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Que fait un normalien, énarque, quintessence de la haute fonction publique française quand il s’appelle Martin Hirsch et qu’il écrit un nouveau livre ? Il propose une solution inédite pour réduire la pauvreté, à moyens constants bien sûr.

 

hirsch

Au-delà de cette nouvelle stratégie qu’il définit et que nous allons présenter succinctement, l’intérêt de ce livre réside surtout dans les raisonnements qu’il tient et les affirmations qui les sous-tendent.

 

La double peine que les pauvres subissent

Être pauvre coûte cher parce que, pour un certain nombre de raisons liées à la faiblesse de leurs ressources, les populations pauvres payent pour le même bien ou service un coût par unité consommation plus élevé que les autres consommateurs.
Ainsi non seulement ils subissent un pouvoir d’achat plus faible mais ils payent plus cher pour une grande partie des biens de base. C’est la double peine.

Ce phénomène a été mis en évidence depuis un demi-siècle par un sociologue américain (David Caplovitz). L’Action Tank Entreprise et Pauvreté a demandé au Boston Consulting Group de le vérifier et de préconiser des pistes pour les entreprises. Cela a été fait dans un rapport de 2011 sur lequel Martin Hirsch s’appuie.

En France, ce phénomène se serait accentué puisque on voit que « la part du budget (des plus pauvres) consacré aux dépenses contraintes, c’est-à-dire strictement indispensables, est passée en 20 ans d’un quart de leur revenu à la moitié alors que cette part est restée quasiment constante dans le revenu du reste de la population et notamment pour les 20 % disposant des revenus les plus élevés ».
Ce surcoût est évalué à 6 à 8 % des revenus des ménages les plus pauvres. Son montant s’élèverait à 2 milliards d’euros par an.

 

Il en résulte que les transferts sociaux (qui constituent environ un tiers des ressources des plus modestes) servent en grande partie à combler ce surcoût sans permettre une réelle augmentation de leur pouvoir d’achat : « ils subventionnent les biens davantage que les personnes qui en ont besoin ».

Il est donc urgent de faire en sorte que les prix des biens indispensables soient abaissés au lieu d’accroître les aides pour payer ces biens chers. Tel est le principe de la nouvelle stratégie proposée. Comment faire ?

Il s’agit en quelque sorte de rompre le cercle infernal : « une augmentation de la précarité qui appelle des compensations sociales pesant sur la productivité, la compétitivité de l’économie, détruisant des emplois ou entraînant des ajustements par des emplois plus précaires, augmentant les besoins sociaux et ainsi de suite ».

 

Comment faire ?

L’idée est donc de faire baisser les prix des biens de première nécessité pour les populations pauvres.

Martin Hirsch raconte avec talent la pénible gestation du programme Malin visant à permettre aux familles de disposer de boîtes de lait pour nourrisson à prix réduit. Ce projet est porté par une entreprise du « social business » créée entre Danone et Grameen. Le projet permettrait à ces familles d’acquérir les mêmes laits que les autres mais à un prix sensiblement réduit.
Pour cela, l’entreprise est disposée à renoncer à tout profit.
Mais comment transmettre ces bons de réduction aux familles éligibles au programme ? Problème en apparence simple mais qui, dans les faits, comme le montre Martin Hirsch, est confrontée à une multitude d’acteurs plus ou moins passifs, de blocages idéologiques ou institutionnels. Autant d’obstacles que seules une volonté tenace et une énergie considérable peuvent lentement et patiemment surmonter.

Au cœur du problème est la question suivante : « Serait-il plus moral de subventionner avec l’argent public des organismes pour acheter des produits mis sur le marché par les entreprises que d’accepter que ces dernières renoncent à faire du profit ? ».

Renoncent à faire du profit ? Pas si simple. Martin Hirsch rappelle que « le paradoxe actuel est que les entreprises sont régies par un article du code civil qui les obligent à partager le profit entre les actionnaires… Il n’est pas écrit qu’une société peut se constituer pour satisfaire plusieurs objectifs, dont l’un d’entre eux peut être de répondre à des besoins sociaux ».

 

Cependant toutes ces expériences (cf. l’optique solidaire, les garages solidaires) ont permis à Martin Hirsch de penser la nouvelle stratégie qu’il propose : la progressivité des tarifs et des coûts.

Ainsi chaque famille se verrait attribuer un coefficient solidaire dépendant de ses ressources qui lui permettrait d’acheter certains produits à un prix corrélé avec ce coefficient solidaire. « On peut, par exemple, imaginer que si le tarif est 100 pour ceux qui ont le revenu médian, il soit de 90 pour ceux qui sont 20% en dessous du revenu médian, et de 70% pour les revenus inférieurs de 40% au revenu médian, c’est-à-dire en dessous du seuil de pauvreté. En sens inverse, une majoration de 10% pourrait être appliquée lorsque les revenus sont le double du revenu médian, de 20% lorsqu’ils sont le triple du revenu médian ».

Cela supposerait entre autres la mise en place de PPPAP, partenariat public-privé anti-pauvreté dans lesquels des entreprises renonceraient, pour remplir un but social, à réaliser du profit !

En réalité, cela existe déjà grâce à des initiatives locales. On peut citer une épicerie sociale qui vend aux familles pauvres des produits alimentaires à prix réduits (ainsi avec un enfant, une famille a droit à un panier de 44€ par semaine qui ne lui coûtera que 13.2€) grâce à des partenariats avec des entreprises de la grande distribution.
On peut également mentionner le programme des Solibails grâce auquel un propriétaire-bailleur loue un logement à une association qui le sous-loue à une famille sans logement en lui demandant un loyer correspondant à 25% de ses ressources (mais là, il faut quelqu’un pour payer la différence, l’Etat en l’occurrence)….

 

Cela ne marche plus

Si Martin Hirsch cherche à explorer de nouvelles voies hétérodoxes, c’est parce qu’il est convaincu que cela ne marche plus c’est-à-dire que les leviers traditionnels pour lutter contre la pauvreté comme l’augmentation du SMIC, l’augmentation des salaires, l’augmentation des dépenses sociales n’ont plus d’effets significatifs sur la pauvreté.

 

Il est désormais possible, dit-il, que :

  •  les salaires augmentent pour les plus pauvres sans que leur pouvoir d’achat ne s’améliore,
  •  l’augmentation du salaire minimum conduit à maintenir ou augmenter le nombre de travailleurs pauvres,
  •  les dépenses sociales s’accroissent en même temps que la pauvreté.

Par exemple, une augmentation du SMIC de 1% se traduirait, in fine, par une augmentation de revenus de seulement 0,2 à 0,3%, à cause de l’incidence négative des prestations liées au revenu qui décroissent alors ; sans compter les effets sur l’emploi. Bien plus, ce coup de pouce de 1 % augmente mécaniquement le coût brut des allègements de cotisations d’environ 3 %.
Autre exemple : les allocations logement qui, aujourd’hui dans le contexte de pénurie de logements, ont pour effet de subventionner les propriétaires et non pas de soulager le budget des locataires. En gros, des études suggèrent qu’une forte proportion des aides est captée en hausse des loyers. Ainsi, si on ajoute 1 milliard d’euros dans les aides au logement, 60 millions soulagent les locataires et 940 millions augmentent les revenus des propriétaires.

On ne discutera pas ici de la justesse de ces constats mais voilà le diagnostic posé par l’auteur, montrant par là que cela ne marche plus.

 

Supprimer la pauvreté, c’est pourtant (théoriquement) simple !

On rappelle qu’être pauvre a une définition précise. C’est avoir un revenu inférieur à 60 % du revenu médian : c’est une norme européenne dont la construction a suivi un long cheminement décrit par Julien Damon dans « Eliminer la pauvreté » édit. PUF 2010 (préfacé par Martin Hirsch).

Martin Hirsch s’est interrogé pour savoir quelles seraient les sommes pour sortir d’un coup tous les pauvres de la pauvreté (sic). Cela a été calculé et les chiffres sont cités dans le livre : « Pour faire franchir à tous le seuil de pauvreté (il faudrait) une somme presque dérisoire, à peine cinq à 6 milliards d’euros (calcul de 2005) ». En actualisant cette somme, il faudrait aujourd’hui 16 milliards d’euros.

« Ainsi, avec 16 milliards d’euros votés dans la loi de finances le 31 décembre, il est possible d’avoir éradiqué la pauvreté en France le 1er janvier au matin ». Martin Hirsch aurait ainsi rempli son mandat assigné par le précédent président de réduire fortement la pauvreté.

Mais, dit-il, cela serait vain car « l’INSEE calculerait le nouveau seuil de pauvreté, qui se serait mathématiquement élevé, car cette distribution aurait eu un effet à la hausse sur le revenu médian… Et ceci à l’infini jusqu’à ce que tous les revenus soient strictement égaux (sic) ». Ce raisonnement constitue la version moderne du paradoxe de Zénon d’Elée.

Ainsi cette belle idée pour résoudre le problème de la pauvreté s’effondrerait et on comprend le pourquoi de l’échec de la politique de lutte contre la pauvreté.

 

Sauf que ce raisonnement mathématique est faux : Martin Hirsch confond moyenne et médiane : la somme versée aux familles pauvres (les 16 milliards) ne changerait pas le seuil de pauvreté. Cette simple erreur lui a fait abandonner une solution simple de la pauvreté. Evidemment cela n’est évidemment pas si simple mais pourquoi tenir des raisonnements spécieux ?

Faut-il qualifier ainsi cette autre idée que Martin Hirsch fait en transposant aux plus pauvres une jurisprudence récente du Conseil constitutionnel qui définit, pour les plus hauts revenus, l’impôt confiscatoire : ainsi il propose que « la réduction des allocations sociales déclenchée par un gain tiré du travail soit analysée comme un impôt sur le travail. Il n’y a aucune raison que les pauvres soient taxés plus que les plus riches. C’est ce principe qui doit guider l’analyse de tous les mécanismes de soutien aux revenus faibles… ». Il voit là un moyen de passer au RSA2 car bien sûr on trouve dans ce livre un plaidoyer pour le RSA et pour ses améliorations.

 

Pour en savoir plus:

« Cela devient cher d’être pauvre » Martin Hirsch.- Editions Stock, 2013

 

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Un parcours professionnel varié dans des centres d’études et de recherche (CREDOC, CEREQ), dans
des administrations publiques et privées (Délégation à l’emploi et Chambre de commerce et
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partir d’une formation initiale d’ingénieur X66, d’économiste-statisticien ENSAE et d’une formation
en gestion IFG.
Une activité associative diverse : membre de l’associations des anciens auditeurs de l’INTEFP, ex-
président d’une grosse association intermédiaire à Reims, actif pendant de nombreuses années à
FONDACT (intéressé par l’actionnariat salarié), actuellement retraité engagé dans les questions de
logement et de précarité d’une part comme administrateur d’Habitat et Humanisme IdF et comme
animateur de l’Observatoire de la précarité et du mal-logement des Hauts-de-Seine.
Toujours très intéressé par les questions d’emploi et du travail.