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par Rodolphe Helderlé, journaliste à « Miroir social », Claude Emmanuel Triomphe

Du 29 septembre au 2 octobre, la Confédération européenne des syndicats (CES) tenait son 13e congrès à Paris. Où en est le syndicalisme européen ?  Metis reprend ici, avec leur aimable autorisation, l’interview donnée à Miroir social par Claude Emmanuel Triomphe, délégué général d’ASTREES. Le constat est sombre sur la capacité des syndicats à dépasser les enjeux nationaux et à se mettre en mouvement à l’échelle européenne.

 

triomphe

Vous dressez un constat très sombre de la réalité du syndicalisme européen d’aujourd’hui. Comment se manifeste la dégradation du poids du social dans les mécanismes européens ?


Le syndicalisme européen a vécu son « âge d’or » au moment de la Commission Delors (1985-1995). Alors qu’ils n’étaient jusqu’alors que consultés, les syndicats ont pesé par la négociation dans la structuration d’un espace européen de dialogue social, avec à la clef toute une série de directives. L’agenda actuel de la Commission européenne illustre à quel point l’intérêt pour le social est en chute libre. La perte d’influence des sociaux-démocrates et des démocrates-chrétiens au profit des libéraux est sévère. Le premier combat du syndicalisme européen est de s’opposer au détricotage du cadre social existant. L’articulation entre la négociation collective et l’évolution de la réglementation sociale européenne ne fonctionne plus. Il y a de moins en moins d’accords intersectoriels et sectoriels. D’autant qu’il est très difficile de mobiliser le patronat (Business Europe) pour négocier. Dans la période récente, il n’y a qu’au niveau du Parlement européen que la CES a pu agir pour toucher la fibre sociale. Sauf que le Parlement ne vote que des résolutions. La Commission européenne a même envisagé de ne pas répondre à la résolution de janvier 2013 du Parlement sur l’anticipation et la gestion des restructurations, un sujet que nous avons contribué à porter. Dans le même temps, le financement de la CES devient de plus en plus problématique en raison de la baisse du nombre des adhérents dans les principaux pays contributeurs, l’Allemagne en tête. La CES vit plus que jamais grâce aux fonds européens versés dans le cadre des appels à projet.

 

 

Pourquoi le syndicalisme européen n’a-t-il pas réussi à se transformer en mouvement transnational ?

La vocation première de la Confédération européenne des syndicats est de devenir un mouvement transnational. Or, si la CES est devenue un acteur institutionnel du jeu européen, on est loin du mouvement transnational. Le social reste profondément national. On reste dans une addition de forces nationales. Sans surprise, on retrouve les positions des États nationaux dans les positions syndicales, sur fond d’un euroscepticisme marqué dans les pays du nord. Une exception est à souligner avec le syndicalisme britannique qui se trouve être plus europhile que son gouvernement. Il ne faut pas non plus oublier que ce n’est qu’en 1989 que la CGT a rejoint la CES et que FO, qui a été l’un des syndicats les plus engagés dans la construction européenne, est désormais un peu en retrait.

 

 

En quoi le syndicalisme européen se heurte aussi à la montée en puissance de la négociation d’entreprise ?

Les tentatives de coordination des négociations des salaires dans les branches entre des pays qui partagent des caractéristiques comparables sont en effet de plus en plus délicates, du fait de la montée en puissance des négociations au niveau des entreprises. C’est dans le cadre de la CES que l’Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas puis la France s’emploient à cet exercice, mais là encore la tendance est plutôt à la régression.

 

Comment évoluent les comités d’entreprise européens dans un tel contexte ?

Le mouvement de création des comités d’entreprise européens est bloqué. Seule une poignée d’entreprises continuent de faire des choses remarquables, mais il est inquiétant que certains pionniers reviennent en arrière. La complexité des structures est devenue si grande que peu de monde s’y retrouve. Les syndicats des sièges sociaux et le management n’y croient guère. Seuls les élus des petits pays trouvent encore un intérêt à siéger dans un CE européen car c’est pour eux l’occasion d’accéder à des informations. IndustriAll a mis en place un réseau de coordinateurs CE qui éprouve de grandes difficultés à fonctionner tant les élus n’ont pas l’impression de représenter les salariés européens.

 

Quelles sont les clefs du renouveau d’un syndicalisme européen ?

Un nouveau mode d’organisation est à réinventer. Le syndicalisme européen s’est construit sur le modèle confédéral, correspondant à l’approche dominante, mais il est certainement temps d’explorer d’autres formes d’organisation, plus flexibles , afin de pouvoir anticiper davantage. Il est fort dommage par exemple que le syndicalisme européen n’ait pas déjà pensé à une organisation en phase avec les nouvelles formes du travail de demain avec un éclairage poussé sur le développement du travail non salarié.

 

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