par Joël Ambroisine à Glasgow
C’est le 18 septembre que les Ecossais vont se prononcer par référendum sur l’indépendance de l’Ecosse. Grande affaire dont tout le monde parle au Royaume Uni mais aussi en Catalogne ou en Flandre, pour que ne citer que ces régions. L’Ecosse va-t-elle proclamer son indépendance ? Les derniers sondages donnent le oui gagnant mais les scores des pours et des contres sont proches. L’un des principaux enjeux de cette élection : la question sociale.
Un épais cahier blanc de 670 pages intitulé « Scotland’s future » constitue le plaidoyer des indépendantistes, ce rapport est préfacé par l’actuel premier ministre, Alex Salmond. Toutes les dimensions sont traitées dans le rapport. Au-delà de l’économie qui devrait prospérer, notamment grâce au pétrole, le chapitre sur la politique sociale, le bien-être et la santé est l’occasion de sonner la charge contre la politique libérale britannique.
La pauvreté
Le cahier blanc rapporte qu’en 2011/12, 710 000 personnes (14% de la population) vivaient dans une pauvreté relative en Ecosse : 420 000 actifs ou personnes en âge de travailler, 140 000 seniors et retraités, 150 000 enfants. La pauvreté des enfants est sans aucun doute l’argument massue du gouvernement et du Comité « Yes Scotland ». La prévision d’une augmentation de 22,7% d’ici 2020, soit 200 000 enfants pauvres de plus en cas de non à l’indépendance apparait partout sur les affiches, dans les stations de bus, sur les cabines téléphoniques, en 4 par 3 sur les panneaux le long des routes. Ces estimations de The Institute of Fiscal Studies, seraient le seul fait de la politique de réformes du système de welfare organisé depuis Westminster. Les réformes de Westminster pourraient même prélever prochainement 4,5Mds £ supplémentaires aux foyers écossais.
Selon le rapport, le gouvernement écossais a réussi à pallier les difficultés des plus démunis, grâce à des accords avec les Councils d’Ecosse et autres autorités locales, afin de protéger 560 000 personnes des risques dus aux coupes budgétaires. Le gouvernement s’est d’ailleurs engagé à verser 20 millions de £ entre 2013/2014 et 2014/2015 pour aider les personnes les plus affectées par la Bedroom tax, une pénalité pour les logements sociaux sous-occupés. En effet, l’usager de logements sociaux voit réduire son allocation logement s’il est considéré comme ayant plus d’espace qu’il ne lui en faut. Abolir l’impopulaire et incomprise Bedroom Tax est une promesse du Gouvernement écossais actuel.
Pour accompagner les usagers face aux réformes de David Cameron, le gouvernement a investi près de 7,9 millions de £ dans des services d’information et d’accompagnement en 2012/2013 et près de 33 millions de £ sont réinjectés dans le Scottish Welfare Fund, fonds de protection sociale écossais.
Au-delà de son engagement à abolir les taxes impopulaires, le gouvernement écossais s’engage auprès des publics généralement visés par les politiques de protection sociale : les chômeurs, les personnes âgées, les familles avec enfants à charge, les personnes handicapées, etc. La pauvreté fait l’objet d’une campagne importante, parce qu’elle engendre des situations de santé précaire, avec une espérance de vie inférieure de 11 ans dans les régions les plus pauvres d’Ecosse, la mortalité suite à un cancer étant plus élevée de 76% dans ces mêmes régions.
En ce qui concerne la petite enfance, childcare, le gouvernement s’est engagé à débloquer après l’indépendance près de 600 heures d’assistance maternelle pour près de la moitié des enfants de moins de deux ans, 1140h pour les 3/4ans après la première élection parlementaire postindépendance et 1140h pour ceux qui auront entre 1an et l’âge d’entrer à l’école, après la deuxième élection parlementaire. Les principaux bénéficiaires seraient les foyers bénéficiant d’allocation familiale ou de l’allocation chômage.
La Justice sociale
Comme dans le reste de l’Europe, les deux dernières décennies ont vu se développer la décentralisation, notamment en matière de politiques sociales. Le pouvoir exécutif local est devenu fournisseur et garant du bien-être des citoyens qu’il représente. Dans le cas du Royaume-Uni, cela signifie que cette mission incombe aux gouvernements d’Irlande du Nord, du Pays de Galles, et d’Écosse. Depuis 1999, le principe de la dévolution a permis des transformations considérables, une différenciation de la politique en fonction de la perception locale du bien-être social et aussi en fonction d’une nouvelle forme de citoyenneté. Par exemple, en Ecosse, les soins personnels gratuits pour les personnes âgées et la mise en place de prix étudiant sont deux changements clés de la politique sociale.
La Justice sociale est un concept difficile à définir, mais il a été utilisé régulièrement par les hommes politiques comme ligne directrice des politiques sociales depuis la dévolution de l’Ecosse. Donald Dewar, premier « first ministre » écossais en 1999 déclarait que les valeurs qui lui importaient le plus dans la conduite d’un gouvernement d’Ecosse étaient l’égalité des chances et la justice sociale.
Au cœur des stratégies de l’administration écossaise, l’exécutif reconnait que relier inégalité et pauvreté au communautarisme peut provoquer un processus puissant d’exclusion, mais que l’identification de ces groupes ou communautés peut aussi permettre de mieux identifier leurs besoins, de les rassembler et de les associer au projet d’intégration et aux processus de décision. La justice sociale écossaise repose sur l’identification des groupes, notamment les plus défavorisés. Cette politique ciblée est une sorte de prolongement de la question de la « scottishness » pour s’adresser à des groupes et communautés plus restreints et différenciés selon leur genre, appartenance ethnique, identité religieuse ou sexuelle. En 1999, l’exécutif écossais publiait sa première stratégie « Social Justice : A Scotland where everyone matters » reposant sur un vaste réseau d’organisations de lutte pour l’insertion et présenté comme « la structure la plus complète jamais organisée pour s’attaquer à la pauvreté en Écosse ». Ce réseau consultatif n’a pas duré, mais la stratégie mise en place a perduré notamment dans la rhétorique politique de New Labor et du SNP (Scottish National Party) pendant la période de dévolution. En 2003, le parti travailliste écossais réaffirmait son engagement à réduire la pauvreté grâce à une stratégie « Closing the opportunity gap ». Cette stratégie a permis une plus grande réduction de la pauvreté des enfants qu’en Angleterre. En 2008, le gouvernement SNP poursuivait en proposant « d’atteindre les objectifs de lutte contre la pauvreté et l’inégalité des revenus en Écosse ».
À bien des égards, on peut se demander si l’indépendance conduirait la politique sociale du SNP vers une plus grande justice sociale.
En 2008, £7,5 millions ont été investis dans une organisation commune entre le Gouvernement écossais et la Convention of Scottish local authorities (Conventions regroupant les autorités locales écossaises) afin de réduire la pauvreté. Cette stratégie reposait alors sur l’amélioration des revenus, une campagne d’information sur la règlementation du droit du travail, mais de façon générale, cette stratégie se plaçait plus à gauche que la politique de lutte contre la pauvreté proposé par Westminster.
La santé au cœur du débat
L’Ecosse a longtemps eu la réputation d’être l’« homme malade de l’Europe ». Certains indicateurs de performance du système écossais de santé étaient largement en deçà du reste du Royaume-Uni et des autres pays d’Europe occidentale. Ainsi, les hommes nés dans les régions les plus pauvres d’Écosse peuvent s’attendre à vivre en moyenne 9 à10 années de moins que dans les régions plus riches, et leur espérance de vivre en bonne santé est seulement d’une cinquantaine d’années. Pour Alex Neil, ministre de la santé du bien-être du gouvernement écossais, l’indépendance est cruciale parce qu’elle permettra d’utiliser chaque levier de politique publique pour s’attaquer au scandale de l’inégalité face à la santé.
En novembre dernier, le Cahier blanc « Scotland’s Future » intégrait le plan de réforme du système de Santé National (NHS – National Health System) ainsi que d’autres propositions.
Malgré la mainmise de Westminster sur bon nombre de sujets politiques, la question de la santé est, depuis la dévolution de 1999, sous la responsabilité du Parlement écossais. L’Ecosse n’a pas attendu l’indépendance pour adopter des choix de santé différents de son voisin du sud, et ce depuis 15 ans.
Malcom Chisholm, membre du parti travailliste écossais et ancien ministre de la santé (2001-2004) a réformé le marché interne en réintégrant certains services au sein du NHS. Le Parlement écossais a aussi mis en place des politiques particulières permettant d’améliorer l’accès à santé et surtout aux soins de nuit. De même, le Gouvernement écossais a introduit la gratuité des soins pour les seniors en 2002, et en 2011 le gouvernement SNP rejetait les taxes sur les ordonnances, décrites par le premier ministre Alex Salmond comme un « impôt sur le malade ». Ainsi, pour l’actuel ministre de la santé et du bien-être Alex Neil, une Écosse indépendante permettrait de garantir ces avantages acquis.
« Dans une Écosse indépendante nous continuerons à fournir une santé de qualité, telle que prévue dans les principes fondateurs de notre NHS ». Et de poursuivre, « cela devrait être perçu comme l’inverse des privatisations à l’ordre du jour en Angleterre qui menacent les fondations sur lesquelles le NHS est construit ».
Face aux réformes du NHS en Angleterre, le vice-premier ministre écossais Nicola Sturgeon a déclaré que l’indépendance était nécessaire pour protéger le service de santé en Écosse des effets provoqués par les changements en Angleterre: « grâce à l’autonomie, nous pouvons poursuivre le cours d’une politique de santé différente en Écosse. Mais il ne fait aucun doute, que les privatisations du NHS en Angleterre auront un grand impact en Écosse. Si les Tories sont déterminés à privatiser le NHS en Angleterre, cela voudra dire des coupes budgétaires dans les soins médicaux. Et par conséquent, cela voudra dire des coupes dans la consolidation publique ici en Écosse. »
Mais les adversaires de l’indépendance défient le SNP sur les mêmes arguments. « En sondant l’ensemble du spectre politique en Écosse, nul n’envisage une réforme de santé allant dans le même sens que celle envisagée par le gouvernement de coalition à Westminster » rassure Neil Findlay membre du shadow cabinet du Parti Travailliste écossais, en charge du ministère pour la Santé et du bien-être. L’inquiétude principale est la future consolidation du NHS. Selon les opposants à l’indépendance, l’actuel gouvernement écossais s’est engagé à de vastes réformes afin de convaincre les électeurs les plus sceptiques, mais la réduction d’impôts à hauteur de £350 millions par an accordée aux entreprises, à laquelle s’ajouterait la séparation d’avec le Royaume-Uni, pourrait avoir un impact sérieux sur les dépenses du NHS.
Les promesses n’engagent que ceux qui y croient, l’augmentation des retraites est également annoncée en cas d’indépendance, celle-ci n’est pas encore acquise, pourtant, la spécificité de l’Ecosse subsistera au-delà de ce vote. L’Ecosse continuera à défendre son modèle social.
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