Les employés du BTP suivent les chantiers. Quand il s’agit d’une production locale réalisée par des entreprises locales, les salariés retournent tous les soirs chez eux après leur journée de travail. Il n’en est pas de même pour les grands chantiers comme la construction des lignes de TGV, les grands ponts comme celui de Millau ou lorsque leur entreprise a gagné un appel d’offre pour un chantier lointain… Selon qu’ils sont « détachés » ou « déplacés », les salariés disposent de conditions de logements fortement différenciées. Pierre Maréchal analyse pour Metis le type de dispositifs mis en œuvre à partir de l’exemple de la construction de la LGV Tours-Bordeaux, et ce qu’il en est pour les salariés « détachés », venant d’autres pays d’Europe.
Les salariés des entreprises françaises du BTP qui, suivant leurs chantiers, doivent se loger loin de chez eux sont dits « déplacés ». La qualification de « détachés » désigne en revanche les salariés d’autres entreprises européennes travaillant loin de leur pays d’origine.
Les déplacés : se loger quand on construit une ligne de TGV
Ce type de chantier mobilise beaucoup de monde. Ainsi plus de 8500 personnes ont travaillé sur le chantier de la LGV Tours-Bordeaux au plus fort de son activité, à l’été 2013. Conducteurs d’engin, coffreurs-bancheurs, canalisateurs etc. ont œuvré durant des mois pour effectuer les terrassements, édifier des ouvrages et ainsi préparer la plate-forme en vue de la pose des équipements ferroviaires. Puis est venu le tour des poseurs de voie, des monteurs caténaires ou des « brigadiers », ces spécialistes du rail, formés et mobilisés pour terminer le chantier.
Parmi eux, environ 2000 personnes ont été embauchées localement, dans les territoires traversés par la ligne en construction, dont environ 1400 issus de l’insertion professionnelle.
Ceux-là résident chez eux. Mais il y a plusieurs milliers de salariés de ces entreprises du BTP (environ 4000) qui, eux, sont « déplacés ».
Ces travailleurs, seuls ou en famille, doivent donc trouver à se loger. Ainsi, on rencontrera ce conducteur d’engins qui, depuis 23 ans, se déplace de chantier en chantier avec sa caravane qu’il a parfaitement équipée avec une machine à laver, la télé, chauffage, frigo, congélateur bref avec tout le confort. Encore faut-il qu’il trouve un terrain pour la poser. Cet autre qui réside dans une chambre d’hôte où il bénéficie le soir d’un bon repas. Ce chargé de qualité, sécurité, environnement qui, après avoir passé un an à l’hôtel, a obtenu un T3 meublé où il peut accueillir son fils pour ne citer que quelques exemples.
Ces chantiers de longue durée perturbent la vie familiale. Le DRH d’un grand groupe de BTP constate qu’autrefois « les collaborateurs se déplaçaient en famille… Aujourd’hui, avec le TGV, les habitudes ont changé, la mobilité prend une autre dimension ».
LISEA ( Ligne à grande vitesse Sud Européen Atlantique) dispose d’un observatoire socio-économique pour étudier les enjeux et opportunités liés à l’arrivée de la grande vitesse sur les territoires en matière d’emploi, d’économies locales et d’aménagement des territoires. C’est ainsi qu’un point a été fait sur les conditions de vie et de travail des cadres, des employés, techniciens et agents de maîtrise (ETAM)et les compagnons.
Cet observatoire dénombre, au moment de son enquête :
– 1450 cadres et Etam mobilisés ; près de 65% sont des « déplacés » qui ne peuvent rejoindre leur résidence principale le soir. Les locations meublées et non meublées sont leurs principaux modes d’hébergement. Ils dépensent en moyenne 552 euros de loyer pour leur logement. 25%
sont accompagnés de leur famille, tandis que 12% vivent en collocation. Ce mode de vie est
significativement plus répandue chez les Etam (29%) que chez les cadres (10%).
– 4300 compagnons , qui représentent 75% du personnel, sont majoritairement des hommes, âgés en moyenne de 39 ans. 56 % d’entre eux déclarent être en couple ; la moitié a des enfants à charge. Près des deux tiers d’entre eux sont des « déplacés ».
Le camping et les locations meublées sont leurs principaux modes d’hébergement qui représentent près des trois quart des logements (73%), contre 9% pour les locations non meublées. Ces salariés « déplacés » semblent opter pour des logements qui minimisent leurs dépenses d’hébergement. Les compagnons dépensent en moyenne 271 euros par mois pour leur logement. Les lieux de résidences privilégiés de ces salariés sont les communes à proximité du chantier.
Les compagnons déplacés dépensent moitié moins que les cadres et Etam pour leur logement (271 euros contre 552 euros).
La plupart (80%) des salariés enquêtés déclarent ne pas avoir été aidés pour trouver leur logement. Ainsi, s’ils sont nombreux à se débrouiller par eux-mêmes, environ 630 ont eu recours aux services de logement de l’entreprise. Pour répondre à ce besoin, en effet, certains comités interprofessionnels du logement (CIL), ont mis sur pied une offre de services spécifiques pour ces grands chantiers. Par exemple, CILGERE a créé une filiale COCITRA pour accompagner ces entreprises et leurs salariés dans la recherche de solutions : trouver, pendant toute la durée du chantier au fur et à mesure de son déplacement, des logements à proximité. Cela implique une étroite collaboration avec l’entreprise commençant par une étude des besoins dérivés du planning des travaux. L’accord de collaboration va porter notamment sur sa durée, les effectifs, les conditions d’information des salariés.
Ainsi pour ce chantier de la ligne Tours-Bordeaux, six antennes (tous les 50 km) sont mises à disposition des salariés le long du chantier où des collaborateurs de COCITRA vont :
• Faire du repérage pour recenser des opportunités de logements (le logement location, meublé, chambres d’hôtes, location de terrains pour les caravanes…). Ceci se fait en liaison avec les collectivités locales,
• Accueillir les salariés par groupe avec les RH à l’occasion de l’ouverture des chantiers et mener des entretiens individualisés pour affiner les besoins. « On ne peut pas rencontrer les salariés où et quand nous le souhaitons, nous devons le faire en dehors des heures de travail ce qui impose une grande disponibilité. Nous devons avoir de l’écoute et de la réactivité car les salariés sont en quelque sorte déracinés dans un environnement inconnu et ont besoin de se loger très vite » explique la coordinatrice de COCITRA-Mobilité,
• Mettre en place les aides notamment avec le CIL-PASS et l’AIDE MOBILI-PASS, sorte de subvention attribuée par le 1%.
Comme le DRH d’un groupe du BTP l’explique : Ainsi, les salariés sont dégagés du stress liés au logement et peuvent se concentrer sur le chantier lui-même.
Les conditions de logement des travailleurs détachés dans le secteur de la construction
Le travail détaché est devenu un phénomène massif, principalement dans la construction et l’agriculture. Des centaines de milliers de salariés travaillent tous les ans sous ce régime en France. On cite des chiffres compris entre 200 000 et 300 000 mais tout le mondes s’accorde pour dire qu’il s’agit d’une sous-estimation.
« Après avoir augmenté de 30 % en 2013, le nombre total de jours de détachement officiellement déclarés a encore bondi de 31 % en 2014, pour atteindre 9,7 millions. Le bâtiment et les travaux publics sont à nouveau les secteurs où le travail détaché a le plus progressé en 2013. Le BTP représentait 43 % des travailleurs détachés en 2013. Avec 38 000 travailleurs en 2013, les Polonais représentent la première nationalité, devant les Portugais (34 500) et les Roumains (27 000) ». (Le Monde 11 février 2015)
Un salarié est considéré comme « détaché » lorsqu’il travaille dans un État membre de l’Union européenne différent de son lieu de travail habituel. Il s’agit donc d’une mobilité temporaire avec, au bout d’un certain temps, le retour dans l’emploi d’origine. Cette mobilité intervient dans le cas d’une prestation de services transnationale et non pas d’une migration classique d’un travailleur qui vient chercher un emploi dans un autre État.
Dans la pratique, cette libre circulation des services s’appuie sur les « vertus » du dumping social et le travail détaché devient le travail des « laissés-pour-compte » de la construction européenne. Pour connaître les conditions de vie de ces travailleurs, il n’existe évidemment pas d’observatoire socio-économique. Néanmoins, la Commission Européenne s’en est saisie et a diligenté une étude dont le rapport final publié en 2012 s’intitule REGULATION AND ENFORCEMENT OF POSTED WORKERS EMPLOYMENT RIGHTS. Des enquêtes ont été menées en Allemagne, Belgique, France, Royaume Uni et Suède.
En France, Jens Thoemmes, chercheur au CERTOP à Toulouse, a enquêté auprès des travailleurs portugais du secteur de la construction.
Comme on pouvait s’y attendre, les conditions de logement sont déplorables. Le surpeuplement semble être la règle : il est fréquent de partager une chambre à trois personnes. Il n’y a aucune intimité possible.
Contrairement à la directive européenne qui préconise une prise en charge des frais de logement de nourriture et de voyages, les entreprises prélèvent souvent sur le salaire le coût du logement.
Comme le déplacement du logement vers le chantier est organisé par l’entreprise, cela permet à cette dernière d’imposer la durée de la journée de travail : faire partir tôt l’équipe en camion, la ramener tard le soir en camion.
Ces travailleurs sont d’une certaine manière assignés à résidence, sans relation avec les salariés autochtones : ainsi ils ne peuvent pas comparer leurs salaires et conditions de travail avec les autres.
Pour le travailleur détaché, le plus dur est de vivre séparé et éloigné de sa famille. Le droit au retour de voyages périodiques est un sujet très important à leurs yeux. Les employeurs semblent lier ce droit aux heures supplémentaires non payées et organisent, pour ces retours, de longs voyages en camion, dans des conditions peu confortables et dangereuses.
Ainsi, on peut mesurer l’écart des conditions de vie entre le « déplacé » et le « détaché ». L’un, très qualifié, bénéficie de services et d’une logistique qui lui permet d’avoir un habitat de chantier satisfaisant, l’autre, exploité, survivra dans des conditions indignes.
Ce n’est pas un des moindres paradoxes de l’Union Européenne que d’avoir favorisé le phénomène des détachés et leurs conditions de vie indignes.
Pour en savoir plus :
http://www.lisea.fr/partenaire-des-territoires/observatoire-socio-economique/
http://www.workinglives.org/research-themes/migrant-workers/posted-workers.cfm
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