fréquent d’associer innovation et bonne marche de l’entreprise. Mais peut-être les salariés l’ont-ils si bien intégré qu’ils n’en font plus une attente prioritaire ?

Alors que l’on croit encore que les conditions de travail sont meilleures dans les grandes entreprises, les salariés des TPE (moins de 10 salariés) sont plus nombreux à trouver que leur entreprise est proche du modèle idéal. Avez-vous dans l’ensemble de l’enquête des éléments pour l’expliquer ?

Dans leur ensemble, 62 à 63 % des salariés attendent de l’entreprise de l’attention à la qualité et aux conditions de travail, un management proche et à leur écoute, une attention à la qualité de service aux clients et usagers. Ils réclament aussi qu’on leur fasse confiance et un bon équilibre entre vie professionnelle et privée. Ce ne sont pas les critères qui leur apportent le plus de satisfaction. Ils n’estiment pas non plus que c’est ce que leur entreprise attend d’eux… Cela se sent moins parmi les salariés des petites entreprises, leurs attentes y sont plus souvent satisfaites, la communication, dans les deux sens y est plus fluide, l’image qu’ils ont de l’entreprise y est meilleure… Dans les entreprises de moins de 10 salariés, ils sont 75 % à penser que leur entreprise est proche de l’entreprise idéale contre 61 % des salariés des entreprises de plus de 500 salariés.

 

(1) Les salariés évaluent leur manager (2008), les managers face à la crise (2009), l’entreprise numérique séduit les actifs (2010), le manager idéal (2011)

(2) La même question avait été posée en septembre 2003 par l’Observatoire du Travail, coproduction BVA-BBC-L’Express.

 

Pour en savoir plus
BPI Institut du leadership enquête internationale

 

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Philosophe et littéraire de formation, je me suis assez vite dirigée vers le social et ses nombreux problèmes : au ministère de l’Industrie d’abord, puis dans un cabinet ministériel en charge des reconversions et restructurations, et de l’aménagement du territoire. Cherchant à alterner des fonctions opérationnelles et des périodes consacrées aux études et à la recherche, j’ai été responsable du département travail et formation du CEREQ, puis du Département Technologie, Emploi, Travail du ministère de la Recherche.

Histoire d’aller voir sur le terrain, j’ai ensuite rejoint un cabinet de consultants, Bernard Brunhes Consultants où j’ai créé la direction des études internationales. Alternant missions concrètes d’appui à des entreprises ou des acteurs publics, et études, européennes en particulier, je poursuis cette vie faite de tensions entre action et réflexion, lecture et écriture, qui me plaît plus que tout.