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Résultat d’une recherche-évaluation des activités et des pratiques de l’Association Ecole et Famille, le livre Ecole famille Cité est d’une grande richesse à la fois conceptuelle et concrète. L’association travaille, le plus souvent dans le cadre programmes PRE (Pour une Réussite de l’Education) dans des communes du Val d’Oise et deux communes des Hauts de Seine. Le point de départ de leurs interventions : une situation particulièrement critique d’élèves en grandes difficultés. Danielle Kaisergruber livre pour Metis sa note de lecture.

 

Danielle Kaisergruber

Au cœur de l’action d’Ecole et Famille, il y a la recherche d’une nouvelle forme de relations entre l’école et la famille. La philosophie que l’on retrouve dans le Rapport Madinier-Versini de 2012, Bâtir une nouvelle alliance pour la réussite éducative, entre professionnels, parents et enfants. L’Association, comme de nombreuses autres, fait beaucoup avec peu : 6 permanents, des consultants à l’occasion, mais surtout la mobilisation des professionnels (dans l’école mais aussi autour), des dispositifs de « parents-relais », des groupes de travail, des bénévoles (par ex ceux qui font du soutien scolaire), un appui des villes.

 

A partir des nombreux entretiens menés par les chercheurs (une sociologue Antoinette Chauvenet, un socio-économiste, Yann Guillaud, et deux spécialistes de sciences de l’éducation, François Leclère et Marie-Pierre Mackiewicz), on peut constater que l’Association réussit bien à créer cette « nouvelle alliance » entre les familles et l’école, et plus largement tous les professionnels associés (travailleurs sociaux, animateurs, élus locaux…). C’est qu’il y a derrière chacune de leurs activités concrètes : groupes de travail ou « cliniques de la concertation », mises en place de « parents-relais », « groupes de chefs de d’établissements », une philosophie d’intervention : le « donner-recevoir » ou « l’éthique relationnelle ». Et c’est ce qui fait toute la différence avec de multiples « aides », « dispositifs »…

 

Il s’agit d’organiser des rencontres (en fait très préparées) de l’ensemble de ceux qui sont « autour » des enfants : parents, grands-parents parfois, voisins, animateurs de quartiers ou animateurs sportifs, professionnels des différentes institutions. Les échanges sont alors basés sur le « donner-recevoir », sur l’identification non pas seulement des problèmes ou des manques des uns et des autres, mais sur l’identification des ressources des familles et des enfants tout autour d’eux. On pense bien sûr à Amartya Sen et son concept de « capabilités ». Les chercheurs formalisent cette philosophie d’intervention en s’appuyant d’une part sur les travaux critiques de Norbert Elias et d’Hannah Arendt, et d’autre part sur les concepts de la démocratie grecque. Ceux d’Aristote en particulier qui établit une continuité entre les relations internes à la famille et les relations au sein de la Cité. Avec une place toute particulière pour la « philia », l’amitié qui n’a pas alors la connotation intime d’aujourd’hui mais se définit « comme choix réfléchi de vivre ensemble », une sorte d’empathie sociale partagée, à la base du lien social et de l’exercice quotidien de la démocratie.

Une pratique particulière se construit ainsi faite de « respect de l’autre » (un des exemples frappants réside dans le mot d’ordre « parler des absents comme s’ils étaient présents »), de promotion d’une « pluralité bienveillante », et surtout de mise sur un pied d’égalité des familles et des professionnels.

 

C’est là que la pratique d’Ecole et Famille interroge très profondément la manière d’exercer les métiers éducatifs et au-delà la manière d’exercer les métiers du « social », du « prendre soin de », du « care ».
Les chercheurs ont interrogé de nombreux professionnels impliqués (des directeurs d’établissement par exemple dont les déclarations sont riches d’enseignements) quant à l’évaluation qu’ils font de leur expérience aux côtés d’Ecole et Famille. On peut relever de très nombreux points d’inflexion des pratiques professionnelles habituellement observées : réduction de l’écart entre usagers et professionnels, engagement d’une relation de coopération, de co-production, nécessité d’un travail en réseau qui « dé-spécialise » les uns et les autres au-delà des découpages institutionnels.

 

Les chercheurs s’appuient sur les critiques formulées par Richard Sennet à l’endroit des déséquilibres produits par une certaine conception du « service rendu » : « Les autres (ceux qui sont en face de vous et sont en demande) ressentent le besoin qu’ils ont de vous, plus que vous ne témoignez de celui que vous avez d’eux. Et c’est là ce qui vous rend maitre de la situation ». Des professionnels qui acceptent de montrer leurs failles (et leur subjectivité parfois), de se faire « aider » par ceux qu’ils aident…On en rencontre certes, mais peu. On est bien loin de la « prescription » par des conseillers d’orientation ou de Pôle emploi, de l’air de supériorité que se donnent ceux qui pour vocation de « conseiller », « d’accompagner ». Quel parent d’élève n’a pas eu la trouille d’aller rencontrer les enseignants de ses enfants ? Quel chômeur n’éprouve pas d’angoisse avant ses entretiens ?

 

C’est dans cette conception différente du travail que se joue un plus en matière de démocratie, de possibilités ouvertes pour les familles de faire leur propre chemin, de prendre leurs affaires en main. Comme dans le travail fait par l’Association Astrees avec les jeunes, il ne s’agit pas seulement de distribuer des aides mais bien de « faire avec » dans une relation égalitaire qui autorise l’ « empowerment ». Cette démocratie du quotidien qui manque tant à nos sociétés (et ce n’est pas un bureau de vote tous les 3 ou 4 ans qui peut suffire d’autant plus que beaucoup n’y vont pas ou n’ont pas le droit d’y aller) est précieuse : mais elle exige beaucoup des professionnels du social, comme une suspension provisoire de la relation d’autorité, pour pouvoir mieux faire leur travail qui somme toute est partie de la chose publique et de la vie de la Cité.

 

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Philosophe et littéraire de formation, je me suis assez vite dirigée vers le social et ses nombreux problèmes : au ministère de l’Industrie d’abord, puis dans un cabinet ministériel en charge des reconversions et restructurations, et de l’aménagement du territoire. Cherchant à alterner des fonctions opérationnelles et des périodes consacrées aux études et à la recherche, j’ai été responsable du département travail et formation du CEREQ, puis du Département Technologie, Emploi, Travail du ministère de la Recherche.

Histoire d’aller voir sur le terrain, j’ai ensuite rejoint un cabinet de consultants, Bernard Brunhes Consultants où j’ai créé la direction des études internationales. Alternant missions concrètes d’appui à des entreprises ou des acteurs publics, et études, européennes en particulier, je poursuis cette vie faite de tensions entre action et réflexion, lecture et écriture, qui me plaît plus que tout.