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par Mireille Battut

Le débat sur la transition énergétique est loin d’être clos, les moyens financiers manquent à l’appel, les parties prenantes expriment plus de désaccords que de consensus. Mireille Battut, spécialiste des questions d’énergie chez Secafi , analyse les enjeux de la situation énergétique européenne et leurs conséquences sur le travail, l’emploi, les compétences. Deux priorités pour réussir cette transition : efficacité énergétique et verdissement des métiers.

 

Le grand débat national sur la transition énergétique s’est déroulé de janvier à juillet 2013. En l’absence d’accord sur le mix énergétique, sur la fiscalité écologique, le gouvernement devra trancher. Jean-Marc Ayrault a annoncé que la Loi de transition énergétique – initialement prévue pour la fin 2013 – sera présentée au printemps, discutée à l’été, et votée « avant la fin de l’année 2014 ». Au regard de la pénurie de moyens, c’est la méthode de concertation qui devient le signe distinctif de la démarche. Les acteurs vont-ils rester parties prenantes ? Seul point de consensus : l’économie énergétique est dorénavant à penser et à déployer de façon décentralisée. Nous pensons que dans ce contexte, deux axes seront porteurs : l’efficacité énergétique, et le verdissement des métiers.

Pourquoi l’efficacité énergétique est dorénavant la priorité


Nominalement, l’Europe devrait – seul continent au monde – atteindre (plus ou moins) les objectifs qu’elle s’était assignés : réduire d’ici à 2020 ses émissions de CO2 de 20 % par rapport à 1990, porter à 20% de sa consommation la part des énergies renouvelables et réaliser 20 % d’économies d’énergie. La transition énergétique est bel et bien en cours… et pourtant, rien ne va plus. La montée en puissance rapide des Energies Renouvelables (EnR) intermittentes, en même temps que la récession économique et les cours historiquement bas du charbon, ont profondément perturbé le fonctionnement des marchés. Les centrales Gaz sont trop peu appelées et ne couvrent plus leurs coûts de fonctionnement. Avec un prix de 5€/t, le marché du CO2 est inopérant, alors qu’on estime qu’il faudrait un cours de 30€ pour corriger l’ordre « naturel » de mérite qui place les centrales Charbon avant les centrales Gaz. Aucun projet de Capture Stockage Charbon n’a de chance de voir le jour dans ces conditions. Neuf géants européens de l’énergie (à l’exception notable d’EDF) ont ainsi lancé un « cri d’alarme » en pointant à la fois des surcapacités et un risque de black-out lors des grands froids. … tout cela en attendant la mise en place du marché de capacité. C’est dans ce contexte littéralement « plombé » que le consommateur final se retrouvera, en fin de compte, à payer à la fois les subventions aux énergies renouvelables intermittentes et le maintien des moyens de production classiques flexibles indispensables pour compenser l’intermittence et la sévérisation de la sûreté nucléaire.

Aucun scénario n’évitera le mur de la hausse des prix de l’énergie. Dans ces conditions, ce n’est plus 20% d’efficacité énergétique, mais 50% à l’horizon 2050 ! Cet objectif a été annoncé par François Hollande, mais comment va-t-on y arriver ? En la matière, le facteur Temps est crucial. Il en faut pour permettre le mûrissement des technologies et la diffusion de l’innovation, aussi bien du côté de l’offre (réseaux de transport, smart-grids, stockage), que du côté de la consommation (rénovation des bâtiments, transformation des usages et des cultures…). Pour autant, le paramètre crucial des prix est encore peu explicité : comment vendre les nouveaux produits et services respectueux de l’environnement à des prix compatibles avec le pouvoir d’achat des différentes catégories de consommateurs ? Comment concilier le renchérissement de l’énergie avec la préservation de la compétitivité de certains secteurs industriels ? Par exemple, si la voiture écologique à venir doit être vendue à un coût qui la rende abordable à un consommateur moyen, on ne peut pas faire comme si la maîtrise compétitive de ce coût n’avait rien à voir avec les enjeux de localisation de la production…

Comment préparer le verdissement des métiers


Le groupe de travail 6 du grand débat national de la transition énergétique a identifié six facteurs de changements qui vont affecter les emplois et les compétences du secteur :

  •  Le rythme de maturité des technologies de la transition écologique,
  • L’importance du numérique qui permet de raisonner « systèmes »
  • Les mutations démographiques particulièrement marquées dans le secteur énergétique
  • L’acceptabilité de la mobilité qui croise avec la décentralisation
  • Les différentiels de compétitivité et de choix au regard de nos voisins,
  • L’attractivité plus ou moins forte de certains métiers nouveaux.

L’on remarque tout d’abord que le secteur de l’énergie n’est plus épargné par les restructurations et qu’il va être affecté, sur tous les métiers de la chaîne énergétique, par un phénomène de « papy-boom » (a).
La question des métiers de l’économie verte est alors posée à la fois comme un enjeu de transmission des savoirs et comme verdissement des métiers des filières traditionnelles (b).
Cependant, les créations d’emplois devront accompagner la décentralisation des systèmes éco-électriques (c) et le déplacement de la chaîne de valeur vers les services (d).
Les modifications des relations entre offreurs et demandeurs, l’arrivée de nouveaux acteurs venus du bâtiment, du numérique, du Facilities Management… entraineront des reconfigurations des offres et des modèles d’organisation, soit vers une logique de banalisation soit vers une logique d’innovation, avec au final des incidences fortes sur la structure de l’emploi et des qualifications et les conditions de travail (e)

a. Avec le papy-boom dans le secteur des IEG, se pose la question de la transmission des savoirs

ieg

La CNIEG estime que les départs en retraite dans les Industries Electriques et Gazières devraient dépasser les 7000 par an entre 2013 et 2016, contre un rythme annuel de 4000 à 5500 dans la décennie précédente. L’effet générationnel est particulièrement marqué dans les populations au statut des IEG, cadres comme OET, qui ont massivement été recrutées et formées dans le contexte du développement de la stratégie française d’indépendance énergétique autour du nucléaire.

Les filières les plus touchées sont le nucléaire, la distribution, mais aussi les fonctions centrales. Si l’on prend, parmi d’autres, l’exemple d’ERDF, le vieillissement touche des métiers aussi divers que la maitrise d’ouvrage et conception d’ouvrage, le comptage métrologie, les concessions et collectivités locales, la construction des ouvrages ou les fonctions supports et la logistique.

Cela s’applique aussi aux petites entreprises où les successions ne sont pas toujours assurées.
Il y a là des enjeux fondamentaux de transmissions des savoirs, compte tenu de la durée de vie des installations et des réseaux, et de leur transformation, sur lesquels, notamment, l’IRSN a alerté. Dans un tel contexte, le dispositif des contrats de génération fait particulièrement sens car il permet une forme d’équilibre entre celui qui transmet et celui qui reçoit.
Alors qu’à l’ère du lancement du nucléaire, les entreprises avaient elles-mêmes formé massivement leurs agents, aujourd’hui c’est beaucoup plus compliqué car la décentralisation et la multiplication du nombre d’acteurs font que les besoins sont beaucoup plus disséminés. Il y a un champ pour des projets communs en matière de formation, entre les entreprises, les organisations professionnelles, l’Education nationale et l’enseignement supérieur.

b. Le verdissement des métiers sera un processus de transformation à partir des filières existantes
Le comité stratégique de filière pour les éco-industries (COSEI) a identifié 18 filières particulièrement exposées à la transition écologique, et réparties dans 4 domaines prioritaires (eau et assainissement, recyclage et valorisation des déchets, énergies renouvelables, efficacité énergétique). Ces filières ne sont pas amenées à se créer de façon ad hoc mais à émerger d’une évolution des filières aujourd’hui existantes : efficacité énergétique et bâtiment, véhicules électriques et automobile, réseaux électriques et smart grids, production d’énergie et énergies renouvelables, etc…
De plus, la contribution de nouvelles filières comme les technologies de l’information et de la communication est attendue dans nombre de ces filières (domotique pour les bâtiments, véhicules électriques, smart-grids, prévisions et intégration des énergies renouvelables, etc…)
Pour opérer ce « verdissement », il faudra préparer la transition de chacun des métiers tout au long de la chaîne de valeur de ces produits ou services environnementaux, dans chaque filière, et dans les interactions entre filières. Il s’agit de repérer les pontages et contenus d’activité et de compétences qui sont convergents entre métiers des filières traditionnelles et métiers des filières émergentes : quels points communs, quels enrichissements de contenus, quels investissements en formation pour acquérir les bonnes compétences, en tenant compte de la nouvelle géographie des éco-industries : décentralisée, multi-acteurs, multi-sources.

c. Les créations d’emplois serviront une logique de décentralisation
Le monde de l’énergie sera demain multi-sources, les systèmes éco-électriques seront décentralisés. Les emplois de la transition écologique dépendront – en qualité, quantité et en attractivité – des stratégies et des positionnements des acteurs. Or, la France a un héritage de grandes entreprises. Celles-ci resteront dominantes et la transition ne pourra se faire sans elles. Pour autant, il faudra passer d’une culture centralisée et d’une logique de grands projets à des projets de plus petite taille, plus disséminés. Que ce soit sur la production, sur la distribution, ou sur le pilotage, il nous faut réussir la décentralisation. Ce qui posera des questions nouvelles en matière d’optimisation et impliquera une modification des relations entre propriétaires, gestionnaires et consommateurs.
En matière de gestion territoriale des compétences, on note que si les collectivités ont fait des « agenda21 », elles devront cependant, aller plus loin pour construire des agendas de transition, dans lesquels elles pourront être à la fois acteurs (ELD, gestionnaires) et partenaires ou co-investisseurs dans des projets.

d. Le déplacement de la chaîne de valeur vers les services modifiera les relations entre offreurs et demandeurs, aboutissant à la constitution de nouveaux acteurs.
Avec la hausse des prix à la consommation d’énergie et les exigences réglementaires, les fournisseurs d’énergie vont devoir contribuer à la transformation des modes de consommation de leurs clients, a fortiori si ces transformations impliquent des investissements lourds. Ainsi, la valeur va se déplacer vers les services d’efficacité énergétique.
Prenons l’exemple de la gestion de l’énergie dans les bâtiments. Les acteurs majeurs de la gestion d’énergie sont les filiales de grands groupes, mais ce marché intéresse de nouveaux acteurs déjà présents dans la gestion des bâtiments.
Pour les bailleurs, les enjeux vont être le contrôle de charges croissantes. L’innovation peut venir des bailleurs (par exemple, les HLM ont profité des obligations de travaux pour améliorer la qualité de l’isolation, et, au final, réduire le taux d’impayés des locataires)
Les relations entre offreurs et demandeurs devront évoluer profondément, vers la notion de partenariat, de co-financement, de contrat de performance… Il devra s’en dégager des schémas de contractualisation innovants, qui auront vocation à être ensuite diffusés, reproduits. Il y a donc plusieurs temps de transformation. La question de la transférabilité des modèles et de la capitalisation des expériences doit être posée.

e. Les choix d’organisation auront des incidences fortes sur la structure de l’emploi et des qualifications et sur la qualité de la transition écologique
Les trajectoires des firmes iront
– soit vers une banalisation, pour répondre à des contraintes financières fortes
– soit vers l’innovation et les partenariats de « performance énergétique »

Au contraire de l’industrie où les process ont cherché à réduire l’éventail des actes possibles des acteurs, les services, notamment énergétiques, exigent des techniciens un élargissement de la palette d’intervention et de responsabilités. En outre, la sécurité des personnes est de plus en plus en jeu. Dans les services, productivité et compétences sont liés. En terme de guidance politique nationale et régionale, il importe de favoriser les choix s’appuyant sur l’innovation.
C’est tout cela qu’il s’agit d’accompagner en
• permettant les pontages entre les anciens et les nouveaux emplois,
• mobilisant les formations pour le « verdissement » des métiers,
• posant le cadre réglementaire, fiscal et budgétaire qui favorisera les modèles et les partenariats innovants.

 

 

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