par Jean-Marie Charpentier, Jacques Viers
Entre un management qui n’a parfois de proximité que le nom tant il est happé par la gestion des processus et les reportings de toutes sortes, une fonction RH fortement instrumentalisée dans son rôle de business partner et une communication d’entreprise tirée du côté de la gestion de l’image, de la réputation et de la marque, il y a incontestablement tout un espace à revisiter : celui de la parole sur le travail.
Cette question de la parole sur le travail est à la fois une question de santé, de performance et d’innovation. Une série d’événements récents en font une question d’actualité et peut-être même d’urgence. Toute la séquence dite des « RPS » (les risques psychosociaux), si l’on veut bien ne pas céder aux sirènes de la psychologie comportementaliste, vient buter sur cette question majeure de la possibilité de parler du travail. Il y a dans l’émergence d’espaces de discussion sur le travail une vraie dimension de santé. Trop de salariés ne peuvent faire état des tensions, des dilemmes, des conflits soit par manque d’écoute managériale, d’interlocuteurs ou de temps dans l’activité. Fait de beaucoup de relations et d’interfaces, le travail aujourd’hui est pris dans de nombreuses tensions organisationnelles qu’il s’agit de prendre en compte au quotidien pour surmonter les difficultés individuelles et collectives. Encore faut-il que ça puisse se dire, que ça se discute au plus près des situations et de l’activité.
Autre dimension de la parole sur le travail, la performance. Mot valise certes, qui selon nous touche à la question du sens. Il n’y a de performance véritable que lorsque le sens est là. Le sens de ce qui est demandé, le sens de ce que l’on fait, le sens de ce qui est à venir. Or, tout indique que, dans un univers de mouvement permanent, les repères de sens se perdent si l’on ne renforce pas les lieux et occasions d’échanges sur le contenu et les conditions de travail. Bref, sur le cours des choses dans le travail. Trop de dirigeants n’ont encore comme seul objectif que de faire adhérer les salariés, alors que l’enjeu premier est de comprendre ce qui est en jeu, ce qui est et ce qui devrait être. Et le meilleur espace de compréhension de questions, y compris stratégiques, reste le quotidien du travail.
La troisième dimension sur laquelle ouvre le développement de la parole sur le travail a trait à l’innovation. On peut même parler là de gisement d’innovation. Dans le moment difficile que nous traversons, la parole sur le travail peut être une des voies de sortie de crise. Elle a à voir en tout cas avec la cohésion dans l’entreprise, avec la confiance dans les acteurs, avec le pouvoir d’agir des salariés. Cette innovation distribuée est sans doute un des leviers pour l’avenir. Encore faut-il en permettre l’éclosion, accepter des transgressions, en discuter les conditions et la faisabilité.
Tout pousse à cet élan de la parole sur le travail au quotidien. Il ne s’agit pas de refaire les lois Auroux ou les cercles de qualité. Le contexte et les conditions dans les entreprises ont changé. Il faut permettre l’invention, lever les préventions, ne pas craindre de faire bouger les lignes du politiquement correct. Il n’y a sans doute pas de formule unique. Ce qui est sûr, en revanche, est qu’une affaire comme celle-là appelle différents acteurs à faire mouvement et sans tarder.
Le management est concerné et devrait faire retour, quand il s’en est éloigné, sur la scène du travail. La crise, dans plusieurs entreprises, a montré les dégâts d’un management distant, en un mot absent.
Les RH pourraient avantageusement retrouver un rôle de human partner aux côtés du management en reprenant pied plus directement dans les relations de travail, en instituant des modes de gestion qui permettent le dialogue sur le contenu et l’exercice du travail.
Les communicants gagneraient à faciliter, mieux à inventer, des espaces d’échange dans le travail. Ils ont un rôle à jouer, aux côtés du manager et du RH, pour favoriser la nécessaire « dispute sur le travail » et concevoir une véritable ingénierie des espaces de discussion sur le travail. Encore faut-il redonner tout son sens à une communication interne que les zélateurs de la marque ont beaucoup moquée.
Les syndicats, enfin, ne devraient pas bouder cette parole directe sur le travail au motif qu’elle ne leur laisserait pas d’espace d’intervention. Vieux débat de la représentation et de la participation directe qui nous ramène aux années 1980.
Tirons les enseignements du « vieux » pour penser l’avenir. C’est dans cet esprit que l’Afci et l’APSE organisent le 4 juillet prochain une rencontre-débat sur le thème « Parole au travail, parole sur le travail » avec des praticiens et des chercheurs.
Parole au travail, parole sur le travail
Rencontre-débat co-organisée par l’Afci et l’APSE, le jeudi 4 juillet, de 14h30 à 18h30, au siège du groupe AXA (Paris 8ème).
Jean-Marie Charpentier est vice-président de l’Afci (Association française de communication interne)
Jacques Viers est vice-président de l’APSE (Association des professionnels en sociologie de l’entreprise)
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