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par l’entreprise que réussira l’intégration[/fusion_title]

par Rachid Brihi

Il faut rester vigilant dans l’emploi des mots lorsqu’on aborde les questions relatives à la « diversité » nouveau vocable en vogue qui recouvre lui-même des questions…diverses : immigration, discrimination, intégration… Ce souci de clarification terminologique s’impose à tous, y compris aux bonnes âmes généreuses qui ne peuvent s’empêcher, parfois inconsciemment, de glisser d’un sujet à l’autre comme si les jeunes Français issus de l’immigration devaient encore et toujours ne s’intéresser qu’aux questions d’entrée et de séjour des étrangers sur le territoire.

 

rachid Brihi

Néanmoins, au-delà du débat sémantique sur l’intégration des jeunes issus de l’immigration, il devient urgent aujourd’hui de « positiver » un peu plus le discours de l’entreprise et de la société en général et de renoncer au discours victimaire qui parfois contribue à la stigmatisation.

Soyons réalistes sans tomber dans la naïveté béate : le modèle français d’intégration a parfaitement réussi…peut-être trop ! Cette opinion peut surprendre mais elle résulte d’une approche empirique doublée d’un vécu personnel largement partagé par d’autres.

Evidemment, et malheureusement, les discriminations existent. Mais de quelles discriminations parle-t-on ? Il faut, sur cette question, éviter le mélange des genres et les amalgames implicites ou insidieux.

Les premières discriminations, presque originelles, qui naissent au démarrage de la vie, sont celles qui frappent les Patrick, les Mohamed, les Boubacar ou les Carlos, de la même manière, sans distinction ethnique dès l’instant où ils grandissent dans les mêmes lieux ghettoïsés par les problèmes d’emploi, d’habitat, d’urbanisme…

Ces discriminations sont socio-économiques avant d’être raciales et elles structurent, dès le départ, les parcours d’une jeunesse : échec scolaire, exclusion sociale, déviance, délinquance, etc… Mais, encore une fois, elles atteignent, de la même façon, tous les jeunes.

En revanche, quand on évoque les discriminations à l’égard des jeunes issus de l’immigration, en matière d’emploi, lorsqu’on leur interdit de prétendre à certains postes à responsabilité dans l’entreprise, il nous semble qu’ils sont alors et avant tout « victimes » de l’aboutissement d’une forme d’intégration réussie.

 

C’est ici que se noue toute la complexité du modèle français d’intégration, résonnance probable de l’histoire coloniale française. Après avoir diffusée, il y a deux siècles, notamment sur le continent africain, sa mission civilisatrice et après l’avoir abandonnée dans les conditions que l’on connaît, la France et ses industries de main d’œuvre n’ont fait venir ici que des bras pour ses usines, en oubliant que ces hommes pourraient un jour rester en France, avec famille et enfants…et devenir Français.

Ces derniers ont, à l’inverse de leurs parents ou de leurs grands-parents, bénéficié pendant trente (glorieuses) années de l’école de Jules Ferry, pour y apprendre la passion de la liberté de Victor Hugo et la soif de justice d’Emile Zola. Pourquoi, dès lors, s’étonnerait-on aujourd’hui que, contrairement à leurs parents ou à leurs grands-parents, ils n’aspirent plus à occuper de simples emplois d’exécution, en bas de l’échelle, alors qu’ils ont appris à lire et à écrire à l’école de la République.

Là réside un véritable hiatus : l’intégration parfaitement réussie, en une quarantaine d’années, amène des jeunes issus de l’immigration à être en concurrence avec d’autres jeunes Français, comme eux, aux portes de l’entreprise, et plus généralement, dans la vie sociale et économique.

La question est alors la suivante : comment faire en sorte que cette concurrence ne s’exerce que sur les compétences et aptitudes professionnelles, bref qu’elle soit équitable et parfaitement loyale ?

Faudrait-il discriminer positivement ? Fallait-il des CV anonymes ?

Si ces mesures ont eu le mérite de susciter un débat nécessaire, elles ont eu aussi des effets pervers en provoquant dangereusement des réactions de repli (communautaire ?) de la part de celles et ceux à qui elles étaient destinées : « pourquoi devrais-je être favorisé ? » s’interrogent-ils alors que justement ils ont, grâce à « l’exception républicaine française », déjà fait la preuve de leurs mérites malgré l’inégalité des armes au départ.

« Pourquoi devrais-je dissimuler mon nom, mon prénom, mon lieu d’habitation pour accéder à un premier entretien d’embauche » s’insurgent-ils encore… « Et demain, pourquoi pas ? Me teindre les cheveux ou les faire défriser ! » Comme Nino Manfredi dans « Pain et Chocolat » !

N’oublions pas que ces jeunes sont généralement diplômés, voire surdiplômés, sortent pour la plupart de l’excellence des grandes écoles ou de l’Université et ne comprennent donc plus ce qu’on exige d’eux en plus (ou en moins) sauf à en déduire qu’ils ne seraient définitivement confinés, comme on le constate trop souvent, qu’aux postes subalternes ou, dit-on pudiquement, sans contact avec la clientèle.

Ce n’est pas de passe-droit ou de passe-muraille dont ils ont besoin, mais tout simplement de la même reconnaissance par le mérite, à travers leurs formations et leurs diplômes au même titre que tout Français.

Cette reconnaissance doit être celle de toute la société française mais prioritairement celle des entreprises ensuite celle des institutions et des pouvoirs publics qui ne sont pas un modèle de vertu en matière de promotion volontariste de ces jeunes Français issus de l’immigration à qui ne sont confiées que les sempiternelles questions et commissions autour de l’insécurité des banlieues, l’immigration, le sport et la musique contre le communautarisme, etc…

Il faut bien admettre que le politique, de tous bords, a failli de ce point de vue-là, après avoir créé une immense espérance.

 

Osons afficher un discours plus positif et donc plus mobilisateur en n’hésitant pas à mettre en exergue la flagrante contradiction produite par un modèle d’intégration globalement réussi, mais dont on doit pousser la logique vertueuse jusqu’au bout : paradoxalement ils sont donc bien « victimes » avant tout d’une forme de réussite et les obstacles discriminatoires qui persistent deviennent parfaitement insupportables pour eux au point de préférer le repli contestataire communautaire, voire la protestation par les phénomènes de déviance.

Il nous faut casser ce cercle vicieux de la stigmatisation-discrimination-victimisation.

Posons-nous d’ailleurs une question simple : qu’est-ce qui fait qu’un DRH ou un recruteur même le plus progressiste ou le plus ouvert culturellement, hésitera, sans doute inconsciemment, face à deux candidats strictement identiques sur le plan professionnel mais dont l’un présenterait un CV marqué du sceau de la diversité ?

Gestion du risque minimal inhérente à la vie de l’entreprise ? Effet du mimétisme managérial ?

N’est-ce pas plutôt la méconnaissance de l’autre dont les différences sont par trop mises en scène par les medias ou la peur de celui qui renvoie une image déformée par ses codes (vestimentaires, musicaux, religieux,…) bref, autant de « sentiments » créés par le fossé qui s’est installé entre des populations qui s’ignorent, faute d’espaces, de lieux, de réseaux communs ?

Ce fossé se retrouve sur le marché de l’emploi et ne se réduira que lorsque, justement, seront mis en avant naturellement et sans communication tapageuse, des parcours achevés d’une intégration logique, presque banalisée, dans l’entreprise.

C’est ici que le rôle de l’entreprise est décisif tant la parole du politique est devenue inaudible sur ce sujet.

Rien ne sert de courir après des ministères ou sous-ministères de la « diversité » ou autres appellations « marketing ».

C’est justement ce discours-là, mêlé de désillusion et d’opportunisme, que ne veulent plus entendre ceux et celles – encore plus nombreuses ! – qui ont réussi à monter dans l’ascenseur social, au prix parfois de lourds sacrifices, mais qui ne comprennent pas pourquoi les portes de l’entreprise et de la société ne s’ouvrent pas à tous les étages, sans distinction.

Si Bernard Stasi avait raison d’affirmer que l’immigration est une chance pour la France, est-il permis de le paraphraser en affirmant que la France, et singulièrement son modèle d’intégration par et dans l’entreprise, pourrait également être une chance pour ses enfants issus de l’immigration.

 

Rachid Brihi est avocat

 

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