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par Albane Flamant

L’ancien premier ministre luxembourgeois Jean-Claude Junker sera, dès que le vote de confirmation du Parlement Européen aura eu lieu, le prochain Président de la Commission Européenne. En ces temps de crise et de réformes sociales tous azimuts, quelles sont les grandes tendances pour la protection sociale et l’indemnisation du chômage en Europe ? Et quel avenir pour le droit social ? Metis s’est entretenu avec Pascale Vielle, professeure de droit social à l’Université de Louvain, et chercheuse associée à l’Institut Syndical Européen.

 

Pascale Vielle

 Au cours de vos recherches, vous avez eu l’occasion de comparer plusieurs systèmes européens. En cette période de remise en question, quelles sont les grandes tendances quant à l’évolution de la sécurité sociale en Europe ?

Pour moi la grande tendance, c’est celles aux restrictions budgétaires. Dans les années 2008 à 2011, on pensait encore qu’il s’agissait d’une crise provisoire, et chaque pays avait sa propre conception de son origine. Pour certains pays tels que l’Autriche, la Pologne ou la Suède, il s’agissait plutôt de réagir à des problèmes venus d’ailleurs plutôt que de remettre en question leur droit social national. Pour la Grèce, le Royaume-Uni et la Hongrie, il fallait résoudre de problèmes de dette nationale. Dans d’autres pays, il s’agissait clairement d’une crise sociale causée par la segmentation du marché du travail. La Belgique est un cas particulier, parce la crise institutionnelle qu’elle connaît depuis de nombreuses années relègue au deuxième plan les grands débats sociaux et économiques qui secouent ses voisins.

 

Nous avons donc assisté à une crise qui se traduisait différemment en fonction du pays, et pourtant, l’Union Européenne a tenté d’y donner une réponse uniforme, plus politique que technique, à travers des accords tels que le pacte budgétaire ou le semestre européen. Sous la pression européenne, les Etats membres se sont vus forcés de réduire leurs dépenses, et cet effort budgétaire a particulièrement touché leurs système de sécurité sociale. Depuis, ils tentent de trouver la meilleure façon de réformer leurs organismes et leurs systèmes d’indemnisation. La pression maximale se porte surtout sur toutes les dépenses liées au vieillissement : les pensions, la santé. C’est ce qui coûte le plus cher à l’état.

 

Et les indemnisations chômage, dans tout ça ?

Les allocations pour les demandeurs d’emploi représentent en fait un part minimale de la sécurité sociale, mais la Commission Européenne a également demandé aux Etats membres de réduire leurs dépenses à ce niveau. On voit donc beaucoup d’entre eux réduire la durée pendant laquelle les chômeurs peuvent être indemnisés, ou encore le montant des allocations… Mais l’objectif reste de remettre le plus de personnes possible sur le marché de l’emploi. Le problème, c’est que ce dernier n’est pas en grande forme, et que tant qu’il ne sera pas redynamisé, le taux de chômage européen restera constant. Au niveau européen, on peut aussi souligner les changements d’influence quant à la prise de décisions : les Etats membres qui ont récemment rejoint les rangs de l’Union ont des systèmes de sécurité sociale beaucoup plus libéraux, et cela aura probablement un impact sur le développement des droits sociaux des citoyens européens.


Comment la société europénne réagit-elle face à ces politiques d’austérité ? A-t-elle un rôle à jouer ?

Ces politiques ont suscité quasiment partout en Europe des émeutes et des manifestations importantes, mais cela n’a rien changé : elles poursuivent leur cours, et les individus voient leurs droits sociaux diminuer sans avoir aucun contrôle sur ce développement. Même au niveau national, on rejette les théories de réinvestissement des économistes hétérodoxes pour promouvoir des stratégies ouvertement libérales. Rien ne semble actuellement pouvoir arrêter cette tendance.

 

On assiste à un déclin de l’importance des syndicats dans de nombreux pays européens. Quels seront les acteurs principaux du droit social des décennies à venir ?

Du fait que leur participation à la sécurité sociale dans les Etats membres est éminemment variable, les syndicats n’ont jamais été des acteurs européens importants à ce niveau. En revanche, en ce qui concerne le droit du travail et les politiques sociales, on ne peut qu’espérer (en espérant que ce ne soit pas un voeu pieux) que la nouvelle Commission, sous la Présidence de Monsieur Juncker, re-dynamisera le dialogue social et leur restituera un rôle dont les a privés la Commission actuelle, et notamment en ré-exploitant toutes les pistes prévues par les traités pour les associer. Il faut espérer que les syndicats européens trouvent un consensus suffisant pour affirmer une voix autonome et alternative aux politiques d’austérité actuelle. Parce qu’en dehors de l’acteur syndical, aujourd’hui, je ne vois pas quels sont les acteurs institutionnels susceptibles de faire contre-poids au démantèlement programmé du droit social. Il n’existe pas pour l’instant de groupe suffisamment structuré pour remplir ce rôle.

 

Pour aller plus loin

« Quel droit social en Europe après la crise ? » – Christophe Teissier, Sylvaine Laulom, Pascale Vielle, Emmanuelle Mazuyer et Claude Emmanuel Triomphe. 2010 

 

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