par Gérard Zribi
Etablissements sociaux et médico-sociaux, les ESAT (Etablissements et Services d’Aide par le Travail) « accueillent », « emploient » des travailleurs handicapés dont le statut ne relève pas du droit commun du travail. Créés dans les années 60, initialement pour des adultes handicapés mentaux, les ESAT, autrefois CAT (Centre d’Aide par le Travail), proposent un ensemble de solutions d’accès à l’emploi : emplois ordinaires avec ou sans aides (humaines, techniques), emplois subventionnés (entreprises adaptées – ex ateliers protégés -, aides à l’emploi liées à la lourdeur du handicap), enfin emplois protégés.
Très ouverts sur leur environnement et bien implantés dans les bassins d’emploi et les territoires, les ESAT ont des activités économiques très variées : sous-traitance industrielle, prestations de service, environnement, jardinage, restauration, blanchisserie, artisanat, tourisme…
Les ESAT, par leur adaptation (à de nouveaux besoins des populations, aux mutations économiques et culturelles) représentent sans nul doute, l’un des meilleurs dispositifs européens. Pourtant, plusieurs questions restent posées et pas seulement du fait d’une faible lisibilité sociale des ESAT.
Les ESAT sources de progrès social
Lorsque l’on parle de social, de nouveaux indicateurs sont à considérer, ceux qui tentent de mesurer le bien-être d’une population, comme l’indice du développement humain promu par les Nations Unies, ou l’indice de santé sociale, et encore bien d’autres, avancées par des économistes comme Jean Gadrey qui mettent en valeur toute l’utilité sociale de ce type de structures.
En effet, les ESAT participent pleinement et concrètement au quotidien, et sans doute davantage que d’autres secteurs, à quelques débats de société : l’environnement, la lutte contre les discriminations et pour l’intégration sociale, la bonne gouvernance, la qualité de vie au travail, la formation tout au long de la vie, la création d’activités durables, l’adaptation des postes de travail, les mutations de l’environnement économique et social, la participation et la représentation des travailleurs, les temps choisis et l’aménagement des espaces, la diversité de l’offre de service, la valorisation des compétences, la prise en compte de l’usure professionnelle et des effets du vieillissement…
Bien loin d’être des structures vermoulues et périmées, les ESAT expérimentent pour des populations défavorisées, de nouveaux modes de production, d’échanges et de relation, relevant avec succès, le défi souvent méconnu de créer de l’activité économique en s’adaptant continuellement à de nouvelles opportunités en matière de produits et de services, afin de proposer une activité professionnelle à 120 000 handicapés majoritairement mentaux (60%) et psychiques (35%).
Le projet des ESAT s’inscrit dans la logique des droits fondamentaux
C’est la diversification des solutions, leur souplesse, leur décloisonnement, l’instauration de passerelles qui offriront des choix et un véritable accès aux droits fondamentaux de vie ; il faut en effet éviter clairement les positions fondamentalistes, soutenant soit l’individualisation extrême des prestations définies par la personne handicapée elle-même, soit le tout institutionnel systématique (on en est loin en France, puisque nous avons entre 50 et 90% moins de places de travail protégé que dans les pays comparables comme l’Allemagne ou la Suède), soit encore le mythe d’une intégration professionnelle ordinaire pour tous (ce qui signifierait le retrait du droit au travail pour ceux qui ne peuvent y accéder, c’est-à-dire la grande majorité des travailleurs d’ESAT).
Il faut continuer à faire de la place aux différentes options ou les mixer dans des proportions variant en fonction des déficiences, des handicaps, des besoins, des motivations et des évolutions.
En effet, la priorité à la vie ordinaire ne doit pas occulter des besoins spécifiques qui peuvent nécessiter non seulement des services complémentaires adaptés, mais aussi des institutions spécifiques, mais ouvertes sur le monde, perméables et en ancrage fort avec la société dont elles font partie intégrante, économiquement et socialement.
Ainsi, il faut continuer à défendre et à soutenir la persistance d’un continuum de réponses en matière d’emploi et notamment pour ce qui concerne l’emploi ordinaire, la simplification de l’attribution des aides à l’emploi liées à la lourdeur du handicap, véritable support de l’intégration professionnelle.
Notre société, comme l’affirme Renaud Sainsaulieu, est profondément façonnée par le travail qui est devenu la plus importante machine à produire de l’identité sociale ; mais seul le maintien de toutes les formes d’emploi (ordinaire, subventionné, accompagné, protégé) est susceptible d’offrir des opportunités d’activité professionnelle aux travailleurs handicapés en âge, en capacité et en motivation de travailler.
Le droit au travail a pour corollaire le bénéfice de droits sociaux
Le droit au travail implique dans toute société démocratique un droit à une rémunération et un droit à s’exprimer, à se former et à être représenté. En ce qui concerne le niveau de ressources des personnes handicapées en ESAT (rémunération + allocation aux adultes handicapés), il est notoirement insuffisant (environ 90% du SMIC), ce qui limite réellement l’intégration sociale.
En ce qui concerne le droit à l’expression et à la représentation, de nombreuses formules tout à fait innovantes existent dans les ESAT. Il serait utile d’en relever une typologie pour améliorer les droits de ces véritables travailleurs qui exercent leur activité professionnelle en ESAT ; c’est un point important de leurs attentes. Cependant, une véritable réflexion sur le statut juridique des travailleurs handicapés s’impose, celui d’usager d’établissement médico-social étant totalement inadapté ; il faudrait aller rapidement plus loin en le rapprochant des travailleurs relevant du Code du travail.
Le coût des ESAT et leur gestion
Il va sans dire qu’une bonne administration des fonds publics comme ceux d’ailleurs issus de la commercialisation des travaux de sous-traitance, des produits et des prestations de services fait partie intégrante des engagements des ESAT.
Mais d’abord, le sens de l’action ne se trouve pas dans la gestion, même si dans la société actuelle, tout doit se gérer, depuis l’éducation de ses enfants, sa famille, ses mensonges, sa sexualité, son planning, ses relations amoureuses et son responsable hiérarchique à la personnalité forcément difficile.
Mais ensuite, une gestion digne de ce nom ne se trouve pas dans des normes de financement telles qu’elles sont actuellement imposées, qui sont bureaucratiques, mécaniques et rigides : elles risquent de donner des fonctionnements minima et de générer des déséquilibres structurels ; elles ne créent pas au final une économie budgétaire, mais plutôt des demandes insistantes de création de postes administratifs et ne font que provoquer des recours devant les tribunaux du tarif.
Il faut encore redire que le prix de revient financier à la place des ESAT pour la collectivité est relativement faible : 11 800 € par place (sans compter les aides aux postes). Que dire alors des indicateurs peu fiables et l’appauvrissement systématique des structures, avec comme conséquences des déficits budgétaires et une sélection de populations. Quid alors du droit au travail si souvent affirmé ? Que dire encore de la forte sollicitation des comptes commerciaux des ESAT pour cofinancer des charges nouvelles ?
Le contrôle et l’évaluation des ESAT
Le contrôle et l’évaluation sont nécessaires et totalement légitimes ; ils ne doivent pas signifier toutefois une volonté d’encadrement obsessionnel des pratiques qui étoufferait alors les dynamiques et l’esprit d’entreprendre et diminuerait la qualité de l’accompagnement et du soutien des personnes handicapées. Ils ne doivent pas, à coup sûr, multiplier les procédures.
Il faut être plus ambitieux, plus efficace et aussi plus simple. La recherche de la qualité des prestations, de la qualité de vie au travail ou de l’innovation ne se trouve pas dans un référentiel de bonnes pratiques – qui ne peut être qu’un support – mais dans l’écoute et la proximité avec les personnes handicapées ainsi que dans la liberté de penser, d’expérimenter, d’agir et d’évaluer de manière interactive au sein d’une équipe, et plus largement avec les décideurs publics et avec nos partenaires associatifs, sociaux, économiques et sanitaires.
Faire face aux mutations
Faut-il rappeler que dans la psychologie collective, les changements ne sont pas une fin, ni positifs en soi ; des études psychologiques montrent très logiquement que l’on a en réalité toujours une préférence pour le statu quo, sauf s’il y a des avantages sensibles pour en sortir. Les ESAT ont déjà beaucoup changé par l’impact des profondes mutations économiques, sociales et aussi administratives amorcées il y a une trentaine d’années.
Ils changeront encore et en mieux, si l’on ne dénature ni leur mission qui est avant tout humaine, ni leurs moyens d’action qui se situent à l’articulation du social et de l’économique. Il faut pour cela d’abord renoncer à la persistance de l’écart entre les grands principes stratosphériques (l’inclusion à tonalité intégriste) et les réalités humaines et institutionnelles souvent complexes et peu faciles à solutionner.
Il faut renoncer ensuite à l’empilement des textes sans créer, sauf dans le fantasme – mais il y en a des meilleurs – du mouvement et de l’amélioration.
Il est, par contre, indispensable de cultiver, au-delà des mots, le terreau de l’esprit d’initiative et de la qualité, à savoir le respect des valeurs (celle de l’humanisme) et le réalisme des moyens (notamment publics).
A propos de l’auteur
Gérard Zribi est Directeur Général de l’AFASER, Président d’ANDICAT et auteur notamment de « L’avenir du travail protégé » et du « Dictionnaire du handicap », tous deux parus aux Presses de l’EHESP.
Crédit image : CC/Flickr/Alain Bachellier
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