5 minutes de lecture

par Albane Flamant

Au Nord de l’Europe, un groupe de pays reste singulièrement opposé à toute discussion sur un salaire minimum européen. Le Danemark, la Finlande, l’Islande, la Norvège et la Suède défendent depuis bien des années ce qu’on appelle « le modèle nordique. » Kristin Alsos et Line Eldring, deux chercheuses du Fafo Insitute for Labour and Social Research, analysent l’efficacité du modèle nordique et la position de ces pays sur les initiatives pour un salaire minimum européen.

 

fafo

Pour quelles raisons les gouvernements de ces pays sont-ils tellement opposés à un salaire minimum européen ? Selon les deux chercheuses, c’est d’abord l’occasion pour eux de se positionner politiquement par rapport à l’Union Européenne. L’Union n’a pour l’instant pas de compétence sur la question des salaires mais elle en discute régulièrement et pourrait proposer une régulation par la Méthode Ouverte de Coordination (soft law). Pour les pays nordiques, refuser un salaire minimum européen, c’est aussi refuser l’interférence croissante de l’UE avec les compétences nationales.

 

Selon les auteurs, cette prise de position semble surtout provenir d’une forte pression des partenaires sociaux : ils voient dans la proposition d’un salaire minimum national ou européen une remise en cause de leur autonomie de négociation.

 

A l’inverse du reste de l’Europe, les conventions collectives constituent la base du système salarial nordique : elles couvrent 50 à 90% du secteur privé selon les pays.

 

Modèle nordique 1

 

Ces conventions ne contraignent juridiquement que les entreprises les ayant signées et elles s’étendent également par législation nationale aux travailleurs non-syndicalisés. De plus, du fait de leur importance, elles ont un effet normatif sur leur industrie et de nombreux employeurs n’ayant pas signé de convention collective appliquent les salaires minima à leurs employés.

 

Quelle est l’efficacité réelle de ces conventions à l’échelle nationale ? Alsos & Eldring ont pris deux facteurs en compte pour leur évaluation : d’une part, le pourcentage que représentent les salaires minima négociés par rapport au salaire national moyen. D’autre part, la proportion de travailleurs pauvres (employés à plein temps avec un revenu net inférieur à 60% du revenu national médian, prestations sociales inclues) dans la population active.

 

Les statistiques suggèrent que les pays nordiques sont en meilleure position que leurs voisins européens de ces deux points de vue.

 

En effet, les salaires minima effectifs s’élèvent à plus de 50% du niveau national moyen des salaires de l’ensemble de ces pays et des industries étudiées (construction, métallurgie, CHR et nettoyage). Deux exceptions à cette règle : les industries finlandaises de la métallurgie et du nettoyage (49%), et l’industrie du nettoyage en Islande (48%). A l’opposé, la plupart des pays européens avec un salaire minimum ne dépassent pas les 50%, et aucune ne dépasse les 60%, ce qui n’est pas le cas dans le Nord.

 

Modèle nordique 2

Source: Alsos & Eldring 2013, sur bases de données OCDE 2010/2011

 

De plus, même si la crise a causé une augmentation générale du nombre de travailleurs pauvres en Europe (8,5% en 2010), les pays nordiques ont conservé une moyenne nettement plus basse que leurs voisins (5,5% la même année).

 

Les auteurs restent toutefois critiques et admettent qu’il existe des facteurs pouvant remettre en cause l’efficacité du système nordique. On craint par exemple que l’immigration de masse de travailleurs acceptant d’être payés à un salaire plus bas ne permette dans le futur aux employeurs d’éviter d’être liés par une convention collective. De plus, la globalisation a entrainé l’arrivée de nouvelles compagnies internationales refusant de se plier aux pratiques de conventions collectives. Les gouvernements nationaux ont essayé d’y répondre depuis 2004 par la création, à divers degrés, de législations étendant la portée de ces négociations collectives au sein de l’industrie concernée.

 

Néanmoins le danger principal proviendrait de la perte de vitesse des syndicats dans toute l’Europe au cours des 15 dernières années, et particulièrement au Nord. A l’exception de la Norvège, l’OCDE rapporte de fortes baisses dans la syndicalisation de la Suède (-14 %t), de la Finlande (-12%), de l’Islande (-7,9%) et du Danemark (-5%). Malgré cette baisse, les syndicats restent très présents dans le tissu social du Nord de l’Europe, mais il s’agira réellement pour les gouvernements de ces pays de trouver des solutions pour maintenir la prédominance de ces organisations dans la négociation collective. Il s’agit d’une des caractéristiques essentielles du modèle nordique.

 

Alsos & Edring énumèrent également les avantages potentiels d’un salaire minimum national : une meilleure protection des groupes vulnérables dans les industries les moins syndicalisées, l’assurance que les travailleurs ont un revenu suffisant à un niveau de subsistance minimum, ainsi que finalement une plus grande clarté pour les employeurs et les employés quant au montant minimum qui doit être payé. Ce dernier avantage serait particulièrement conséquent pour les travailleurs immigrés et les entreprises étrangères.

 

La conclusion des auteurs est toutefois claire : même s’il pourrait être plus efficace, le modèle nordique fonctionne bien et un salaire minimum national ne semble pas correspondre au marché du travail nordique. Les implications de cette mesure dépendent réellement de la nature du système national dans lequel on veut l’introduire : elle n’aurait pas les mêmes effets en Allemagne qu’en Norvège.

 

Malgré les défis présentés par la globalisation, Alsos et Eldring rappellent également qu’au final, ce sont les syndicats nationaux qui sont au plus proche de la réalité du travail dans chacun de leurs pays. C’est donc en leur sein que devra avoir lieu le débat qui aboutira à une stratégie européenne commune par rapport au salaire minimum.

 

Pour plus de détails, cliquez ici pour accéder l’étude.

Print Friendly, PDF & Email
+ posts