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Dans une première partie, nous avons abordé les impacts sociaux les plus visibles de la crise en Europe : exacerbation des tensions, modification des attitudes et des comportements, fragilisation d’une partie de la population, précarisation du travail et de l’emploi, affaiblissement des protections sociales.« La crise, la France, l’Europe : 5 signaux majeurs » . Mais derrière le fracas et la fureur de la crise, se produisent aussi des mutations à bas bruit, qui ne se laissent capter que par des signaux faibles. Ces transformations silencieuses sont moins des évolutions visibles que des glissements qui les rendent possibles.

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Le chômage devient le facteur de discrimination dominant
La forte progression du chômage en Europe ne pouvait rester sans conséquences sur le ressenti des populations. La troisième enquête européenne sur la qualité de vie d’Eurofound montre que la situation d’emploi (être hors travail ou au travail) est le facteur qui pèse le plus sur le niveau ressenti de satisfaction devant la vie (avec l’état de santé). Et le chômage de longue durée plus encore. Ce dernier est très fortement corrélé au niveau d’exclusion sociale, à une moindre satisfaction exprimée vis-à-vis de la vie et à une méfiance vis-à-vis des autres.

 

L’Europe des 27, zone économique la plus riche du monde compte 116 millions de citoyens en risque de pauvreté ou d’exclusion. Les mesures visant au retour à l’emploi des chômeurs ou à l’amélioration des revenus pour les travailleurs les plus modestes ne sont pas les seuls leviers efficaces pour lutter contre l’exclusion : l’implication dans les associations ou les causes humanitaires sont un autre moyen efficace. 42% des Européens (dont 41% des Français) participent à des activités sociales, associatives ou religieuses.

 

Qui sont les plus heureux des Européens ? Il n’est pas indifférent de constater que le niveau de bonheur déclaré et le niveau de satisfaction devant la vie sont les plus élevés dans les pays qui ont historiquement le mieux réussi à contenir le chômage (même si leurs performances se sont fortement dégradées en fin de période) : le Danemark (paradis européen en terme de bonheur déclaré), suivi de la Finlande, de la Suède, du Luxembourg, des Pays-Bas et de l’Autriche. De fait les deux indicateurs sont très sensibles à la situation d’emploi. Par exemple le niveau de satisfaction devant la vie (échelle de 1 à 10) se situe (en moyenne pour les 27 pays) à 7,3 pour les personnes en emploi mais chute à 6,9 pour les employés disposant d’un CDD de moins de 12 mois, à 5,9 pour les chômeurs et même à 5,7 pour les personnes en incapacité. Pour les personnes en emploi, il est de 7,7 pour celles qui pensent improbable de perdre leur emploi, mais de 6,4 pour celles qui l’estiment probable.

 

L’insécurité de l’emploi s’étend. La proportion des Européens qui pensent probable de perdre leur emploi dans les 6 mois à venir s’est accrue de 9% en 2007 à 13% en 2011 (15% en France). Cette augmentation très significative masque une explosion dans les pays les plus touchés par la crise : Chypre (de 9% en 2007 à 32% en 2011), Grèce (8% à 31%) et Lettonie (13% à 25%). Or, on sait aujourd’hui que l’anxiété face au risque de la perte d’emploi est l’un des facteurs de stress les plus aigus.

 

Peut-on faire société lorsque l’on est exclu de l’emploi ? La confiance envers les personnes – bon indicateur de cohésion sociale – est très variable selon la situation d’emploi. Elle s’établit à 5,3 (sur une échelle de 1 à 10) pour les salariés en poste, mais tombe à 4,8 pour les chômeurs et 4,5 pour les personnes en incapacité. Dans certains pays, la tendance au repli sur soi s’étend, ainsi que l’exode forcé. Qui sait qu’en Lettonie, un pays qui a vu son PNB chuter de 25% en deux ans (2008 – 2010) et son taux de chômage des jeunes grimper à 40%, quelque 200 000 citoyens ont quitté le pays ? Cela représente 10% de la population.

 

On a vu dans la section consacrée aux services publics que l’Europe vient d’enregistrer pour la première fois depuis 1975, une baisse de dépenses de santé. Un rapport de l’OCDE (« Social spending after the crisis — Social expenditure data update 2012« ) permet d’analyser toutes les dépenses à caractère social (santé mais aussi emploi, retraites, familles, santé, logement…). Là encore, l’impact de la crise est directement visible. Alors que ces dépenses ont continué à augmenter dans la plupart des pays, on observe des contractions de 14 % en Grèce et de 13 % en Hongrie. C’est la France qui consacre la plus grosse part de son PNB à la politique sociale, avec 32,1 %, suivie par le Danemark (30,2 %) et la Suède (29,8 %). En queue de peloton, on trouve la Corée et le Mexique avec moins de 10%. Les écarts entre pays au sein de l’OCDE vont donc de un à trois.

 

Sans surprise compte tenu de la progression du chômage, ce sont les dépenses consacrées à l’emploi qui ont le plus progressé. Les dépenses publiques consacrées aux allocations chômage sont passées, en moyenne (pays OCDE), de 0,7 % du PNB en 2007 à 1,1 % en 2009 et se maintiennent à ce niveau. Les plus fortes progressions entre 2008 et 2009 ont été enregistrées en Islande (augmentation de 0,3 % du PNB à 1,7 %), en Irlande (de 1,4 % à 2,6 %) et en Espagne (de 2,2 % à 3,5 %). Aux dépenses d’indemnisation du chômage, qu’elle qualifie de « passives », l’OCDE oppose les dépenses dites « actives », qui comprennent l’accompagnement et l’aide à la recherche d’emploi, les mesures d’aide à l’emploi et la formation professionnelle des chômeurs. On peut ainsi constater la faiblesse de ces dépenses (de
0.5% du PNB en 2007 à 0.6% en 2009), dont la modeste augmentation contraste avec le défi que constitue la progression du chômage.

 

Le rapport d’Eurofound a le mérite de brasser large et de montrer que la situation de chômage – et plus encore de chômage de longue durée – a de multiples implications dans de nombreux domaines de la vie personnelle et sociale: elle est associée à un état de santé (physique et mentale) plus défaillant, une moindre satisfaction dans sa vie amicale et sociale, un manque de confiance envers les autres et les institutions, une plus faible participation à la vie civile et un plus fort sentiment d’exclusion.

Créer son entreprise : entre appétence et résignation
Face à l’impasse du chômage, la création d’entreprise propose-t-elle une issue ? La crise a bel et bien touché les mentalités européennes sur ce point. C’est ce que montre l’étude « Entrepreneurship in the EU and beyond », publiée en janvier 2013. Elle indique que 37% des personnes interrogées dans l’Europe des 27 préféreraient être entrepreneurs, dans le cas où elles devraient choisir entre le salariat et l’indépendance. En 2009, ce même chiffre s’élevait à 45%. A l’inverse, près de 58% des Européens interrogés préféreraient être employés, contre 49% en 2009. Ce sont dans les pays les plus touchés par la crise que cette proportion a le plus progressé (Chypre : +17 points). Bien sûr, le caractère incertain des revenus et de la stabilité d’une entreprise nouvellement créée jouent en grande partie dans cette diminution de l’attrait pour l’entreprenariat. Les nombreuses faillites, qui ont affecté aussi bien de grandes banques que des petites entreprises depuis le début de la crise ont renforcé ce sentiment d’insécurité. Mais d’autres aspects plus positifs se cachent derrière ces évolutions.

 

L’image de l’entrepreneur et de l’entreprenariat en France est-elle si dégradée qu’on veut bien le dire ? Les barrières (économiques, fiscales,…) sont-elles si élevées que nos compatriotes sont découragés à l’idée de « se mettre à son compte » ? En France, ce sont 40% des personnes interrogées qui déclarent préférer être entrepreneurs, soit un score d’adhésion à l’entreprenariat légèrement supérieur à la moyenne européenne (37%). Contrairement à beaucoup de pays, ce score est remarquablement stable en France : entre 2001 et 2012, il a évolué à l’intérieur de bornes étroites, de 40 à 43%. A rebours des idées reçues, cette adhésion française est supérieure à celle que l’on trouve en Allemagne (29%), en Belgique (30%), aux Pays-Bas (31%), en Grande-Bretagne (33%), en Espagne (35%).

 

On remarque d’ailleurs que les pays dans lesquels ce score est le moins élevé sont les pays Nordiques – la Suède (22%), la Finlande (24%) et le Danemark (28%) – réputés pour la qualité de leurs conditions de travail. Il n’est donc pas à exclure que la large adhésion des français vis-à-vis de l’entreprenariat provienne en partie d’un souhait d’éviter l’exposition à des conditions de travail dégradées. Cela se confirme lorsque l’on interroge ceux qui sont passés à l’acte (les créateurs d’entreprises) pour connaître leurs motivations. Les créateurs français se différencient peu des autres Européens sauf sur un point : 64% des Français (contre 55% seulement en moyenne de l’Europe des 27) citent leur insatisfaction vis-à-vis de leur situation professionnelle précédente comme un facteur de décision important. Seuls les créateurs d’entreprises roumains (71%) et portugais (66%) citent cette insatisfaction avec davantage d’intensité.

 

Lorsque l’on interroge les Européens sur les obstacles qu’ils perçoivent à devenir entrepreneur, la première barrière citée est la difficulté à réunir les financements et la seconde tient au contexte conjoncturel peu favorable. Les Français sur ce point se différencient peu du profil européen moyen. Notamment, les fameuses contraintes administratives et réglementaires, dont on nous dit qu’elles sont un obstacle infranchissable, ne sont citées que pour 3% par les Français (et 4% pour la moyenne européenne).

 

La crise est-elle pour autant un obstacle à la création d’entreprise ? Pas si l’on considère que la proportion des Européens qui ont créé une entreprise ou sont en passe de la faire (23%) est en léger progrès. En effet, même si la crise accroît la crainte de se lancer, elle constitue aussi un aiguillon : créer son entreprise est de plus en plus souvent la seule (ou la moins mauvaise) solution pour les Européens confrontés à la dégradation de leurs conditions de travail ou à l’aggravation du chômage. Les 5 pays dans lesquels la proportion des créateurs atteint ou dépasse le seuil des 30% sont tous fortement touchés par la crise : Chypre (38%), Bulgarie (36%), République Tchèque (32%), Grèce (32%) et Irlande (30%).

 

D’ailleurs, autre point positif, la crise ne fait pas augmenter l’aversion au risque des Européens, qui reste stable. Elle se mesure par la réponse à la question : « on ne devrait pas créer une entreprise s’il y a un risque qu’elle échoue », question à laquelle 48% des Européens répondent sainement par la négative. Les Français font d’ailleurs preuve de goût pour le risque d’entreprendre, puisqu’ils sont 55% à donner cette réponse, beaucoup plus que nos voisins allemands (46%) ou italiens (35%).

 

De même, l’image de l’entrepreneur s’est améliorée dans la majorité des pays de l’Union. En moyenne, seuls 7% des Européens interrogés ont une image défavorable de l’entrepreneur, soit 2 points de moins qu’en 2009, contre 53% d’opinions positives (+4 points). Les Français font partie des Européens les plus favorables vis-à-vis de l’entreprenariat (61% d’opinions positives). C’est même parmi eux que se recrutent les défenseurs des entrepreneurs. Par exemple, 54% des Français s’opposent à l’assertion selon laquelle « les entrepreneurs ne pensent qu’à se remplir les poches », soit une proportion bien supérieure à la moyenne européenne (45%) mais aussi à celle de pays réputés libéraux et favorables à la libre entreprise comme la Grande Bretagne (46%), le Luxembourg (44%) ou la Pologne (40%). En France, cette proportion a progressé de 8 points depuis 2009, ce qui est considérable. Transformation silencieuse…

 

Cette amélioration de l’image des entrepreneurs s’oppose à une forte dégradation de celle des « top managers des grandes entreprises » : seuls 25% des Européens (34% des Français) en ont une image positive et cette cote a perdu 3 points depuis 2009 (en France également). En dehors de l’UE, une évolution notable : cette cote a fondu de 11 points aux Etats-Unis, pour s’établir à 26%, niveau proche de la moyenne de l’UE. Décidément, la crise laisse des traces…

Familles, je ne vous hais point
En cas de crise, le refuge immédiat, c’est la famille. Elle continue à jouer un rôle essentiel dans tous les pays de l’Union en tant que creuset de rapports sociaux et principale origine de soutien pour répondre aux besoins quotidiens ou exceptionnels. L’implication des Européens dans des tâches non rémunérées de soin aux enfants ou aux personnes âgées ou dépendantes est restée à un niveau élevé. C’est grâce à cette implication que les difficultés à concilier vie personnelle et vie professionnelle ne se sont pas trop accrues. Eurofound rappelle les difficultés rencontrées par les jeunes pour accéder au logement, ce qui retarde leur transition vers un foyer autonome. Ces difficultés sont particulièrement aigues en Italie, à Malte, en Pologne, au Portugal et en Slovaquie.

 

La coexistence d’une crise financière et de la spéculation immobilière a provoqué un net retournement : alors que la proportion d’Européens propriétaires de leur logement progressait constamment depuis les années 80, elle a chuté de 70% en 2007 à 65% en 2011. Chaque pays conserve cependant les spécificités de son marché immobilier. La location est la plus fréquente en Allemagne, Autriche et en France (22% des ménages en France sont locataires sur le marché privé, hors logement social, contre 12% seulement pour la moyenne de l’Europe des 27).

 

Sur qui compter ? En cas d’un besoin d’argent urgent, à qui s’adressent préférentiellement les Européens ? Une fois encore : la famille proche (et les parents plus éloignés) pour 70%. Les amis, voisins ou autres connaissances ne sont sollicités que par 12% et seuls 8% s’adresseraient à un prestataire de services ou une banque. Enfin, 10% déclarent n’avoir personne à qui s’adresser, proportion qui monte à 15% dans le quartile des revenus les plus modestes.

 

Dans l’ensemble, 8% des Européens se sont trouvés incapables de rembourser des emprunts informels (contractés auprès de membres de la famille ou d’amis) en temps voulu dans les 12 derniers mois. Ce problème est le plus fréquent en Italie (14%), Grèce (14%) et en Allemagne (12%). Eurofound attire l’attention sur d’éventuels effets dominos qui pourraient intervenir si le défaut de remboursement d’un ménage provoque celui d’autres ménages, qui à leur tour ne peuvent plus assumer leurs charges financières.

 

A l’opposé du confort du cocon familial, Eurofound pointe l’augmentation importante des familles monoparentales, qui font partie des populations les plus vulnérables aux impacts de la crise : risques de pauvreté et d’exclusion ; forte proportion de ces familles déclarant des difficultés à joindre les deux bouts.

Une urbanisation en forme d’impasse
La crise que nous connaissons n’est pas seulement alimentée par sa composante financière : c’est aussi une crise de transition environnementale. L’urbanisation poursuit sa progression et la population européenne se répartit désormais pour moitié entre urbains (un quart habitant les villes et leurs banlieues, un quart les villes moyennes) et les ruraux (40% une petite ville ou un village ; 10% dans les campagnes). Or les nuisances ressenties concernant le cadre de vie et l’habitat sont beaucoup plus importantes pour les premiers. Par exemple, selon le rapport Eurofound, 43% des urbains se plaignent de la violence (contre 24% seulement des ruraux) ; 43% de la saleté (contre 23%) ; 41% du bruit (contre 25%) ; 35% de la qualité de l’air (contre 17%), etc.

 

Or, ces nuisances apparaissent de plus en plus comme des facteurs de discrimination sociale, qui touchent les plus fragiles et les plus économiquement faibles. Même en éliminant l’impact de l’urbanisation, les nuisances telles que la violence et la saleté sont plus fréquemment rencontrées par les ménages disposant des revenus les plus bas (quartile inférieur). Au sein de chaque type d’habitat, une analyse statistique montre que plus les revenus du ménage sont modestes, plus les nuisances rencontrées sont fréquentes et plus les problèmes de santé sont aigus.

 

Inverser cette tendance suppose de poser le problème de l’affaiblissement – voire la désertification – des services publics des campagnes et des zones péri-urbaines (pour la France, voir Laurent Davezies, « La crise qui vient : la nouvelle fracture territoire », Le Seuil, République des idées, octobre 2012). Ce sont en effet ces services publics qui contrecarrent ou préviennent ces nuisances (violence, saleté,…). Plus largement, leur existence et leur disponibilité contribuent à la qualité de vie. De ce point de vue la France, comme la Belgique, se distingue parmi les 27 pays de l’UE par la fréquence de la difficulté d’accès aux services postaux : en zones urbaines, elle est signalée principalement en France, en Belgique (par 22% des citoyens dans les deux cas) et en Italie (24%) ; en zones rurales se sont les Grecs qui sont les plus affectés (29%), suivis par les Français et les Belges (28% dans les deux cas).

 

Dans la fameuse pyramide de Maslow, le logement est à la base : c’est un besoin primaire. Or, avec la propagation de la crise, le simple maintien de son logement en bonnes conditions devient problématique pour beaucoup. C’est ainsi par exemple, qu’entre 2007 et 2011, la proportion des citoyens européens qui déclarent ne pas avoir les moyens de remplacer leurs meubles détériorés s’est accrue de 29% à 35%. Plus grave, les Européens qui admettent ne plus pouvoir se chauffer correctement étaient 9% en 2007 mais 12% en 2011.

 

Le logement devient un facteur d’anxiété, à tel point qu’en 2011, 11% des ménages européens (et parmi eux, 9% des français) admettent un défaut de paiement dans les 12 derniers mois concernant leur loyer ou leur traite d’emprunt immobilier (contre 8% en 2007) et 15% (mais 10% seulement en France) un arriéré de paiement sur les fournitures d’eau, de gaz ou d’électricité (contre 13% en 2007). Dans le domaine du logement, il existe un vrai « sentiment d’insécurité », matérialisé par la crainte de devoir quitter son logement dans les 6 mois à venir, qui affecte 6% des citoyens européens et parmi eux 7% des français (contre 4% en 2007 pour la moyenne européenne), mais 12% parmi ceux qui louent leur logement sur le marché privé.

 

Cela dit, la situation matérielle des logements s’est améliorée dans l’ensemble, depuis la dernière enquête de 2007. La France fait cependant partie (avec la Belgique et la République Tchèque) des quelques pays dans lesquels le taux de satisfaction vis-à-vis de leur logement exprimé par les citoyens s’est dégradé. Principale explication de cette tendance défavorable : le manque d’espace, c’est-à-dire un autre impact de la crise (réduction du nombre de mètres carrés accessibles à la location ou à l’achat pour un budget donné), mais aussi de l’urbanisation.

 

En matière de cadre de vie et d’urbanisation, un modèle soutenable reste à inventer.

La confiance, indispensable ingrédient de sortie de crise ?
Les économistes le disent : il n’y aura pas de reprise, pas de sortie de crise, si la confiance ne revient pas (Yann Algan, Pierre Cahuc et André Zylberberg, « La fabrique de la défiance… et comment s’en sortir », Albin Michel, février 2012). La confiance envers les personnes est donc un actif économique. C’est aussi un bon indicateur de cohésion sociale. Evaluée par Eurofound sur une échelle de 1 à 10, elle présente une dégradation de long terme : 5,6 en 2003 ; 5,2 en 2007 ; 4,9 en 2009 et 5,1 en 2011, niveau médiocre. A noter que le niveau observé en France est légèrement plus favorable (5,3 en 2011) mais montre la même tendance à la dégradation.

 

L’impact de la crise se fait largement sentir en Europe puisque la dégradation de la confiance affecte 22 pays sur les 27 états membres. Là encore, le « modèle Nordique » apparaît comme vertueux puisque les meilleurs scores sont obtenus de façon très constante sur la période (2003 – 2011) par la Finlande, suivie par le Danemark, la Suède et les Pays-Bas. Ces pays sont aussi ceux qui investissent le plus dans leur « capital humain » au travers par exemple, de la formation professionnelle.

 

Dans la première partie de cet article, nous avons vu que contrairement à une idée reçue, les Français ne sont pas les champions du monde des râleurs. Mais sont-ils alors les champions du monde des pessimistes, comme le prétendent beaucoup ?

 

Au-delà de la satisfaction devant la vie, l’optimisme est davantage tourné vers l’avenir. Les résultats obtenus dans la mesure de l’optimisme des citoyens de l’UE reflètent largement – avec quelques exceptions notables – les réalités économiques, avec les niveaux d’optimisme les plus élevés enregistrés au Danemark et en Suède (plus de 80% des citoyens se déclarant optimistes), suivis par la Finlande et les niveaux les plus bas en Grèce (moins de 20%), suivie par la Slovaquie, l’Italie, et le Portugal (20 à 30%). La France se situe à 40%, certes en dessous de la moyenne européenne mais pas en position extrême. Non, les Français ne sont pas les champions du monde – ni même d’Europe – du pessimisme.

 

L’étude montre que l’attitude envers l’avenir ne tient pas – ou pas seulement – à des traits culturels ou des particularités nationales. Là encore, elle est fortement liée à la situation de l’emploi (seuls 46% des chômeurs et 43% des personnes en incapacité se déclarent optimistes) mais aussi à deux perceptions fortement corrélées à l’optimisme : la confiance vis-à-vis des perspectives de l’économie nationale et la confiance vis-à-vis du gouvernement. Plutôt que de se désoler du« pessimisme français » comment certains « déclinistes », mieux vaut agir sur les trois déterminants de l’optimisme : emploi, perspectives économiques, légitimité politique.

 

Pour ce qui est de ce dernier levier, la crise accentue le divorce entre les citoyens et leurs dirigeants ou élus politiques. La confiance dans les institutions, gouvernements et parlements, a baissé de façon très significative depuis 2007, avec les chutes les plus fortes enregistrées dans les pays qui font face aux difficultés économiques les plus importantes comme la Grèce, Chypre, la Roumanie et l’Espagne. La confiance dans les institutions publiques est la plus élevée au Danemark, en Finlande, au Luxembourg et en Suède, et ceci est principalement dû au niveau de confiance incomparable placé dans les institutions politiques nationales de ces pays.

 

En France, la confiance est légèrement meilleure que la moyenne de l’Europe des 27 pour ce qui est du Parlement, de la justice, des municipalités mais un peu moins bonne pour ce qui est de la police et du gouvernement. Eurofound a trouvé une très forte corrélation entre le niveau de confiance dans les institutions publiques et la perception concernant le degré de corruption (mesuré par le CPI, Corruption Perceptions Index, créé par l’ONG Transparency International).

Conclusion : une Europe sociale ?
La simple évocation du mot ‘crise’ dénote des racines ancrées sur le ‘vieux continent’, tant l’Amérique et surtout l’Asie, vivent une autre réalité. L’enquête de l’IFOP sur « Regards internationaux sur la situation économique et sur la mondialisation », publiée en février 2013 et menée dans 6 pays l’a bien montré : la proportion des personnes interrogées qui, en pensant à la situation économique, affirment que « nous sommes encore en pleine crise » est de 71% en France mais tombe à 45% aux Etats-Unis, 41% en Afrique du Sud et même 28% en Inde, 25% en Chine et 17% en Brésil.

 

Mais dans un contexte de croissance atone, il est à craindre que la crise en Europe ne s’installe durablement. Ces affleurements sonores comme ces transformations silencieuses reflètent les mutations sociales elles-mêmes en évolution. Pour savoir comment réagir, il faut écouter Jean-Luc Godard : « Je croirai à l’Europe le jour ou la télévision passera non pas seulement des mauvais films américains mais des mauvais films suédois. » Quand pourrons-nous croire en l’Europe sociale ?

 

Pour en savoir plus

Robert Anderson, Hans Dubois, Tadas Leoncikas and Eszter Sándor, « Third European Quality of Life Survey – Quality of life in Europe: Impacts of the crisis« , Eurofound, December 2012. Ce rapport couvre les 27 états membres de l’UE. Le travail de terrain pour cette troisième enquête européenne sur la qualité de vie a été réalisé entre fin septembre 2011 et début février 2012. Un total de 43 636 personnes ont été effectivement interrogées dans 34 pays (au moins1 000 interviews par pays ; 2 250 en France). Les résultats comprenant sept autres pays candidats ou en voie d’adhésion (la Croatie, l’Islande, la Macédoine, le Monténégro, le Kosovo, la Serbie et la Turquie) seront publiés plus tard dans l’année 2013. Les deux précédentes enquêtes ont été effectuées en 2003 et 2007.

« Social spending after the crisis — Social expenditure data update 2012« , OECD report, December 2012

« Entrepreneurship in the EU and beyond – Rapport Eurobaromètre pour la Commission Européenne, n°354 », January 2013. Enquête effectuée par TNS Opinion & Social network dans les 27 Etats membres de l’Union et 13 pays supplémentaires (Etats-Unis, Chine, Inde, Brésil,…) entre juin et aout 2012. Plus de 42 000 personnes ont répondu.

 

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J’aime le débat, la délibération informée, folâtrer sur « la toile », lire et apprécier la vie.

J’ai effectué la plus grande partie de mon parcours professionnel dans le Conseil et le marketing de solutions de haute technologie en France et aux États-Unis. J’ai notamment été directeur du marketing d’Oracle Europe et Vice-Président Europe de BroadVision. J’ai rejoint le Groupe Alpha en 2003 et j’ai intégré son Comité Exécutif tout en assumant la direction générale de sa filiale la plus importante (600 consultants) de 2007 à 2011. Depuis 2012, j’exerce mes activités de conseil dans le domaine de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) au sein du cabinet que j’ai créé, Management & RSE. Je suis aussi administrateur du think tank Terra Nova dont j’anime le pôle Entreprise, Travail & Emploi. Je fais partie du corps enseignant du Master Ressources Humaines & Responsabilité Sociale de l’Entreprise de l’IAE de Paris, au sein de l’Université Paris 1 Sorbonne et je dirige l'Executive Master Trajectoires Dirigeants de Sciences Po Paris.