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par Henri Durnerin, Danielle Kaisergruber

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Henri Durnerin est ingénieur agronome de formation. Après quinze ans en direction commerciale et direction de centre de profit, il a été pendant 20 ans directeur des ressources humaines (DRH) et directeur de la communication d’un groupe coopératif agricole départemental de 350 salariés, qui collecte et commercialise des céréales, fournit des services et des produits nécessaires aux cultures. 1600 agriculteurs en sont adhérents sociétaires (250 M€ de CA. Il comporte 70 établissements de très petite taille, une filiale de jardineries et une filiale spécialisée vigne). Il est aussi membre de la commission sociale de la branche (employeur), avec un mandat prudhomal employeur. Il s’entretient avec Danielle Kaisergruber de ses nombreuses années de « DRH heureux ».

 

 

Comment définiriez-vous la fonction du DRH dans une entreprise comme la vôtre?

Je laisse de côté ma fonction communication. J’ai été DRH membre du comité de direction du groupe, participant pleinement à la définition de la stratégie d’entreprise avec trois axes principaux : 1) assurer en permanence « la ressource » en compétences, autrement dit avoir toujours les bonnes personnes avec les bonnes compétences aux bons endroits dans tous les métiers de l’entreprise et au meilleur coût ; 2) gérer les instances représentatives du personnel (IRP) et s’appuyer sur des accords d’entreprise ; 3) garantir le respect du code du travail. Le cœur du métier concerne les compétences : il n’existe pas de politique ressources humaines (RH) sans une stratégie d’entreprise établie. Sinon elle est réduite à une fonction « mécanique » d’établissement de contrat de travail, de paye, d’administration de formations pour répondre aux exigences technologiques et/ou réglementaires… et n’a donc pas besoin de « directeur » Quelle est la raison d’être de l’entreprise ? Que veut-elle être dans cinq-dix ans ? En fonction des réponses, vous obtenez des politiques RH différentes. Pour illustrer : la finalité de ma coopérative est de fournir à ses agriculteurs adhérents les moyens d’obtenir la meilleure marge brute possible à l’hectare. Tout est construit à partir de cette simple définition, ce dans le cadre des valeurs coopératives fondamentales d’engagement, de transparence et d’équité. C’est un cadre bien différent de celui de la financiarisation actuelle d’un grand nombre d’activités. Par rapport à cette finalité, on définit ce que sont les métiers de la coopérative, et quelles sont les compétences nécessaires à leur accomplissement. Métiers et compétences nécessaires permettent d’établir des définitions de fonction. Bien sûr le volume d’emplois est important, disons qu’il est relativement stable même si on observe une tendance à la baisse des emplois de faible niveau de qualification : un silo à grains est aujourd’hui est géré par une seule personne grâce à l’informatique. À noter que cela exige une élévation de compétences : au métier de base traditionnel s’ajoute l’informatique et la capacité à l’abstraction. Une définition de fonction doit pouvoir se résumer en une ou deux phrases d’action, c’est la finalité de l’emploi : par exemple pour un agent de silo nous aurons : « Réceptionne les céréales et oléo-protéagineux des adhérents, les travaille et les conserve en vue de les expédier aux clients de la coopérative. Fournit aux adhérents les produits nécessaires aux cultures ». De là découlent un certain nombre de missions, ainsi toujours pour notre agent de silo :

 

1/ Conduite, entretien et maintenance du matériel et des installations

 Sait conduire les installations (habilitation obligatoire)
 Utilise les matériels mis à disposition
 Entretient les outils, matériels et installations

2/ Le Travail du grain

Selon les procédures définies dans les cahiers correspondants
 Réceptionne les grains
 Conserve et stocke les grains
 Expédie les grains

3/ Distribution des approvisionnements

 Remet et charge les approvisionnements commandés par les agriculteurs

4/ Le relationnel

 Écoute et renseigne les adhérents dans le cadre de ses responsabilités
 Assure auprès de ses collègues et de sa hiérarchie la circulation de l’information tant montante que descendante.

5/ Sécurité au travail

 Respecte les règles d’hygiène et de sécurité dans le silo et dans le transport
 Informe et guide le travail des saisonniers ou temporaires éventuels

Auxquelles on adjoint des missions générales communes à tous les salariés de l’entreprise :

 Acteur à part entière de la démarche qualité.
 Met tout en œuvre pour gagner et fidéliser les adhérents dans le cadre des valeurs fondamentales de la Coopérative que sont l’équité, la transparence et l’engagement
 Bénéficie d’un entretien annuel, facteur de progrès et d’épanouissement personnel.

Le tout conclu avec les critères de performances qui définissent le bon accomplissement des missions.

 

 

Les DRH sont-ils, comme on l’entend souvent dire aujourd’hui, absorbés par le juridique et victimes de la « judiciarisation » des relations d’emploi et de travail ?

 

En fait, l’on est absorbé par le juridique que si l’on restreint la fonction au seul respect du Code du travail. Mais pour moi, la fonction essentielle n’est pas là et la loi est faite pour être dépassée. Avec une approche pragmatique je dirai que la loi étant toujours en retard au regard de de la réalité du travail, il faut en respecter l’esprit et adapter sa pratique ! J’ai toujours fondé mon action sur l’accord d’entreprise, établi pour mettre en pratique des solutions gagnant-gagnant avec les salariés. Un exemple : en 2008-2009 nous avons mis en place un nouvel accord de classification des emplois, des rémunérations et du temps de travail. Outre l’intérêt de balayer pleinement les emplois et leur évolution depuis le précédent accord (1992 puis un toilettage en 1998 avec les 35 heures), l’important dans la démarche fut d’impliquer dans des groupes de travail IRP et salariés pour aboutir à un accord correspondant à la réalité du travail, sans inflation salariale et en améliorant ce qui était nécessaire mais sans plus. Quelque part cette démarche préfigurait ce que Jean-Denis Combrexelle développe dans son rapport de septembre 2015.

 

 

Est-ce que cela veut dire que votre accord est « dérogatoire par rapport à la branche ou à la loi » ? Quelle durée et organisation du travail prévoit-il ?

 

Rémunération au forfait sur la base d’une annualisation du temps de travail (en maintenant un contrôle des heures pour respecter la loi et avoir un suivi) avec récupération et réductions du temps de travail (RTT) pour aboutir à 1580 heures de travail effectifs en moyenne annuelle. Si dépassement, il y a primes et repos compensateurs. L’aspect dérogatoire repose sur la déduction de vingt minutes par jour considérées comme non temps de travail effectif, ce que les syndicats ont accepté. L’important est d’avoir établi le cadre général et de faire converger intérêt de l’entreprise et intérêt du salarié.

 

 

Comment le rôle de DRH a-t-il évolué depuis une quinzaine d’années ?

 

Je ne peux prétendre à une vision exhaustive de la fonction RH, les cultures d’entreprise et les visions de leur fonctionnement offrent un panel très large et peu homogène. Pour ma part, j’observe que des entreprises, dans une même filière, avec des volumes traités et une conjoncture similaires, réussissent là ou d’autres échouent. Au-delà des chiffres « économiquement purs », une réalité est incontournable : l’entreprise est ce que les hommes qui y travaillent en font. D’où l’importance du travail et de la place des DRH.

 

 

Etes-vous à l’aise avec ce terme de « ressources humaines » ?

 

Mieux que « chef du personnel » ! Et plus précis que « relations humaines », expression des années 70…Ressources Humaines est le terme momentanément utilisé pour la fonction. Il est vrai qu’il renvoie à une vision très économique avec des « ressources » (en capital, en moyens de production, en force de travail) pour générer de la richesse qui est bien la finalité de l’entreprise. Enfin, et parce que ce sont les hommes qui font avant tout les entreprises, je me défini plutôt en « directeur de la coopération humaine ». C’est la dénomination qui aurait ma préférence.

 


Dans le « panier » du DRH, il y a l’emploi, les salaires, les évaluations, mais il y a aussi « le travail lui-même », ce qui suppose de bien travailler avec les responsables opérationnels dans l’entreprise. Comment cela se passe-t-il sur les conditions de travail, sur les entretiens annuels, la gestion des parcours des salariés?

 

Compte tenu de ce qu’ai j’ai dit auparavant que vous avez compris le travail de DRH n’est pas une somme de tâches indépendantes mais bien de piloter tous les éléments qui font que le travail nécessaire est fait- et bien fait- et que les salariés en sont satisfaits et reconnus. Par exemple pour l’agent de silo, dès l’embauche j’ai un cadre de compétences et de capacités (il y a une soixantaine de silos sur le département, les personnes qui y travaillent sont isolées et doivent donc être très autonomes), puis avec les entretiens individuels et le suivi tout au long de l’année je peux mettre en place un plan de formation correspondant aux besoins des uns ou des autres. Cela va de pair avec un dialogue constant avec l’encadrement opérationnel. En tant que DRH je me dois de fournir aux opérationnels les moyens objectifs de piloter leur management. Et avant tout, nous les cadres de direction, devons être sur la même longueur d’onde, partager un même référentiel pour une cohérence d’action. Je dirais à nouveau que nous passons d’une direction des ressources humaines à une direction de la coopération humaine ! La finalité d’un DRH est la bonne réalisation de ce que vous appelez « le travail lui-même ».

Quels sont à votre avis en enjeux les plus importants pour un DRH de PME ou d’ETI dans les années à venir ?

Le premier DRH d’une entreprise est d’abord son directeur général… C’est lui qui donne le tempo et la cohérence dans le management « des troupes » Pour passer d’une DRH à une Direction de la coopération humaine, deux éléments sont clefs : savoir travailler en mode projet et utiliser toutes les ressources qu’offre désormais l’informatique. Le mode projet permet une construction collective et cohérente et aboutit à un fonctionnement plus fluide et plus enthousiasmant. L’informatique et le numérique sont exigeants mais permettent une communication permanente (les prix des céréales sur l’i-phone des agriculteurs tous les jours…) et une plus grande réactivité. À nous de maîtriser ces outils pour développer mieux encore nos entreprises.

 

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Philosophe et littéraire de formation, je me suis assez vite dirigée vers le social et ses nombreux problèmes : au ministère de l’Industrie d’abord, puis dans un cabinet ministériel en charge des reconversions et restructurations, et de l’aménagement du territoire. Cherchant à alterner des fonctions opérationnelles et des périodes consacrées aux études et à la recherche, j’ai été responsable du département travail et formation du CEREQ, puis du Département Technologie, Emploi, Travail du ministère de la Recherche.

Histoire d’aller voir sur le terrain, j’ai ensuite rejoint un cabinet de consultants, Bernard Brunhes Consultants où j’ai créé la direction des études internationales. Alternant missions concrètes d’appui à des entreprises ou des acteurs publics, et études, européennes en particulier, je poursuis cette vie faite de tensions entre action et réflexion, lecture et écriture, qui me plaît plus que tout.