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par Yu Fei An & Jean-Marie Peretti

Comment s’exerce la RSE en Chine et comment les entreprises chinoises communiquent-elles en la matière ? Yu Fei AN, docteur en sciences de gestion, professeur agrégé à la School of Management de la Shaanxi University of Technology (Chine) et Jean-Marie PERETTI, professeur à l’ESSEC Business School et à l’IAE de Corse, ont analysé les rapports RSE 2013 de quatre grandes entreprises chinoises et en livrent pour La Missive de Gestion Attentive – qui nous en a très aimablement autorisé la reprise – la substantifique moelle.

 

chine sculpture

Les dispositions adoptées par les bourses de Shenzhen en 2006 et de Shanghai en 2008 ont créé l’obligation pour les entreprises cotées de publier un rapport RSE, de se fixer des objectifs et de rendre compte en publiant des informations. L’analyse de quatre rapports RSE 2013 d’entreprises chinoises cotées permet de dégager une culture chinoise spécifique de la RSE. Elle s’inscrit dans le « Rêve de Chine », concept présenté officiellement le 29 novembre 2012 par le président Xi Jinping. Ce rêve consiste à atteindre « la prospérité d’État, la revitalisation nationale et le sentiment du bonheur du peuple » dans l’« intérêt de la population ».

 

Le cadre règlementaire RSE chinois

L’élaboration des politiques et directives concernant la RSE en Chine est principalement du ressort du ministère du Commerce, lequel considère la RSE comme un facteur majeur de transformation du modèle de croissance économique. Plusieurs textes législatifs importants structurent l’approche légale de la RSE avec, dès 2002, la loi sur la sécurité au travail. En 2005, la loi régissant le droit des sociétés en Chine introduit une disposition concernant la RSE. En 2007, 2008 et 2009, plusieurs règlementations ont poursuivi cette évolution. La RSE en Chine met l’accent sur la sécurité des produits et des processus, la consommation d’énergie et l’impact environnemental, ou encore la contribution des entreprises à l’harmonie sociale et au développement local. Elle intègre le rôle de l’État, du Parti et du Syndicat et insiste sur la double responsabilité économique et sociale et la fertilisation croisée. La lutte contre la corruption, l’éthique et l’intégrité sont également une composante forte de la RSE aujourd’hui en Chine.

 

La SASAC – The State-owned Assets Supervision and Administration Commission of the State Council – organisation émanant du Conseil d’État, publie des lignes directrices destinés à promouvoir la RSE dans les entreprises d’État, dans les entreprises à investissement étranger et dans les banques. Le dispositif encourage les entreprises à s’assigner elles-mêmes des objectifs ambitieux en matière de RSE et de gouvernance.

 

L’ensemble réglementaire est renforcé par le cadre directeur donné par le Comité Central du Parti Communiste chinois (CCPC). Les questions de transformation et de mutation (zhuanxing) de l’économie et de la RSE y sont clairement abordées. La politique de construction d’une société harmonieuse constitue un cadre de référence pour l’ensemble du pays, pour l’échelon local et bien entendu pour l’action des entreprises. Depuis 2006, la loi impose aux sociétés cotées à la bourse de Shenzhen (SSE Shenzhen Stock Exchange) de publier un rapport RSE (SSE guidelines). En 2008, la bourse de Shanghai a publié une notice RSE (Shanghai CSR Notice) et un guide (Shanghai Environmental Disclosure Guidelines) à l’intention des entreprises cotées. Les entreprises contrôlées par l’Etat chinois sont également incitées à communiquer à travers un ensemble de dispositifs institutionnels tels que le Labour Contract Law et notamment les « Guidelines to the Stateowned Enterprises Directly under the Central Government on Fulfilling Corporate Social ».

 

Les rapports RSE publiés par les entreprises chinoises constituent une base de données utile pour étudier le développement de la RSE dans les entreprises en Chine. La lecture de quatre rapports RSE 2013 d’entreprises chinoises cotées (Machines de construction de Shantui, Zhejiang Dongliang New Material Co, Ltd, Shanghai Electric Power Co., Ltd. et China Gezhouba Group Company Ltd), publiés en chinois, fait ressortir l’importance et la spécificité des préoccupations RSE en Chine. Pour ne pas alourdir la lecture, nous mettons l’analyse de deux rapports RSE sous forme d’encadrés à la fin de cet article [NDRL].

 

Convergences et différences avec les entreprises en France

La comparaison entre les rapports RSE des entreprises chinoises cotées et ceux des entreprises françaises font ressortir des similitudes et des différences que les spécificités du contexte institutionnel expliquent. Les obligations d’information applicables sont en France, depuis 2013, beaucoup plus larges et précises. Ceci explique l’importance plus grande des données chiffrées dans les rapports RSE des entreprises françaises, notamment dans le domaine social. Cependant les indicateurs sont également présents de façon croissante dans les rapports RSE chinois.

 

De même, certaines informations peu présentes en Chine ont été rendues obligatoires en France : pyramide des âges et politique à l’égard des seniors, taux de féminisation et égalité professionnelle femme-homme, turnover, diversité et lutte contre les discriminations, temps de travail et ses aménagement, santé et bien-être. Dans le domaine sociétal, les entreprises chinoises mettent l’accent sur leurs engagements et en particulier en matière de développement local et de lutte contre la pauvreté. Elles soulignent l’importance de leur contribution à l’harmonie sociale. Comparée avec les pays occidentaux, la Chine est un pays en développement. Les personnes à faible revenu représentent une proportion importante. Le taux de couverture d’assurance sociale est faible. Un grand nombre de personnes a besoin d’aide pour les frais médicaux en cas de maladie grave, la scolarisation des enfants pauvres dans les régions montagneuses, etc.

 

Pour la réalisation du « Rêve de Chine », il faut donc que l’entreprise assume pleinement sa responsabilité sociétale. En matière d’environnement, les rapports chinois sont détaillés tant au niveau des réalisations que des certifications et récompenses obtenues. Les engagements pour 2014 sont également fournis. Au-delà des différences, les rapports RSE présentent de nombreux points communs, reflétant une maturité comparable dans la prise en compte des préoccupations RSE. Les prochains développements devraient concerner la production d’indicateurs permettant de situer la performance RSE au niveau international.

 

L’analyse de ces quatre rapports fait ressortir le lien entre RSE et développement durable. Le discours introductif des rapports étudiés expose clairement une vision stratégique de la RSE comme contribuant au développement durable, à la croissance, à la performance et à l’emploi tout en insistant sur l’impact des activités RSE sur la communauté, la qualité des produits et l’importance de l’éthique, de la santé et de la sécurité des salariés. On assiste à une avancée des engagements de l’entreprise sous la pression notamment de l’État chinois qui recourt au modèle de RSE pour répondre à des revendications sociales croissantes, après l’effondrement de tout l’édifice de protection sociale, et pour répondre à la prise de conscience de la gravité du risque environnemental dans le pays.

 

L’environnement institutionnel de l’entreprise chinoise se caractérise encore aujourd’hui par le poids des institutions politiques, de l’État, du Parti qui sont porteurs des inquiétudes sociales et environnementales de la société civile et des salariés. Ces acteurs exercent des pressions sur les entreprises, les incitant à suivre les règles institutionnelles et donnant lieu à de nouvelles formes de pratiques en matière de RSE, combinant à la fois des obligations contraignantes et des démarches volontaires. La lecture de ces quatre rapports illustre la prise en compte effective de la RSE par les grandes entreprises chinoises.

 

A l’intérieur des rapports RSE

  • China Gezhouba Group Company Ltd

 

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Le rapport RSE 2013 de China Gezhouba Group, une entreprise de construction et d’ingénierie très présente sur de grands chantiers à l’étranger, a été publié le 28 mars 2014.

 

Le « Rêve de Chine ». Le préambule précise les enjeux (« une grande responsabilité qui est la réalisation du « Rêve de Chine » en renforçant l’entreprise et enrichissant le peuple.») ainsi que les actions menées en 2013 (« nous avons amélioré la vie des employés; nous avons aidé les élèves défavorisés pour qu’ils se consacrent à leurs études sans soucis; nous avons participé aux activités de bien-être public, par le biais de dons, par les services de bénévolat »

 

La dimension internationale. Le rapport souligne la responsabilité au niveau international. Dans les projets internationaux, « Gezhouba a promu l’amitié internationale et a mis en évidence les bonnes vertus de la nation chinoise ». La philosophie de coopération repose sur « équité, intégrité et gagnant-gagnant ».

 

Gouvernance d’entreprise et stratégie de responsabilité. Le rapport affirme que « le développement durable est la mission prioritaire de l’entreprise ». L’entreprise observe strictement les lois, règlements et documents réglementaires. Afin d’améliorer la structure de gouvernance, l’entreprise met en place un système de contrôle interne plus global et plus efficace, normalise les systèmes de contrôle interne, les capacités de gestion et de contrôle stratégiques du Conseil d’administration, améliore le système de gestion du risque et de gouvernance afin de fournir soutien et garantie pour le développement durable et sain de la société. La philosophie d’entreprise est ainsi décrite :

– Principe de l’entreprise : renforcement de l’entreprise et enrichissement du peuple ;

– Esprit d’entreprise : créer une marque mondiale, fonder une réussite du siècle ;

– Philosophie de sécurité : éliminer tous les risques cachés, assurer la santé et la sécurité de tous les salariés ;

– Philosophie environnementale : construire des projets verts et créer un environnement harmonieux.

 

La stratégie responsable assure « un retour pour la nation, la société, les actionnaires, les clients et les salariés ». En améliorant le rendement et l’efficacité économique, l’entreprise augmente l’intensité du dividende pour les investisseurs. En visant le développement personnel, l’entreprise améliore les revenus du personnel et leur environnement de travail. En participant aux activités de bien-être public et en fournissant des ressources financières, matérielles et humaines, l’entreprise promeut l’harmonie sociale.

 

Les attentes des parties prenantes et les réponses de l’entreprise. Le rapport présente les attentes de parties prenantes et les réponses apportées. Ces parties prenantes sont les bailleurs de fonds, le Gouvernement, les actionnaires, le personnel, le client, les consommateurs, les fournisseurs, la communauté.

 

Le rapport précise les mécanismes de communication de la RSE sur les engagements et les résultats des dernières réalisations pratiques. Il précise le montant total de l’impôt, des taxes et droits versés et sa progression (en 2013, augmentation de 35.89 % sur 2012) et le nombre de personnes recrutées. Parmi les mesures en faveur du personnel, l’entreprise applique un système de délivrance de carte salaire du travailleur migrant, « protégeant les droits et intérêts légitimes des travailleurs migrants » et a établi un système uniforme de contrats de travail et de salaires.

 

La démocratie d’entreprise. L’entreprise présente le « congrès de l’ouvrier » comme une forme de base du système de gestion démocratique, de la prise de décision démocratique et du contrôle démocratique. Elle garantit aux travailleurs le « droit de savoir, de participer, d’exprimer et de superviser ». Le syndicat d’entreprise joue un rôle important et organise des formations et des conférences sur les droits des travailleurs tels que les « dispositions spéciales relatives à la protection dutravail du personnel féminin » et « la santé physiologique et psychologique des femmes employées ». Le syndicat de l’entreprise aide les jeunes salariés célibataires en organisant des activités sociales pour eux.

 

Les indicateurs sociaux. Des données chiffrées sont fournies sur plusieurs items : 100 % de contrats de travail ; les contrats collectifs couvrent 100 % des salariés ; 100% aussi sont couverts par la sécurité sociale;99,75 % des salariés sont syndiqués ; écart des salaires hommes et femmes 1,2/1;taux d’emploi des personnes handicapées de 1.5% ; couverture des dossiers médicaux et de santé : 100 % ; formation du personnel : 2 681 actions de formation, 55 467 personnes formées ; réduction de 1,68 % des émissions de dioxyde de soufre et de 2,13 % des émissions d’oxyde d’azote en 2013.

 

Perspectives d’avenir et engagements. « La création du sentiment de bonheur pour les salariés est le moteur du développement futur de la société » et l’entreprise s’engage : « à l’avenir, nous allons porter plus d’attention aux liens entre le développement de l’entreprise et le traitement des travailleurs » ainsi que « nous allons mettre l’augmentation du niveau de revenu des salariés en première ligne, accroître leur sentiment d’identité, d’appartenance et de bonheur ». La création de valeur pour les investisseurs est un objectif affiché et là aussi l’entreprise s’engage : « à l’avenir, nous allons encore améliorer la structure de gouvernance, accroître l’efficacité de la gouvernance, créer de la valeur pour nos investisseurs ». Enfin l’entreprise s’engage, comme entreprise d’État, à aider les régions sous-développées, la population pauvre et les groupes spéciaux. A long terme, l’entreprise entend « s’impliquer davantage dans la protection sociale, l’harmonisation du monde et la fraternité, la construction des objets verts, l’économie d’énergie et la réduction des émissions. »

 

  • Zhejiang Dongliang New Material Co., Ltd.

 

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Le rapport de cette entreprise de haute technologie, principalement engagée dans l’aluminium et le traitement des métaux non ferreux, développe plusieurs points :

 

Application stricte des lois et règlements. La société indique se conformer strictement à la législation du travail, au droit des contrats de travail, veiller à protéger les droits et intérêts légitimes des travailleurs. La société a l’ambition de « normaliser et améliorer le système des salaires, le mécanisme d’incitation, les salaires, la sécurité sociale et le système de protection sociale ». Le principe d’une répartition selon le principe « à travail égal, salaire égal » et l’engagement de payer pour un travail égal, « sans déduction des salaires pour les ouvriers sans raison, sans arrangements contractuels ou déguisés pour essayer de réduire le paiement des salaires et de la protection sociale du travailleur » sont affirmés. « Renforcer la cohésion, la construction de relations de travail harmonieuses et gagnant-gagnant » est l’objectif affiché.

 

Prévenir la corruption et construire une gouvernance propre et honnête. Pour prévenir efficacement la corruption, lutter contre les pratiques commerciales déloyales, la société « protège les activités commerciales de la corruption, renforce la construction d’un gouvernement [d’entreprise] propre et honnête, réalise l’éducation « mise en garde » – c’est-à-dire mettre en place des actions préventives contre la corruption – et l’éducation juridique, la discipline et l’éducation ». Quotidiennement, la politique est « d’établir la justice au sein de l’entreprise, pour lutter résolument contre le mal et renforcer la ligne de défense idéologique et morale du personnel ».

 

Améliorer la communication du personnel et l’échange. « Ouvrir la communication et la coopération », « encourager l’harmonie et les bonnes relations interpersonnelles » sont des axes de la communication. Le salarié, en cas de problème « peut obtenir une solution raisonnable par le biais de divers canaux de communication ». Le Parti et les syndicats représentent et défendent les droits et intérêts des travailleurs. La sensibilisation accrue des travailleurs à la gestion démocratique permet de promouvoir un développement harmonieux et sain. « L’Organisation syndicale adhère à la ligne principale orientée vers l’employé et le développement de relations de travail harmonieuses ».

 

Améliorer la sécurité de l’entreprise en douceur. La société a porté une attention particulière à la sécurité dans la production et la « suprématie de la sécurité des personnes est essentielle » comme le concept de gestion de sécurité. Régulièrement chaque année une enquête complète de la société est menée afin, d’améliorer la sensibilisation à la sécurité et la capacité à se protéger. Les diagnostics de sécurité approfondis sont mis en place « pour détecter les dangers, s’assurer que les risques et l’insécurité sont abordés en temps opportun pour efficacement prévenir et éviter les risques causés par l’accident et améliorer la capacité du personnel à gérer les incidents de sécurité ».

 

La contribution à la communauté. L’accent est mis sur les engagements sociétaux et la promotion locale du développement, sur « la communication harmonieuse avec le milieu externe, sur la participation active au développement culturel de la communauté, au soulagement de la pauvreté et aux activités de protection sociale » pour « promouvoir le développement de l’entreprise afin de construire une société harmonieuse ». L’entreprise encourage tout le personnel à contribuer à la Communauté en faisant des dons et en participant à diverses formes de bénévolat et elle facilite les activités « pour soutenir des causes de charité ».

 

Engagements pour 2014. Le rapport souligne certaines lacunes et prend des engagements : protéger davantage les droits légitimes et les intérêts des actionnaires, des créanciers, des salariés, développer des relations sincères avec les fournisseurs et les clients, promouvoir le travail de protection de l’environnement, soutenir la construction du bien-être public et améliorer progressivement le système de gestion de la responsabilité sociale « afin de réaliser l’unification harmonieuse des contributions sociales et économiques ».

 

Pour aller plus loin

« La RSE en Chine : vers une recomposition de la relation salariale » 

Le dossier publié par Gestion attentive 

 

Crédit image : CC/Flickr/HKmPUA

 

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