Qu’est-ce que le populisme ?
publié le 2015-03-23
Le danger populiste, mêlant les extrêmes de droite et de gauche, et qui gagnerait du terrain un peu partout en Europe, est fréquemment brandi par les commentateurs, analystes et autres acteurs de la vie publique comme une menace mortifère pour nos démocraties comme pour le projet européen. De quoi s’agit-il au juste ?
En gros, on y met tout ce qui n’est pas parti de gouvernement, et de façon plus subliminale, pas « sérieux ». Cette forme de mépris, plus ou moins inconsciente, est au passage dangereuse, comme le montre la façon dont elle se retourne aujourd’hui au motif de donner une chance à ceux qui n’ont jamais été aux affaires … Autre connotation négative, est populiste tout discours simpliste qui tend davantage à flatter les (bas) instincts et les réflexes les plus vils qu’à s’adresser à l’intelligence des peuples, à susciter l’émotion plutôt qu’en appeler à la raison.
Un détour par l’histoire des idées politiques conduit toutefois à porter sur le populisme un regard sensiblement différent. Le terme est d’abord apparu au 19e siècle aux Etats-Unis. Il s’agissait, sans entrer dans le détail, de défendre les intérêts des faibles contre les forts (les agriculteurs contre les compagnies de chemin de fer ou encore les épargnants contre les banques). On le retrouve aussi et vers la même époque, aux sources du socialisme en Russie, bientôt promis à l’incroyable épopée historico-tragique qu’on sait.
En France, le terme n’apparaît qu’à la fin des années 20. C’est déjà le fourre-tout conceptuel et politique d’aujourd’hui dans un autre contexte bien sûr, même si les analogies ne manquent pas entre la France d’aujourd’hui et celle de l’entre deux guerres (antiparlementarisme sur fond de scandales politico financiers à répétition, de crise économique, de politique de rigueur et de tendance déflationniste). Il porte déjà en tous cas une critique radicale du fonctionnement réel d’une démocratie représentative qui n’aurait plus de démocratiques que les formes trompeuses et ne servirait plus que les intérêts d’une oligarchie ploutocratique par nature et fondamentalement sans scrupule. C’est l’éternel retour des poussées d’un antiparlementarisme qui ne fait malgré tout jamais son lit que dans les manquements répétés et mâtinés d’impéritie des gouvernants et gouvernements successifs. Comment pourrait-il ne pas régulièrement renaître de ses cendres ?
Plus sérieusement, l’histoire nous ramène ainsi au cœur de ce qui distingue le populisme, et repose en fait sur le paradigme, certes schématique, mais néanmoins parlant, d’un détournement de l’intérêt général au profit de quelques uns. A la fois mythe et réalité, il renvoie aussi bien aux « 200 familles » du 19e siècle qu’aux « patrons voyous » d’aujourd’hui, et partant, à l’idéal d’une réappropriation collective des biens communs au service de l’intérêt général.
Quant à la question de la démagogie, elle est vieille comme la politique. Chez Aristote, elle désigne une des deux formes possibles de perversion de la démocratie (l’autre étant l’anarchie !) et se fonde sur une rhétorique manipulatoire qui joue sur les passions plus que sur la raison (on appréciera l’actualité d’une analyse qui date de près de 25 siècles !).
Qu’en conclure au bénéfice d’une meilleure compréhension de cette nouvelle ère du populisme ? D’abord et surtout qu’il ne caractérise pas seulement des exceptions ou des extrêmes, mais peut qu’il peut gangrener le cœur même du fonctionnement de nos institutions politiques. Qu’il renvoie ainsi immanquablement à la tendance lourde à l’affaiblissement des partis de gouvernements et à la montée de l’abstention, à la crise de nos institutions politiques et aux dérives d’une démocratie d’opinion qui voudrait nous faire « penser » en termes de plus en plus binaires et manichéens un environnement de plus en plus complexe, ambigu, incertain.
Il y a, pour le dire autrement, comme une facilité, un effet de manche visant à se parer de vertus trop souvent bafouées dans les faits, à prévenir contre les dangers sournois du populisme, des dérives imaginaires auxquelles on l’associe et dont l’Histoire du 20e siècle nourrit sinistrement la fantasmagorie, tout en s’exonérant d’une remise en question en profondeur des quelques questions politiques centrales qu’il pose en réalité.
Celle tout d’abord de la répartition des richesses, bien sûr. Il n’est qu’à voir l’écho que rencontrent les thèses d’économistes dénonçant les inégalités générées par le fonctionnement de nos économies … ou les statistiques, encore plus implacables, qui montrent qu’une part toujours plus grande des richesses du monde est détenue par une part toujours plus restreinte de la population (1% de la population mondiale détient plus de 50% des richesses selon une statistique récente) pour s’apercevoir que cette question est redevenue (si elle a jamais cessé de l’être) centrale.
Celle ensuite de l’organisation et du fonctionnement du pouvoir politique et des affaires publiques. A l’heure où chacun s’accorde à regretter la défiance générale des Français envers les élites de tout poil, qu’elles soient économiques, politiques, syndicales ou même intellectuelles, suffit-il de l’expliquer par une supposée dérive populiste ? Pas plus bien sûr que d’accabler lesdites élites qui n’ont pas forcément tous les vices qu’on leur prête …
Au plan enfin du discours et de la communication politiques, la question du populisme vient – salutairement – poser en creux celle de la technocratie, et de l’absence de vision, de projet d’un vivre ensemble commun, porteur, désirable et accessible par tous. Quand rien n’unit plus les différentes parties de la société, ne reste plus que ce qui les divise. Le corporatisme était identifié comme une des causes principales de la société de défiance dès 2007 dans l’essai d’ALGAN et CAHUC qui fit florès. Le diagnostic reste toujours aussi juste aujourd’hui …
Moins de populisme suppose aussi pour le dire plus positivement, de proposer à des citoyens éclairés, informés et collectivement soucieux de voir progresser les choses, les termes d’un débat politique qui insultent moins leur intelligence. Résumer par exemple le débat sur les politiques économiques par une alternative exclusive entre politique de l’offre et de la demande c’est forcément se payer de mots et passer à côté des vrais problèmes.
D’où les « séquences » et autres impératifs de « storytelling », vendus à grand renfort « d’éléments de langage» (expression curieuse autant qu’affreuse) et autres « media training » par les agences de com réputées de la place afin de tenter de donner du sens à ce qui en manque intrinsèquement, enlisés que nous sommes dans le tropisme économiste et gestionnaire auquel se résument de plus en plus les politiques publiques à l’échelle nationale aussi bien qu’européenne.
En conclusion, le populisme ne me semble pas aujourd’hui un concept opérant. La montée des extrêmes droites un peu partout en Europe, et la banalisation de nouvelles formes d’intolérance, de repli sur soi et de xénophobie dont elle s’accompagne sont réellement inquiétantes. Mais elles ne se comparent en rien avec l’émergence de nouvelles formes de lutte politique de gauche comme Podemos en Espagne ou Syriza en Grèce, lesquelles relèvent davantage de l’indignation des peuples que de projets réactionnaires et autoritaristes reposant sur l’abêtissement des foules, ce qui n’est quand même pas tout à fait la même chose. Surtout, rien ne sert de dénoncer un mal exogène dont les causes profondes trouvent leurs racines dans les dérives endogènes d’une démocratie représentative profondément malade. Attachons nous à la ré inventer plutôt qu’à agiter, de façon dangereusement auto réalisatrice, des chiffons rouges, et à restaurer un débat public de qualité contre la tentation pour le coup réellement mortifère de la paresse intellectuelle et de la politique spectacle.
Crédit image : CC/Flickr/bluto blutarski
Pour aller plus loin
– National-social : la dangereuse construction d’une crédibilité (Metis – mars 2015)
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