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par Pierre Blanc

De par la volonté du législateur, l’Agefiph se situe à la croisée des chemins de plusieurs cultures : la culture du paritarisme, la culture du service public de l’emploi, celle du secteur de l’engagement associatif et celle de l’entreprise et du service. Cette situation singulière lui confère une dimension culturelle originale qui repose sur un équilibre de composition entre des codes spécifiques appartenant à chacune des sphères patronale, syndicale, associative et publique.

 

Paris, 5e arrondissementEn 1987, il n’y avait pas de modèle comparable à celui de l’Agefiph. En effet, elle n’est ni patronale, ni associative, ni syndicale, ni publique. Elle est tout cela à la fois et plus encore. C’est l’addition de chacune de ses diversités qui fait l’originalité de l’Agefiph. C’est en soi une des premières innovations du Gouvernement et du Législateur en 1987. L’Agefiph est-elle une association ? Une institution ? Une entreprise ?

 

Pour l’Etat, il s’agit d’une institution qui concourt à la politique du handicap. En définissant des stratégies et des objectifs pour accroître son efficacité, elle emprunte à la logique d’entreprise. La motivation et l’engagement des administrateurs et des collaborateurs autour de la mission font qu’ils se réclament d’une adhésion forte à la forme et à la cause associatives. L’Agefiph est tout à la fois une institution publique, une entreprise et une association. Son statut associatif lui donne une grande force : son autonomie dans la responsabilité, qui conduit sa gouvernance à rechercher les voies d’un consensus actif.

 

Elle n’est pas uniquement une caisse destinée à verser des aides compensatoires. Elle est définie légalement comme un fonds de développement de l’emploi dans le cadre d’une politique publique arrêtée et conduite par l’Etat. Cette mission centrale la positionne dans un champ partenarial pluri-dépendant. S’agissant du développement du recrutement, le partenariat avec le Service Public de l’Emploi revêt une importance capitale. L’amplification de l’accès à la qualification des actifs handicapés appelle des relations partenariales fortes avec les Conseils Régionaux en charge de la compétence formation et les OPCA. Le maintien dans l’emploi des salariés en situation de handicap requiert un partenariat étroit avec les organismes de sécurité sociale et la Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie (CNSA).

 

La nature même de la fonction de développement impose à l’Agefiph de se doter des moyens d’incarner cette ambition. C’est une exigence forte qui renvoie à une double injonction, structurelle et conjoncturelle. Structurellement, elle demande de rechercher la mise en synergie la plus efficace entre les aides du fonds et celles des politiques de l’emploi de droit commun. Conjoncturellement, l’Agefiph est « condamnée » à accroître son efficacité au fil des années.

 

Condamnée à être en perpétuelle dynamique, l’Agefiph a recherché un positionnement « d’agence intelligente », en développant la connaissance statistique de ce secteur et en élaborant des partenariats actifs, tant avec les institutions qu’avec les opérateurs qui agissent en faveur de l’emploi de l’emploi des personnes handicapées.

 

Selon Jean-Louis Ségura, Directeur Général de 1989 à 2002 : « Il s’agissait de construire une entreprise à vocation sociale et de rang national, qui allie développement, compétitivité, solidarité ».

 

« Le défi de l’Agefiph, ce n’est pas uniquement la gestion, c’est aussi la capacité à financer, de manière intelligente et rapide » analyse Rémy Jouan en 2003 (Président de 2001 à 2006 – Confédération Française du travail).

 

Quelques années plus tard, Tanguy Du Chéné (Président de 2007 à 2009 – Mouvement des entreprises de France) souligne : « Il revient à l’Agefiph de faire travailler ensemble de nombreux acteurs de l’insertion professionnelle, de développer une véritable synergie…. Faire plus, faire mieux seront les maîtres mots de l’époque qui s’ouvre ».

 

Forte de son autonomie associative, en définissant de véritables diagnostics, stratégies et plans d’action pour accroître l’efficacité de son action auprès des personnes handicapées et des entreprises, l ‘Agefiph a développé et entretenu une véritable dynamique.

 

Deux grands principes ont toujours guidé les gouvernances successives de l’Agefiph :

– ne pas se substituer aux dispositifs de droit commun et même résister aux tentatives gouvernementales de transferts de charges en la matière. L’Agefiph a toujours exprimé l’exigence vis-à-vis des pouvoirs publics de voir les personnes handicapées accéder aux actions de droit commun en priorité sur celles des dispositifs spécialisés, principe repris et confirmé par la loi de 2005. Souvent l’Agefiph s’est faite l’avocat des demandeurs d’emploi handicapés pour revendiquer un niveau au moins égal, voire supérieur de la part de des aides publiques, à leur poids dans l’ensemble des demandeurs d’emploi. C’est le principe de la complémentarité au droit commun : l’intervention de l’Agefiph ne peut être qu’un levier d’amplification.

– l’Agefiph n’est pas un opérateur de proximité, et ne doit pas le devenir. Elle n’a jamais voulu s’inscrire dans cette logique, ni se substituer à ceux dont c’est le métier. Elle s’associe les compétences et les expériences qui sont les plus aptes à répondre aux projets qu’elle définit. Cela fait partie des fondements qui n’ont pas bougé depuis près de 30 ans. Sa stratégie c’est d’accroître les effets de synergie, notamment avec le droit commun.

 

Ces principes fonctionnent avec un triple système d’acteurs qui interagissent. Il y a d’abord l’Agefiph, régie par un paritarisme élargi, qui est elle-même un système d’acteurs en soi. Il y a ensuite les acteurs institutionnels de l’emploi, Pôle emploi, les Conseils régionaux, les OPCA, etc. Enfin, le troisième cercle est constitué des opérateurs spécialisés, dédiés à l’emploi des personnes handicapées : les équipes Alther*, Cap emploi**, Sameth***, … 

 

L’Agefiph ou le FIPHFP ne peuvent agir seuls, ni même ne détiennent à eux seuls la totalité de l’expertise pour faire face à la situation de l’emploi des personnes handicapées. L’ensemble des acteurs sont interdépendants : chacun a besoin de l’autre pour remplir la mission commune avec la meilleure efficacité. Dans cet environnement complexe, il appartient aux deux fonds de s’allier pour endosser le rôle de mise en synergie des acteurs afin de répondre aux obligations de leur fonction de développeur.

 

L’histoire de l’amplification du droit commun résulte de l’analyse évolutive qu’a produit la gouvernance de l’Agefiph des besoins immédiats des personnes handicapées et des entreprises, mais aussi des forces et faiblesses du système d’acteurs de droit commun et d’appuis spécialisés.

 

On peut distinguer trois étapes chronologiques dans cette construction :

La mobilisation des parties prenantes

Dans cette première étape, il s’agissait de développer l’information des employeurs et des personnes handicapées pour les inciter à l’action. La prime à l’embauche qui concernait aussi bien l’employeur que la personne handicapée recrutée a atteint jusqu’à 66% du budget d’intervention en 1995. L’équivalent d’aujourd’hui n’est plus que de l’ordre de 6%.

 

Le développement de l’accompagnement des personnes en situation de handicap, qui est caractérisé par :

– le développement des organismes de placement spécialisés pour compléter la couverture territoriale, leur donner de la lisibilité et des orientations nationales par l ‘adoption du label « Cap emploi » et de son dispositif de pilotage en 2000 ;

– et parallèlement par la mise en cohérence de leurs actions avec celles de l’ANPE, de l’Association Française pour la Promotion des Adultes, de l’assurance maladie, de la CNSA au moyen de conventionnements nationaux déclinés régionalement.
la mise en place des dispositifs d’accompagnement au maintien dans l’emploi (Sameth) et l’accroissement de l’effort de formation propre de l’Agefiph avec le programme de qualification « Handicompétence » lancé en 2006 ;

 

Le pilotage renforcé des opérateurs 

Il s’agit du pilotage renforcé du réseau d’acteurs spécialisés financés par le fonds grâce à une définition volontariste du contenu des services qui sont mis en œuvre et par une politique d’achat rigoureuse.

 

Tout ceci s’est concrétisé par une forte accélération des résultats :

 

En 7 ans, entre 2005 et 2012, le nombre de stagiaires handicapés qui ont intégré les formations financées par les Conseils Régionaux a doublé (7 000 en 2005 – 14 000 en 2012) passant de 3,6% des entrées à 5,6%.

 

Si l’on compare les résultats obtenus entre 2007 et 2012, soit en 5 ans, aux 20 premières années d’existence de l’Agefiph, elle a accompagné :
– un nombre de recrutements de plus de la moitié (56%), de ceux qu’elle a accompagnés entre 1987 et 2006,
– autant de maintiens dans l’emploi (96%),
– autant de contrats en alternance (96%),
– et plus de 60% de parcours de formation.

 

Entre 2007 et 2013 la part des établissements dont le taux d’emploi est égal à zéro est passée de 50 à 7% de l’ensemble des établissements assujettis.

 

La contribution des employeurs à l’Agefiph est en diminution continue depuis 2007 (- 27%). 441 M€ ont été collectés en 2013 au titre de l’année 2012 auprès de 42 500 établissements. Plusieurs facteurs sont à l’origine de ces baisses : les fermetures ou regroupements d’établissements, la baisse des effectifs salariés, les accords agréés, les changements législatifs, mais aussi l’accroissement du nombre d’établissements qui répondent à l’obligation d’emploi par l’emploi direct et/ou le recours à la sous-traitance (52% des 100 000 établissements du secteur privé assujettis). Le taux d’emploi progresse régulièrement de 0,1 à 0,2 % par an pour s’établir autour de 3,3%.

 

Entre 2007 et 2011, le nombre de travailleurs handicapés est passé de 262 700 à 370 000 dans les établissements privés assujettis.

 

En 2013, 220 000 interventions de l’Agefiph auprès des personnes handicapées et 113 00 auprès des entreprises ont permis notamment :

– l’entrée en formation de 60 000 bénéficiaires,
– 70 500 recrutements,
– 3 000 créations d’activité,
– 4 800 contrats en alternance,
– 17 000 maintiens dans l’emploi.

 

Un outil au service d’une cause, une dynamique au service de l’espoir

Même si la situation de l’emploi de nos concitoyens handicapés est très préoccupante en cette période de stagnation économique, avec un taux de chômage de 22% en décembre 2014, au vu des résultats on ne peut que constater que la dynamique reste forte près de trente ans après la promulgation de la loi du 10 juillet 1987.

 

Depuis sa création l’Agefiph a inscrit son action dans un contexte permanent de crise de l’emploi qui n’a connu que peu de répit. Un chômage élevé qui frappe majoritairement les séniors peu qualifiés sur le marché du travail, dont près de 60 % des demandeurs d’emploi handicapés font partie.

 

Bras armé de la loi de 1987, l’Agefiph est un outil au service d’une cause.

 

Les personnes handicapées ne doivent pas voir leurs espoirs et leurs rêves de travailler, de vivre tout simplement comme les autres, s’éloigner et se dissoudre dans les turbulences de la crise. A cette fin, les entreprises doivent être accompagnées efficacement pour remplir leurs obligations.

 

Dominique BALMARY qui était Délégué Général à l’Emploi et à la Formation Professionnelle en 1987, déclarait, en 1997, à l’occasion des 10 ans de l’Agefiph : « La loi de 1987 a contribué à rappeler aux valides que le handicap ne diminue pas la personne, mais il se fait le témoin actif de la force de la vie sur l’adversité et le découragement. »

 

L’Agefiph est l’outil au service de cette cause. Accompagner les personnes handicapées pour surmonter l’adversité et le découragement. C’est le socle fondateur de la culture de l’Agefiph. Les pionniers, les ouvriers de la première heure ont fait preuve d’un véritable enthousiasme pour faire de cette cause une réalité dans l’action.

 

De même pour les acteurs de terrain de l’emploi des personnes handicapées, à l’époque, la loi de 1987 représentait un formidable espoir ! Enfin ! Les employeurs allaient les considérer différemment. Avant 1987, ils les dérangeaient car ils évoquaient des problèmes que les entreprises considéraient comme étrangers à leur univers. Avec la nouvelle loi, le handicap forçait les portes du monde du travail, et ils allaient devenir porteurs de solutions. Mais le plus grand objet de cet espoir n’était pas l’aspect coercitif de la loi, mais bien que celle-ci mettait en place des moyens pour aller vers l’objectif des 6% : l’Agefiph, Fonds de développement, des moyens au service de la cause !

 

La culture de l’Agefiph, son « esprit maison », c’est cette formidable motivation à construire une entreprise de solidarité active dans une démarche volontariste, pragmatique et impartiale. Contribuer à l’égalité des chances, donner les moyens de l’égalité de traitement en construisant un puissant effet de levier au dispositif de droit commun, permanent, nourri par une dynamique du résultat, telle a été l’ambition des gouvernances et des équipes successives de l’Agefiph durant près de trente ans.

 

C’est en cultivant, et en y étant toujours plus pertinent et performant, l’art de mettre en synergie les centaines d’acteurs qui concourent à l’emploi de nos concitoyens handicapés que l’Agefiph continuera à témoigner pleinement de l’intuition du législateur de 1987, comme le relevait Gérard Larcher, en 2007, alors Ministre de l’emploi : « Au centre de la plupart des dispositifs, l’Agefiph est une œuvre du paritarisme, dirigée vers l’action, avec des femmes et des hommes complètement passionnés par ce qu’ils font. Je trouve que l’Agefiph n’a pas perdu de temps. On a même parfois devancé les décrets…. C’est ce qui me paraît emblématique d’une grande dynamique ».

 

 Equipes Alther : services spécialisés départementaux d’information et de mobilisation des PME financés par l’Agefiph

** Equipes Cap emploi : services spécialisés départementaux de placement financés par l’Agefiph, le FIPHFP et Pôle emploi

*** Equipes Sameth : services spécialisés départementaux de maintien dans l’emploi financés par l’Agefiph et le FIPHFP

 

Cliquez ici pour lire la première partie de cet article « Agefiph : un instrument d’égalité ? »

 

A propos de l’auteur

Pierre Blanc a été Directeur Général de l’Agefiph de 2007 à 2012.

 

Crédit image : CC/Flickr/Erwan F

 

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