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par Odile Chagny, Mireille Battut

Dans le cadre des négociations sur le futur contrat de coalition, la CDU et le SPD se sont réunis le 31 octobre dernier pour préparer la feuille de route d’une nouvelle orientation de la transition énergétique allemande. Nous proposons ci-dessous d’apporter quelques éléments d’éclairage quant aux enjeux des négociations en cours.

 

Un consensus qui s’est effrité
Depuis plus d’une décennie, la transition énergétique allemande a été menée résolument en s’appuyant sur deux fondements solides : une politique industrielle de constitution de filières des énergies renouvelables qui s’est accélérée avec l’abandon du nucléaire ; un large consensus des consommateurs qui acceptaient d’en payer le prix dans leur facture électrique, tandis que l’industrie des secteurs énergivores bénéficiait d’exemptions.

 

Les résultats sont probants. En 2012, 12% de la consommation d’énergie primaire et 23% de la consommation d’électricité étaient d’origine renouvelable en Allemagne (contre 9% en 2004). Des failles commencent cependant à apparaître dans ce consensus. Ainsi, les deux grands partis de la future coalition divergent quant aux objectifs de développement qu’ils ont annoncés : alors que le SPD vise 75% d’électricité d’origine renouvelable à l’horizon 2030, la CDU se contenterait de 50%. Les enjeux en termes redistributifs, d’emploi et de compétitivité qui découlent de ces objectifs sont nombreux.

Les mesures en faveur du « Standort Deutschland » [site de production Allemagne] sur la sellette
A la différence de la France, le choix a été fait en Allemagne, du moins jusqu’à présent, de faire porter le coût du subventionnement des énergies renouvelables (EnR) principalement par les ménages, au travers de la répercussion dans les prix du subventionnement de la production des EnR, calculé comme la différence entre le tarif d’achat garanti par la loi sur les énergies renouvelables et le prix de revente de cette énergie sur le marché spot de l’énergie (loi dite « EEG » relative aux énergies renouvelables). Ce subventionnement correspond à la « EEG Umlage » (redevance EEG). En 2013, la redevance sur les énergies renouvelables s’est montée à 20,4 milliards (0,7 point de PIB) selon les estimations de la fédération des industries de l’Energie et de l’eau (BDEW). La redevance EEG étant plafonnée pour les industries électro-intensives, il en résulte qu’une part importante de la taxe sur les EnR est supportée par les ménages (7,2 milliards en 2013, soit 35% du total).

Pour les industries électro-intensives, l’avantage lié à l’exonération de la redevance EEG s’est chiffré à 4,3 milliards d’euros en 2012 (voir tableau). Si l’on tient également compte des autres mesures d’aides aux entreprises, le montant total des aides perçues par les industriels allemands au titre de la consommation d’énergie se montait à 13,6 milliards en 2012. Sur la base des simulations de l’UNIDEN, il en résulterait pour un client industriel à 70 GWh (type tarif vert pour une puissance supérieure à 250 kVA pour la France) une réduction du coût du MWh de 54 centimes d’euros en Allemagne, contre 7 centimes pour un industriel français.

La pérennité de ces avantages n’est cependant plus assurée, la Commission européenne ayant récemment dénoncé ce dispositif comme susceptible à ses yeux de constituer une aide d’Etat, et la population allemande étant de moins en moins disposée à payer un coût devenu trop élevé.

Subventions aux électro-intensifs en Allemagne

energie allemagne

Source : Bundesministerium für Wirtschaft und Technologie, Bundesministerium für Umwelt, Naturschutz und Reaktorsicherung, 2012, „Erster Monitoring Bericht »

Le prix de l’électricité, et ses effets redistributifs, au-devant de la scène politique
Entre 2010 et 2013, le prix de l’électricité a progressé de 22% pour un ménage type, et de 23% en moyenne dans l’industrie, la quasi intégralité de la hausse étant imputable à l’augmentation des taxes, sous le triple effet de l’augmentation de la production d’origine renouvelable, de la baisse du prix de gros induite par cette progression (la redevance EEG étant calculée sur la base de l’écart entre le tarif d’achat et le prix de vente sur les marchés de gros, elle augmente toutes choses égales par ailleurs quand le prix de gros baisse), et de la progression du nombre d’industriels électro intensifs bénéficiant du régime dérogatoire, qui s’est chiffré à 1690 en 2013, soit trois fois plus qu’en 2011 (un tiers de la hausse du soutien aux renouvelable est estimée être liée à la progression des exonérations).

 

Evolution du prix de l’électricité. 1998=100

taxe energie

Source : BDEW

 

Cette augmentation des prix fait monter en puissance les préoccupations sur les conséquences sociales de la transition énergétique et l’inquiétude de voir progresser les situations de précarité énergétique. Les 6,2 millions de bénéficiaires de l’allocation de base Hartz IV (données Arbeitsagentur, juin 2013) sont tout particulièrement concernés. Les bénéficiaires du minimum social de base, qui sera porté à 391€ par mois pour une personne seule en janvier 2014, voient en effet leurs frais de chauffage et de logement pris en charge par les communes « aux frais réels ». Mais il n’en va pas de même pour les dépenses d’électricité, qui sont intégrées dans l’allocation de base. Or, selon des calculs récents effectués par le portail de comparaison Verivox, les frais d’électricité seraient supérieurs d’environ 20% par rapport au montant pris en charge dans l’allocation de base et leur augmentation ne serait plus soutenable.

La réforme des aides aux énergies renouvelables sera l’un des chantiers clef de la prochaine coalition.
La préoccupation monte quant aux effets négatifs d’une hausse du prix de l’électricité sur la compétitivité et le site de production allemand. Au point que deux confédérations syndicales IG BCE (chimie) et IG Metall d’une part et la confédération des associations d’employeurs BDA et la fédération des industriels allemands BDI d’autre part ont signé le 23 octobre une déclaration commune visant à favoriser la prise en compte des enjeux de compétitivité.
La question des tarifs de rachat garantis aux énergies renouvelables n’est plus taboue, même du côté des industriels de l’énergie. Alors que la fédération de l’industrie des énergies renouvelables a récemment appellé à l’intervention de l’Etat, contre un éventuel retour au marché libre, de leur côté, E.ON et RWE n’ont pas hésité à se joindre à la protestation des neuf géants européens de l’énergie pour demander une réorientation de la politique énergétique européenne. Les axes qu’ils défendent (fin des subventions aux EnR matures, rétablissement d’un prix directeur du CO2 et secondairement mise en place d’un marché dit de « capacité »), mettent dorénavant les choix allemands sous pression au niveau européen. De ce point de vue, l’Allemagne n’est effectivement pas la mieux placée, avec un mix énergétique plus carboné et un parc automobile peu sobre.

 

Derrière l’annonce par les partis de la future coalition d’une transition « sûre, propre et abordable », les débats sont en effet intenses sur les priorités à mettre en œuvre. S’il est quasiment acquis que le système des aides aux énergies renouvelables va être révisé dans le sens d’une coordination accrue avec le développement des réseaux, les options restent largement ouvertes sur les choix de plafonnement des subventions en fonction de la part des renouvelables et sur la répartition du coût entre les consommateurs et les grands industriels. A suivre…

 

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Economiste, chercheuse à l'Institut de recherches économiques et sociales (IRES) et coordinatrice du réseau Sharers & Workers