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par Odile Chagny, Albane Flamant

Depuis quelques années apparaissent partout en France les bizarres « Fab Labs ». D’abord, c’est quoi un Fab Lab ? Dans l’hexagone, ce terme tend à désigner de façon abusive tout atelier de fabrication numérique. En fait, l’appellation Fab Lab est en quelque sorte protégée, avec sa propre charte, ses équipements précis… Reste que ces ateliers ouverts au public deviennent peu à peu monnaie courante partout dans le monde, et sont l’incarnation d’une tendance de l’économie collaborative qu’on appelle le mouvement des makers. En quelques mots, l’idée est que tout particulier peut créer ou modifier ses propres objets pour mieux répondre à ses besoins et envies. Metis s’est entretenu avec Massimo Banzi, co-fondateur de la start-up Arduino, qui fabrique des cartes électroniques permettant presque à n’importe qui de programmer ses appareils domestiques et bien plus.

 

arduino

 Dans certains articles, vous parlez du fait qu’Arduino a dû survivre à son propre succès. Il est vrai qu’en quelques années, vous êtes passé d’un projet open source* à un vrai business. Comment s’est passée cette transition, que retenez-vous de ces dix années ?

La force d’Arduino, c’est qu’à la base notre start-up reste un projet open source. A mon sens, l’ecosystème Arduino est une combinaison de trois éléments :

 

  • Une petite carte électronique fabriquée en Italie qui permet, de façon aisée et abordable, de programmer un microcontrôleur, qui est une sorte de minuscule ordinateur qu’on trouve dans des millions d’objets quotidiens;
  • Un logiciel gratuit qui permet de programmer la carte; et
  • Une communauté vibrante qui démontre l’enthousiasme généré par ce projet. Chaque jour, des milliers de personnes se rendent sur notre site et discutent avec d’autres utilisateurs pour résoudre un problème qu’ils ont rencontré ou pour contribuer au projet Arduino.

 

A l’origine, nous souhaitions simplement créer un outil pédagogique pour initier nos étudiants à l’électronique, mais parce que notre appareil est simple et peu coûteux, il a trouvé une audience dans le mouvement des makers. Aujourd’hui vous pouvez découvrir sur Internet des centaines de projets Arduino qui sont très créatifs et qui peuvent être répliqués à domicile. Grâce à sa conception accessible, il s’agit sans doute aujourd’hui du mouvement « hardware » en open source le plus influent.

 

Bien sûr au début de l’aventure Arduino, le projet n’était pas rentable. C’est pourquoi au début il s’agissait pour nous d’un projet secondaire, que nous conduisions en parallèle à nos autres activités.

 

Avec un dispositif Arduino, un bricoleur du dimanche sans formation particulière pourrait essayer de construire sa propre imprimante 3D. Quel impact pourrait avoir cette révolution sur les géants de l’industrie électronique ?

 En fait, Arduino est un outil destiné à créer des objets ou des environnements interactifs, à aider les gens à utiliser la technologie qui est disponible. Quoiqu’il arrive, quand on crée un outil qui permet aux gens de maximiser leur créativité, ils trouvent toutes sortes d’applications pratiques. Donc ce n’est pas tant que nous avons créé un monde de hackers, mais pour moi, il s’agit plutôt d’un monde où les gens sont plus impliqués dans la création de produits. Nous avons été adoptés par le mouvement des makers en tant que plateforme électronique, et ce qui est génial, c’est que parmi nos utilisateurs, il y a beaucoup de gens qui ne se seraient jamais crus capables de programmer des microcontrôleurs ou de fabriquer des circuits. Et certains d’entre eux finissent même par créer des entreprises ayant pour vocation de fabriquer des composants électroniques, alors qu’il y a 15 ans c’était quelque chose de très difficile, et uniquement accessible à ceux qui avaient une expérience dans ce domaine.

 

Je suis agréablement surpris par cette évolution rapide dans la façon dont les gens utilisent Arduino pour créer des produits de toute sorte, même s’ils n’ont pas beaucoup de connaissances électroniques.

 

L’année dernière, Arduino a débuté un partenariat avec Intel, un réel géant de l’électronique. C’est un exemple à suivre : finalement une entreprise qui découvre le mouvement des makers et la philosophie open source. Il y a beaucoup de grandes compagnies qui commencent à s’intéresser au potentiel d’innovation de ce mouvement.

 

Que pensez-vous de la déclaration suivante : une économie collaborative est une économie sans travailleurs ?

Je ne suis pas vraiment d’accord. L’économie collaborative, c’est une économie avec beaucoup de connaissances, de compréhension, de passion et d’engagement. C’est le début d’un monde nouveau, excitant, qu’il nous faut encore découvrir.

 

Quelles relations entretenez-vous avec vos utilisateurs ?

Au début, c’était beaucoup plus simple pour moi de beaucoup échanger avec nos utilisateurs. Bien sûr, mon rôle a changé avec le temps, et il y a de toute façon trop d’utilisateurs… En l’espace de trois mois, le site d’Arduino reçoit entre 4 à 5 million d’utilisateurs, et parmi ceux-ci 3 à 4 millions sont des réguliers. La taille de notre communauté est loin de se limiter au nombre de cartes électroniques Arduino que nous avons fabriquées, car il y aussi toutes les machines qui sont compatibles avec Arduino, et qui amènent vers nous de nouveaux membres. Nous avons également plus de 200 000 participants sur notre forum, ce qui permet à beaucoup de s’entraider et de répondre à leurs questions. C’est vraiment un phénomène enthousiasmant. Je n’avais jamais imaginé que tant de personnes seraient intéressées par Arduino.

 

Avez-vous remarqué, ou espérez-vous dans le futur des révolutions similaires dans d’autres secteurs ?

Je pense que le mouvement des makers, le bricolage à domicile et la philosophie de l’open source vont se répandre à d’autres secteurs, comme par exemple tout ce qui est lié à la conception d’un produits. Aujourd’hui, les gens ont besoin (et c’est ce qu’ils demandent) d’être impliqué dans le processus de création afin d’avoir des produits plus en rapport avec leurs attentes individuelles.

 

* Open source : utilisation libre par le grand public, avec la possibilité de contribuer au développement du produit. Ce que vend Arduino est en fait un kit comprenant une carte électronique toute faite (avec des options de sophistication), ainsi que son logiciel, mais tous les plans sont en ligne et la même carte pourrait être construite à domicile par un particulier.

 

Pour aller plus loin

DGE – Etat des lieux et typologie des ateliers de fabrication numérique

 

Crédit Image : Arduino

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Economiste, chercheuse à l'Institut de recherches économiques et sociales (IRES) et coordinatrice du réseau Sharers & Workers