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par Sjoerd Claessens

Mardi dernier, alors que qu’une majorité de l’Europe célébrait l’Armistice de la Première Guerre Mondiale, la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) délivrait une décision controversée dans l’affaire Dano (C-333/13) dans laquelle elle confirmait la prise d’une approche beaucoup plus stricte de la libre circulation des personnes. Les gros titres de la presse britannique étaient on ne peut plus parlants : « Finalement, l’Europe prend une décision qui ravirait Mme Thatcher * ».

 

Judge hammerLa décision concerne le cas d’Elisabeta Dano, une Roumaine de 25 ans qui habite en Allemagne. Elisabeta a fait toute sa scolarité en Roumanie, mais n’a jamais obtenu de diplôme. Elle n’a aussi jamais travaillé ni cherché d’emploi. En 2009, elle a eu un fils de père inconnu et vit aujourd’hui avec lui chez sa soeur à Leipzig, Tous les mois, elle reçoit 317€ d’allocations familiales (184€ du fédéral, et 133€ de la ville de Leipzig) sur base d’un certificat de résidence de durée illimitée qui lui a été octroyé en 2011. L’affaire résulte d’un conflit entre cette dernière et l’agence de l’emploi de Leipzig qui avait refusé sa demande d’allocation de subsistance minimale.

 

Dans sa décision, le CJUE a statué que les Etats membres avaient effectivement le droit de refuser ces allocations de subsistances aux migrants européens qui n’étaient pas économiquement actifs, même si les nationaux dans la même situation avaient droit à ces allocations. A première vue, ce traitement paraît aller à l’encontre du principe de non-discrimation sur base de la nationalité. Depuis les tous premiers jours de l’instauration de la citoyenneté européenne, les décisions de la CJUE se basaient sur l’adage que la résidence légale supposait une égalité de traitement. La base de la résidence (droit européen ou droit national) ne semblait pas être importante dans ce raisonnement. Les citoyens européens qui n’avaient de résidence légale sur base du droit européen, mais dont la résidence n’était pas remise en cause par l’Etat membre d’accueil pouvait toujours s’appuyer sur ce principe de non-discrimination (comme on l’a vu dans des cas tels que Martìnez Sala, Grzelzcyck, Trojani, et plus récemment sur ce sujet, Brey).

 

Dans le cas Dano, la CJUE a mis fin à cette pratique puisqu’elle a maintenant décidé que les gens qui n’ont pas de résidence sur base de la directive «Droits des citoyens» (Directive 2004/38/EC), quels que soient leur statut sous le droit national, n’ont pas droit à une égalité de traitement sur base de l’article 24 de la directive. Cette partie de la décision est très directe, car le texte de cet article limite déjà son application en ce respect. Ce qui est beaucoup plus inquiétant cependant est le fait que la CJUE ne voit apparemment plus l’Article 18 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE) comme une catégorie plus vaste en matière d’égalité de traitement des personnes qui, pour une raison ou une autre, résident dans un autre état membre. En d’autres mots, en tant que citoyen européen vous n’aurez droit à une égalité de traitement (du moins en ce qui concerne l’aide sociale) que si vous avez le droit de rester sur base de la directive Droit des Citoyens. Dans le cas contraire, vous êtes à la merci du droit national.

 

Le futur déterminera la mesure dans laquelle les gens qui déplacent d’un Etat membre à un autre et qui essaient de gagner décemment leur vie souffriront de ce que le Premier ministre britannique David Cameron appelle une décision de bon sens mais qui, à mon avis, représente un risque de dérive pour les droits à l’égalité de traitement des citoyens européens.

 

CJUE

 

Cet article a été originellement publié en anglais sur le site de l’Université de Maastricht, avant d’être republié après traduction par Metis, avec la gracieuse autorisation de l’auteur.

 

Références *  

At last, Europe makes a ruling that would delight Mrs Thatcher. Article du Telegraph du 13 novembre 2014. 

 

A propos de l’auteur

Le Dr. Sjoerd Claessens est un conférencier en droit européen de l’Université de Maastricht ainsi qu’à l’Université d’Hasselt, et se spécialise en droit matériel de l’Union Européenne. 

 

Crédits images : CC/Fickr/ssalonso & CC/Flickr/Roel Teunkens

 

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