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Conseils des prud’hommes, quelles évolutions ?

publié le 2014-12-03

A l’aube d’une réforme des prud’hommes longtemps annoncée, Philippe Bigard revient sur les caractéristiques de cette institution française si particulière, et sur les axes potentiels de son amélioration.

 

Le Conseil des Prud'Hommes de ParisInstitution originale et plus que bicentenaire, les conseils de prud’hommes, créés en 1806 sous Napoléon 1er, sont la juridiction de premier niveau des contentieux individuels de droit du travail. Elle repose sur un système où ce sont des représentants des métiers de façon paritaire, et non des professionnels du droit, qui y sont juges. En cas de « départage » toutefois, quand les juges des deux parties ne parviennent pas à s’accorder (20% des cas environ), un juge du tribunal d’instance vient siéger en audience avec les conseillers prud’homaux.

 

Ce juge du respect du droit du travail traite essentiellement deux types de contentieux : les contestations de ruptures individuelles du contrat de travail et les contestations individuelles relatives aux procédures de PSE (par exemple contestation du motif économique). Or si la seconde catégorie a sensiblement diminué depuis quelques années (plus de 15 000/an en 2005, environ 2 500 aujourd’hui), le premier type de contentieux a eu au contraire tendance à se développer face à la diversification des modes de rupture et au nombre important de contestations. L’institution de la rupture conventionnelle a eu un effet très net à partir de 2009 (pic à plus de 16 000/an en 2009, et encore près de 14 000 en 2012, soit plus de 80% des contentieux prud’homaux). Les conseils de prud’hommes sont ainsi devenu un rouage essentiel de régulation des relations individuelles de travail et de la relation entre employeurs et salariés en France.

 

Face à ces nouveaux défis, la juridiction prud’homale donne il est vrai de sérieux signes d’essoufflement. Durée moyenne de jugement supérieur à 15 (contre à peine plus de 5 pour un tribunal d’instance !) et surtout en tendance haussière (12 mois en 2005), taux d’échec de la conciliation, mission pourtant première des conseils (5,5% des contentieux !), taux de recours en appel allongeant d’autant la durée totale de traitement des affaires (environ 65% !), enfin, last but not least, pourcentage de décisions déjugées en appel de près de 50% ! Les chiffres parlent d’eux-mêmes et le rapport rendu en juillet dernier par Alain Lacabarats, alors président de la chambre sociale de la cour de cassation, dresse un constat sévère, pointe de multiples dysfonctionnements et propose de nombreuses pistes d’amélioration.

 

La réforme en cours a pris la forme d’un premier projet de loi, voté par le Sénat et l’Assemblée Nationale et en cours d’examen au Conseil Constitutionnel. Il porte sur le mode de désignation des conseillers. Comme suite à la réforme de la représentativité commencée en 2008 et aujourd’hui achevée avec la représentativité patronale (loi de mars 2014), les conseillers seront désormais, et en bonne logique, désignés en proportion de l’audience des leurs syndicats respectifs et non plus élus au terme d’un scrutin par ailleurs moribond (à peine plus de 25% de participation).

 

La seconde partie de la réforme sera présentée en Conseil de Ministres le 10 décembre et aura une portée beaucoup plus large. Intégrée au projet de loi dit Macron sur la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, elle a en réalité été préparée par les ministères du Travail et de la Justice. Elle reprend nombre des propositions du rapport Lacabarats, mais en écarte d’autres après concertation avec les partenaires sociaux, comme l’idée de barème indemnitaire ou l’obligation de juger dans un délai de 3 mois par exemple.

 

Le premier mérite de cette réforme est, de façon peut être un peu paradoxale, de préserver l’essentiel de la juridiction prud’homale. Certains, comme un temps Laurence Parisot, ont évoqué sa suppression pure et simple. D’autres comme Jacques Barthelemy, suggéraient une évolution vers l’échevinage, type de juridiction où des juges professionnels (au moins un en tous cas) siègent aux côtés des juges non professionnels. La France serait selon lui un des seuls pays au monde avec le Mexique où cela ne serait déjà le cas (sauf comme on l’a vu en cas d’audience de départage) ! D’autres pistes, comme de la médiation en amont même de la conciliation ont aussi été évoquées.

 

Le choix, prudent, du gouvernement (et des partenaires sociaux) a été celui d’une « cure de jouvence » permettant de d’adapter l’institution aux défis de l’époque sans en bouleverser l’organisation. « Ni remise en cause, ni démantèlement, changer n’est pas casser » soulignait François Rebsamen devant le Conseil des Prud’hommes d’Orléans le mois dernier …

 

Et de fait, si un toilettage s’imposait sans conteste, il n’en eût pas moins été regrettable de jeter le bébé d’une institution qui a aussi de nombreux mérites avec l’eau du bain d’un marché du travail par ailleurs sinistré. En dépit de ses dysfonctionnements, le système dans son ensemble ne fonctionne au fond pas si mal. Il a su s’adapter, bon an mal an, à la créativité des partenaires sociaux et du législateur en matière de droit du travail. La connaissance par les conseillers de l’entreprise, des métiers, des problématiques managériales ou organisationnelles, permet de fait de juger en droit mais aussi en équité et au regard de l’intelligence des situations. La très grande diversité des métiers et des profils est largement représentative de celle des plaignants. Enfin, les prud’hommes ont à mon sens une très forte légitimité institutionnelle en dépit des délais de jugement, gros point noir aux yeux du public. Ils apparaissent comme de véritable recours pour des salariés se sentant injustement traités – ils obtiennent gain de cause dans à peu près 70% des cas – et pour lesquels il est souvent autant question de dignité retrouvée que de nombre de mois d’indemnité.

 

Ceci étant, les difficultés ne doivent non plus être minimisées. La juridiction prud’homale était concernée dans 51 des 66 cas où l’Etat a été condamné en 2013 pour dysfonctionnement de la justice civile sur la base de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales ! Préoccupante également la très grande diversité de situations et de contextes entre les différentes parties du territoire : quand on est jugé en 12 mois en moyenne à Paris, il faut parfois le double ailleurs, ce qui pose un évident problème d’égalité de traitement.

 

La réforme en cours s’attaque ainsi à l’ensemble des difficultés décrites dans le rapport Lacabarats et à nouveau mises en exergue dans une récente note du Trésor. Elle vise en priorité à intensifier la conciliation, à limiter les recours en appel, à accélérer les délais de jugement et à renforcer leur sûreté.

 

Les principales évolutions proposées portent en particulier sur :

  • Des aménagements procéduraux visant à mieux articuler le travail du conseil de prud’hommes et celui du juge départiteur et à en accélérer le déroulement ; c’est une des dimensions essentielles de la réforme, avec des « circuits courts » dans certains cas, et dont l’expérience montrera rapidement si elle conduit à une baisse sensible des délais de jugement ;
  • Un « tronc commun » de formation commune à l’ensemble des conseillers (tant côté patronal que salarié) et obligatoire ce qui n’est pas le cas aujourd’hui ;
  • L’assistance obligatoire d’un avocat ou d’un défenseur syndical (dont le statut doit être par ailleurs précisé et sécurisé) ;

 

 

Le recours à des juges non professionnels présente pour conclure des avantages et inconvénients symétriques. L’avantage : ils ont une connaissance expérientielle des situations ayant pu conduire aux contentieux et des types de contexte dans lesquels elles peuvent survenir, et jugent en droit mais aussi au regard des règles du bon sens. L’inconvénient : il y a un risque que les jugements ne soient insuffisamment assis sur le droit et trop sensibles à d’éventuelles tentations corporatistes. C’est un peu, en schématisant, l’expertise juridique contre l’intelligence des situations. Même si certains peuvent la juger un peu frileuse sur ce point de la rigueur juridique, la réforme semble raisonnable sur le fond et plutôt bien menée pour l’instant. Considérant qu’il s’agit d’un sujet hautement sensible on a, à ma connaissance au moins, échappé aux querelles stériles et aux postures outrancières auxquelles le débat public prête trop souvent le flanc s’agissant des questions sociales. Il est vrai qu’elle fait l’objet d’un relatif consensus entre représentants des salariés et du patronat, unis pour le coup face au spectre du « pouvoir des juges », si décrié en matière de licenciements collectifs. Le débat pourrait bien sûr rebondir au moment de l’examen au Parlement mais on ne voit pas bien pour quelle raison. En revanche, il semble qu’il y ait quelques points d’achoppement avec le conseil supérieur de la prud’homie.

 

A suivre donc …

 

Crédit image : CC/Flickr/ActuaLitté

 

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