par Alain Mauriès, Xavier Baron
À 58 ans, Alain Mauriès a débuté sa carrière en 1983 chez Snecma, au siège social puis à Villaroche. Il a poursuivi son parcours chez Hoechst – en recherche et développement (R&D) et usine, puis chez Danone (packaging verre), à Métaleurop (métallurgie Plomb et zinc), puis onze ans chez Coca-Cola Entreprise avant de rejoindre Pochet SA. Il a fondé la fonction de DRH Groupe, rapidement membre du directoire. Le Groupe Pochet, à capital familial emploie près de 6000 salariés dans plus de dix usines en France, au Brésil, en Chine et aux USA. Il déploie ses activités dans le flaconnage verre, le plastique et le métal pour l’emballage des produits cosmétiques de luxe.
Une fonction ingrate par construction
La fonction de directeur des ressources humaines (DRH) connaît de longue date un désamour compréhensible. C’est un métier très mal connu en dehors du cercle de l’entreprise. Mes enfants, petits, ont eu du mal à comprendre ce que je faisais, et encore maintenant… Le terme même ne parle pas. Directeur du personnel, oui à la limite, mais « ressources »… Personnellement, je signe « Directeur des relations humaines ». En dehors du moment agréable de l’embauche, le DRH a souvent le mauvais rôle. À lui les tâches ingrates. Il est envoyé en frontal vis-à-vis des organisations syndicales. Il est en charge de la maîtrise de la masse salariale, de la conduite des plans de sauvegarde de l’emploi (PSE), des annonces de réorganisation. À lui le disciplinaire, la sanction. À lui le refus des augmentations, la vérification des notes de frais. C’est l’emmerdeur. C’est lui qui rappelle le droit, « qui interdit de faire n’importe quoi ». Il est le porte-parole de l’employeur qu’il incarne. C’est lui le règlement intérieur, le gardien des normes et des règles. Et puis en France, il y a ce fameux Code du Travail. Si je repense à mes débuts en 1983, il me semble qu’il était au moins cinq fois moins volumineux. Il a, depuis les lois Auroux, explosé sans cesse ! On ne voit pas toujours le rôle du DRH dans la formation, le développement des compétences. C’est la partie invisible, non perceptible de son activité. Quand tout va bien, un recrutement réussi par exemple, c’est normal. Quand c’est long, quand c’est un échec, c’est souvent la responsabilité du DRH…
Je situe mon rôle dans le « double projet économique et social » (en référence à Danone où j’ai travaillé et à Antoine Riboud). Mon job, c’est de veiller à préserver cet équilibre fondamental entre le social et l’économique.
Une situation particulière et heureuse, liée à nos usines, la création de ma fonction et une entreprise familiale à taille humaine
Je suis dans une situation particulière et favorable. J’ai créé mon poste en partant d’une page blanche. La fonction RH il y a six ans, c’était cinq personnes (dont la paye et la gestion administrative qui sont toujours intégrées) pour 4500 salariés et déjà dix usines. J’ai recruté à Shanghai, Shenzhen, São Paulo, à Château-Thierry et en haute Normandie. Nous sommes désormais 25 managers en RH, avec des valeurs et des lignes directrices sur des sujets de fond, mais pas de processus encore formellement établis. Il y a une politique RH. Je veille au sens et à la cohérence de l’ensemble, mais sans jamais imposer des méthodes ou des procédures à mes collègues, surtout dans d’autres pays. Je ne veux pas que mon DRH au Brésil fasse comme celui qui est en Chine. Il faut travailler ensemble dans le cadre des grandes lignes définies. Après, les problématiques ne sont pas les mêmes. Je retrouve ici une dimension entrepreneuriale. Dans les années 90, l’entreprise s’est retrouvée sur le marché boursier (SBF (Société des Bourses françaises) 120). Elle en est ressortie volontairement quelques années plus tard en se recentrant sur son cœur de métier. Nous venons de vivre une refonte de notre gouvernance, avec un directeur général du groupe qui, pour la première fois, n’est pas issu de la famille.
Depuis 2010, j’ai toujours été soutenu par des actionnaires intéressés par le projet RH que je leur avais proposé. J’ai mené avec eux et le Directoire une réflexion sur l’organisation, construit des projets de transformation. Ils ont vu concrètement la mise en place de ce qui avait été proposé en 2010. Ils voient les premiers résultats. La relation entre les managers clés et eux s’est développée. J’ai eu des marges de manœuvre que certainement la plupart des DRH n’ont plus, alors même que je suis entré pendant une période de crise (en 2009), avec la moitié des fours de notre usine principale à l’arrêt. Je bénéficie évidemment du contexte industriel dans lequel j’évolue. J’aime le tangible, le produit. La production, les usines, ce sont des risques, des contraintes, une discipline qui est d’ailleurs moins bien vécue par les jeunes (« si tu travailles mal à l’école, tu finiras à l’usine ! » reste en toile de fond de notre société).
D’un côté, il faut des arguments, une image forte pour attirer, pour fidéliser sur des sites qui ne sont pas toujours « sexy » et dans des environnements pas évidents. De l’autre côté, l’usine donne une structure, des référents. Il y a des équipes, dont certaines sont en postes, évoluant dans un univers avec du bruit, de la chaleur… Mais chacun sait ce qu’il y a à faire et pourquoi. Et il reste des marges d’évolution importantes. Par exemple, sur notre verrerie, vaisseau amiral du Groupe, j’ai soutenu un projet majeur concernant un renforcement important de la qualité et du nombre de managers. Ce projet est passé par une réduction de la taille des équipes à animer et une approche nouvelle du support technique. Nous avons intégré une quinzaine de managers en plus. C’est à contre-courant sur l’aspect coûts, mais j’ai été suivi sur les enjeux de qualité, sur l’exigence de gouvernance technique et humaine, y compris sur les besoins de transfert et de pérennité des savoirs.
J’avoue que je serais sans doute mal à l’aise dans le monde du tertiaire, de la production immatérielle. Il y a enfin un facteur taille. Je connais assez bien les cent cadres clés du groupe. Je passe du temps avec les RH et aussi avec nos managers dont ceux travaillant hors de France. Quand je voyage à l’étranger, je prends le temps. Je reste une semaine en général pour rencontrer les collègues. Je ne suis pas là pour imposer mes solutions, mais pour expliquer parfois, comprendre, pour savoir tout simplement.
Hibernatus, mais qui a appris
Dans cette entreprise, le deal fordiste (sécurité, développement des métiers, fidélité) est effectivement à l’œuvre au bénéfice d’une activité industrielle (verre, plasturgie, métallurgie) et pour des produits haut de gamme. J’ai pu y mettre en œuvre (à partir de 2010) un professionnalisme appris en plus de trente ans dans des entreprises plus grandes et équipées. Il y a certainement une dimension de « rattrapage » dans mon expérience actuelle. Mais, au contraire d’Hibernatus qui n’a pas connu ce qui c’était passé, j’ai appris. Je ne veux pas faire les erreurs que j’ai rencontrées dans les grands groupes et notamment dans la dernière période de mon expérience professionnelle.
Avant Pochet, pendant dix ans comme DRH industriel et DRH France, j’ai connu une entreprise biculturelle, une entreprise française avec capital américain. Nous avions une gestion autonome, des moyens, une bonne ambiance. J’ai même eu du mal pendant quelques années à imaginer le monde en dehors de cette entreprise. Et puis, le point d’inflexion a été 2005 et à partir de 2007, une mutation profonde. Jusque-là par exemple, j’avais la fonction « legal », communication RH, la rémunération, la formation, le recrutement… J’avais des moyens, on prenait des initiatives. On a mené par exemple la campagne des 35 heures de bout en bout avec pertinence. Après la mise en place d’une supply chain européenne, on a connu une taylorisation de la fonction RH avec des « centres d’expertises ». Toute l’entreprise est passée en matriciel, avec des équipes distantes et des « chefs ailleurs ».
Maintenant par exemple, le HRD (Human Ressouces Development) n’a plus la main sur la rémunération globale. Les cadres RH, globalement, sont dans l’exécution pure et simple. Ils sont dans la mise en œuvre de processus « plaqués» du haut, du corporate depuis les États Unis. Le legal est ailleurs, comme la Communication qui est dans le public affairs. La rémunération a même été coupée entre la compensation d’un côté et les benefits de l’autre. Les jeunes RH n’ont plus l’occasion d’apprendre une fonction généraliste. Ils sont dans une fonction réduite à un ensemble d’expertises enfermées dans des silos. C’est particulièrement spectaculaire sur les relations sociales. En France ainsi, les relations sociales, représentent en moyenne 30% de temps et de l’énergie d’un RH. Alors qu’en Angleterre, par exemple, ce n’est pas le cas. Mon collègue anglais ne faisait pas le même métier.
Je pense que nous pouvons cependant garder ce qu’il y a de bon dans ces organisations matricielles, en cherchant à mutualiser, rationnaliser, afin de redonner du temps aux Responsables ressources humaines pour accompagner et soutenir les managers de proximité.
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